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Don d’organes, Lex Netflix, Frontex: trois fois oui le 15 mai

«Ce sont les jeunes qui ont donné le ton de la campagne sur la Lex Netflix»

Le camp du oui a tremblé, mais la loi sur le cinéma a finalement passé l'épreuve des urnes, ce qui permettra peut-être à certaines productions suisses d'acquérir une renommée internationale. © Keystone / Ennio Leanza

Le peuple a finalement approuvé la Lex Netflix à 58,4% des voix ce dimanche. Les jeunes auront toutefois fait trembler le camp du oui. La politologue de gfs.bern Cloé Jans analyse ce vote marqué par un conflit générationnel.

Comme dans la plupart des pays de l’Union européenne (UE), les géants du streaming devront contribuer au financement de la production cinématographique en Suisse. L’issue du vote est restée longtemps incertaine, mais le peuple a finalement accepté dimanche la modification de la loi sur le cinéma.

La campagne a donné lieu à de vifs débats, mais elle est dans l’ensemble restée calme. La politologue de gfs.bern Cloé Jans s’attend à une campagne bien plus émotionnelle avant la prochaine votation qui touchera l’audiovisuel, soit l’initiative qui veut plafonner la redevance radio-TV à 200 francs.

Cloé Jans
Politologue, Cloé Jans est directrice des activités opérationnelles et porte-parole de l’institut gfs.bern, spécialisé dans la recherche en politique et communication. Fotoatelier Spring Gmbh

swissinfo.ch: Les partisanes et les partisans de la Lex Netflix étaient partis avec une large avance qui n’a cessé de se réduire au cours de la campagne, faisant ainsi durer le suspense jusqu’à la fin. Comment expliquer les pertes du camp du oui?

Cloé Jans: En effet, l’opinion des électrices et des électeurs sur la Lex Netflix a évolué de manière atypique. En principe, lorsque le peuple vote sur des projets émanant des autorités, comme la loi sur le cinéma, les soutiens tendent à augmenter au cours de la campagne. Cette fois, nous avons observé l’inverse. Le non a gagné du terrain dans tous les groupes de la population. Nous avons aussi constaté une polarisation croissante entre la gauche et la droite. Ce schéma atypique s’explique par le fait que l’électorat proche de l’Union démocratique du centre (UDC /droite conservatrice) et méfiants à l’égard du gouvernement ont dit non plus nettement qu’au début de la campagne. De plus, les rangs du PLR se sont resserrés et ses électeurs-trices se sont également davantage orientés vers le non.

Le schéma du combat était similaire lors du vote sur l’aide aux médias, refusée en février. Qu’est-ce qui a cette fois fait pencher la balance du côté du oui?

L’opposition à l’aide aux médias était aussi venue de la droite, en particulier en Suisse alémanique et dans les campagnes. Il y a toutefois deux différences significatives. Premièrement, les électrices et les électeurs du Centre et qui ne sont pas affiliés à un parti se sont davantage mobilisés contre la loi sur les médias que contre la Lex Netflix. Deuxièmement, le rejet de l’aide aux médias était plus important du côté de la Suisse francophone et dans la région italophone du Tessin qu’aujourd’hui.

Le Röstigraben est très visible dans les résultats du vote de ce dimanche. La Suisse romande et italophone étaient beaucoup plus favorable à la loi sur le cinéma que la Suisse alémanique. Comment analysez-vous ces disparités régionales?

En Suisse alémanique, le paysage médiatique a évolué différemment. La tendance est à plus de privatisation, plus de concurrence, moins de service public. En Suisse romande, c’est exactement le contraire. Il y a eu une concentration médiatique au cours des dernières années, avec un éditeur suisse alémanique qui est devenu très puissant [Tamedia]. Dans les régions latines, on voit ce développement d’un œil critique. L’idée de service public y est beaucoup plus ancrée.

Pour la Lex Netflix, on ne parle pas de subventions publiques, mais de promotion culturelle au sens large et aussi d’une sorte de promotion des minorités. En Suisse romande et au Tessin, on est déjà habitués à ce que les minorités soient soutenues et protégées par les pouvoirs publics. Ainsi, on a peut-être eu davantage de sympathie pour le cinéma suisse.

La fronde contre le Lex Netflix était portée par les jeunes des partis de droite. Peut-on aussi parler d’un conflit générationnel autour de cet objet?

Tout à fait, on peut dire que les jeunes ont donné le ton de la campagne, en particulier dans les partis de droite et du centre. Ce sont eux qui ont saisi l’arme du référendum et ont en partie aussi réussi à entraîner leur parti. Lors des débats au Parlement, le Parti libéral-radical (PLR, droite) était encore favorable à la Lex Netflix, avant de finalement recommander le non. Dans le premier sondage avant le vote, nous avons constaté que les jeunes étaient plus massivement opposés à la loi que leurs aînés. Cette différence s’est ensuite tassée, mais elle est restée significative.

Est-ce que l’idée «je paie pour ce que je consomme» est plus répandue chez les jeunes?

Chez les jeunes, l’argument était effectivement de dire: «je paie pour ce dont j’ai vraiment besoin». Ils ont moins besoin d’une large offre de productions cinématographiques locales, parce qu’ils veulent de toute façon regarder l’offre internationale globale.

Les jeunes sont par ailleurs clairement davantage habitués à une forme de consommation médiatique numérique. Ils ont aussi plus d’expérience en matière de streaming et évolue plus naturellement dans  un monde numérique orienté vers la mondialisation. Les personnes plus âgées ont en revanche un rapport plus fort avec la culture locale.

«Les gens sont absorbés par la guerre en Ukraine. Ils ont d’autres préoccupations et n’ont pas la capacité de s’impliquer émotionnellement dans une loi sur le cinéma»

Cloé Jans, politologue

La prochaine votation autour de l’audiovisuel pourrait bien être celle sur l’initiative pour plafonner la redevance à 200 francs. Le résultat serré de cette votation laisse-t-il aussi présager un combat serré autour de cet objet?

La loi sur le cinéma portait plutôt sur l’encouragement de la culture et sur la manière de réglementer la numérisation. Il s’agit d’un autre débat que celui sur l’initiative pour diminuer de moitié la redevance, où la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SSR) et l’avenir du paysage médiatique en Suisse seront au centre des préoccupations.

Je pars du principe que cette campagne de votation sera nettement plus intense et émotionnelle que celle qui a précédé les votations du jour. Aujourd’hui, la participation a été relativement faible et la campagne a été calme. Les médias en ont relativement peu parlé. Les partis ont également été peu impliqués et se sont engagés assez faiblement.

Je pense que dans le cas de l’initiative sur le plafonnement de la redevance, cela se passera de manière complètement différente. Cela devrait plutôt ressembler à la votation sur l’initiative No Billag [qui voulait supprimer la redevance] ou la loi médias, qui ont fait l’objet d’une grande attention.

Avec le oui à la modification de la loi sur la transplantation et au financement de Frontex, le Conseil fédéral gagne aujourd’hui sur les trois objets soumis au peuple. Peut-on dire que le gouvernement a réussi à recréer la confiance, après une période de pandémie durant laquelle la méfiance avait augmenté?

Ces deux années ont certainement été marquées par des critiques à l’encontre des autorités. Toutefois, la méfiance de la population n’a jamais été extrêmement basse durant la pandémie. Dans l’ensemble, nous avions toujours environ 60% de personnes qui faisaient confiance aux autorités. On peut néanmoins dire que pendant cette période, le climat politique était tendu et que les débats politiques étaient plus émotionnels. Aujourd’hui, nous avons l’impression que la tension est un peu retombée. Les gens sont absorbés par la guerre en Ukraine. Ils ont d’autres préoccupations et n’ont pas la capacité de s’impliquer émotionnellement dans une loi sur le cinéma.

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