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Ces photos qui produisent les mythes

Le visage de la Guerre d’Espagne est celui d’un combat de conviction admirablement mis en images par des photos-reporters qui servaient une cause et non leur propre aspiration à la reconnaissance. Parti Communiste d'Espagne

Premier conflit de l’ère des mass-média, la guerre civile espagnole (1936-1939), a bénéficié de la couverture de photo-reporters devenus des stars, Robert Capa en tête. Une exposition à Genève fait revivre un conflit qui épouse les traits d’une épopée.

«Bring Home Wounded Americans…» (Ramenez chez eux les Américains blessés…), dit une banderole qui flotte dans le ciel new-yorkais. Ce vœu pourrait être d’actualité: s’agirait-il de soldats engagés en Irak ou en Afghanistan?

Non, car la banderole en question date des années 1930. Raison de plus pour penser que le temps tourne peut-être en rond, que les conflits armés se suivent et se ressemblent, parfois beaucoup, parfois un peu moins.

Mais revenons aux Américains blessés. Ce sont ceux qui ont lutté contre les troupes franquistes lors de la guerre civile espagnole.

Quant à la banderole qui réclame leur retour à la maison, c’est un cliché, une photographie parmi des centaines d’autres que présente le Théâtre Saint-Gervais, à Genève, dans le cadre de la manifestation «Mémoires blessées», programmée jusqu’au 28 mars.

Visage jovial des combattants

Pour sa deuxième édition, cette manifestation, qui s’intéresse au «passé traumatique» de certains peuples ou groupes ethniques, s’est penchée sur le volontarisme, la force de conviction et la générosité d’hommes et de femmes venus de plus de 50 pays pour soutenir la jeune République espagnole face au fascisme franquiste.

La plupart de ces hommes s’étaient engagés dans les Brigades internationales. Leur lutte s’est transformée en épopée rendue mythique par des reporters-photographes devenus célèbres, comme Robert Capa, Gerda Taro, sa compagne, et David Seymour (dit Chim); ou encore les Espagnols Agustin Centelles, Luis Escobar et les frères Mayo.

Leurs clichés font donc l’objet de cette exposition conçue sous le titre «No pasaran! Images des Brigades internationales dans la guerre d’Espagne». Ce qu’on retient de cette guerre, c’est avant tout son visage jovial – aussi absurde que cela puisse paraître.

Mercenaires du XXIe siècle

Tronche brunie par le soleil, souriante, des guerriers confiants en leur mission qu’ils semblent exercer comme un sacerdoce. On est loin ici de l’agitation neurasthénique que relaient les caméras des reporters d’aujourd’hui lorsqu’elles traquent des soldats dans un pays en guerre.

Autres temps, autres luttes. Il faut croire que la chute des idéologies a changé les motivations des guerriers. Les volontaires d’hier n’ont rien à voir avec les mercenaires du XXIe siècle, ceux qu’on a vu sévir, par exemple, sur le sol irakien, au nom de la démocratie. L’exposition ne fait pas de comparaison entre le passé et le présent. Ce n’est pas son but. Mais cette lecture s’impose presque au visiteur.

«La guerre d’Espagne a été le premier conflit de l’ère des mass-média», lit-on dans une note d’intention. Remarque à laquelle on voudrait ajouter que les photographes au service de ces médias servaient alors une cause et non un star-system qui mettrait en évidence leur personnalité.

Qu’il s’agisse de Capa, de Centelles ou de Luis Escobar (pour ne citer qu’eux), leurs photos portent la marque d’une humanité profonde, expression d’une vie saisie en pleine action, mais à l’abri de la violence. Ce qui fait ici l’attrait de l’image, ce n’est pas l’hémoglobine, mais la simplicité et l’authenticité.

Intimisme contre mouvement de foule

Capa se montre plutôt intimiste, là où Centelles se concentre sur la foule. Le premier fixe le mouvement d’une main: un volontaire italien chante, le poing levé, l’hymne républicain. Le deuxième suit les défilés militaires ou l’arrivée du premier contingent de volontaires américains à Barcelone, en 1936-37.

Quant à Luis Escobar, il est un portraitiste avisé. Ses trois soldats, un Américain, un Suisse et un Breton, sanglés dans leur costume, sont l’emblème d’une mixité militaire au service de l’Espagne.

Le Suisse ici, c’est un certain Marcel Borloz, ouvrier-fraiseur à Genève et militant socialiste, engagé dans les Brigades internationales. Il a réussi à sauver ce portrait à trois volets et bien d’autres encore qu’il a gardés hors de la portée des franquistes. Quelques photos proviennent d’ailleurs de sa propre collection.

Pour mettre sur pied leur exposition, les deux commissaires Rémi Skoutelsky et Michel Lefebvre ont puisé dans les fonds du Komintern, les fameuses «archives de Moscou», dans des collections privées, dans le Lincoln Brigades Archives, à New-York, dans le réservoir de la Bibliothèque nationale d’Espagne…

Ils n’ont pas oublié que la guerre civile espagnole s’est faite également avec l’aide, la complicité et l’engagement de très grandes voix du XXe siècle : André Malraux, George Orwell, Ernest Hemingway, Rafael Alberti, Duke Ellington… Leur présence sur certaines photos étoffe le côté mythique de l’exposition.

Ghania Adamo, swissinfo.ch

En 1936, la gauche unie dans un «front populaire» gagne les élections. La bourgeoisie, l’Eglise, l’Armée, ne peuvent supporter une perte de privilèges.

Le 18 juillet, quelques généraux, dont Franco, font un coup d’Etat. Il s’ensuit une guerre civile où les Républicains (gauche) reçoivent l’aide matérielle et morale de nombreux pays et bénéficient de l’engagement de volontaires qui feront partie de ce qu’on appellera les Brigades internationales.

Franco devient petit à petit le chef de la rébellion fasciste. Il est soutenu par l’Allemagne et l’Italie qui feront sur l’Espagne des essais d’armement en préparation de la Seconde Guerre mondiale.

En mars 1939, le dernier bastion, Madrid, tombe. Franco a gagné.
La guerre civile fera un million de morts et 500’000 réfugiés.

«No pasaran! Images des Brigades internationales dans la guerre d’Espagne». A voir à la Maison Saint-Gervais, Genève, jusqu’au 28 mars.

Cette exposition est présentée dans le cadre de la deuxième édition de «Mémoires blessées». Pour sa première édition, cette manifestation culturelle s’était penchée sur la vie des Arméniens de Turquie au début du siècle dernier.

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