La voix de la Suisse dans le monde depuis 1935

Même s’ils le délaissent, les Suisses tiennent à leur argent liquide

Main sortant des pièces d'une porte-monnaie
Sortir sa petite monnaie pour payer est devenu un peu moins courant en Suisse. Keystone / Gaetan Bally

Pour la première fois en Suisse, l’argent sous forme électronique a dépassé le numéraire pour les achats courants. Les Suisses restent cependant attachés à l’argent liquide, d’une manière qui peut parfois même surprendre à l’étranger.

Il y a plusieurs années que l’argent numérique est de plus en plus utilisé au détriment de l’argent liquide. Ce phénomène s’est encore accentué durant le confinement. En pleine pandémie de coronavirus, les paiements numériques étaient préférés à l’échange de billets et de pièces pour d’évidentes raisons sanitaires.

En Suisse, plusieurs éléments montraient depuis un certain temps déjà que l’argent liquide était en perte de vitesse face aux solutions numériques. Le succès croissant de Twint – l’application de paiement développée par les instituts financiers helvétiques – illustre bien cette évolution.

L’an dernier, Twint a enregistré un nombre de transactions record: 773 millions, soit 31% de plus que l’année précédente. La progression est fulgurante. Lors de son lancement en 2017, Twint comptabilisait «seulement» 4 millions de transactions.

Affiche demandant de payer avec de l'argent liquide.
Pour éviter les frais des cartes de crédit, certains commerces privilégient encore l’argent liquide ou alors Twint. Keystone / Peter Klaunzer

Le cash détrôné

Jusqu’à présent, différentes études indiquaient que l’argent liquide conservait cependant les faveurs des Suisses.

Réalisé par la Haute École de sciences appliquées de Zurich (ZHAW) et l’Université de Saint-Gall, le 6e «Swiss Payement MonitorLien externe» montrait par exemple qu’en 2023 le cash faisait encore la course en tête face à son concurrent numérique, bien que sa part ait fortement diminué depuis 2019, date de la première enquête.

Contenu externe

Mais ce qui devait arriver a bien fini par se produire. Pour la première fois, l’argent numérique a détrôné son concurrent physique, du moins pour les achats courants. C’est en tout cas ce qui ressort d’un sondage publié récemment par la Banque nationale Suisse (BNS).

Son Enquête sur l’utilisation des moyens de paiement par les particuliers en Suisse 2024Lien externe montre en effet que pour la première fois, l’argent numérique prend l’ascendant sur l’argent liquide, pour tous les paiements effectués «sur place», c’est-à-dire dans les commerces, aux guichets ou aux distributeurs.

D’après ce sondage réalisé l’automne dernier auprès de 2000 personnes domiciliées en Suisse, la carte de débit est l’instrument le plus fréquemment utilisé pour les achats courants. Quant aux applications de paiement présentes sur les téléphones portables, elles interviennent dans pratiquement une transaction sur cinq.

Ces chèques physiques, qui existaient depuis 60 ans, seront remplacés par des cartes cadeaux numériques. Les chèques déjà en circulation restent toutefois valables sans limite de temps.

Les chèques Reka peuvent être obtenus à un prix préférentiel auprès de 4500 entreprises. Ils permettent de payer des offres de séjours de vacances, de loisirs ou de transports publics auprès de quelque 6000 points d’acceptation.

Cette évolution vers le numérique a été fatale aux chèques Reka. Dans un communiquéLien externe, la fondation Reka annonce qu’elle arrêtera de les émettre à la fin 2025.

«Avec la numérisation définitive de l’argent Reka et de ses produits, Reka entend conforter son statut de pionnière en tant que prestation salariale accessoire la plus populaire en Suisse», explique son directeur Roland Ludwig.

Un thème désormais aussi politique

Ce recul de l’argent liquide pourrait-il se poursuivre jusqu’à une disparition pure et simple? L’hypothèse n’est pas farfelue: en Europe, le phénomène est déjà marqué dans les pays nordiques, à tel point qu’il devient parfois difficile de payer avec de l’argent liquide en Suède.

Un tel scénario est-il possible en Suisse? La BNS en doute. Dans un dossierLien externe intitulé «Finirons-nous par vivre sans numéraire?», elle souligne: «Il semblerait que l’argent liquide ne soit plus nécessaire. Mais les apparences sont trompeuses, et la réalité, plus complexe.»

En Suède, la disparition rapide du cash a poussé les autorités à intervenir. Depuis le 1er janvier 2020, une loi stipule qu’il doit être possible de retirer de l’argent liquide dans un rayon de 25 km autour de son domicile. Cette loi a été acceptée pratiquement à l’unanimité, les parlementaires ayant jugé que le tout numérique pouvait discriminer certaines catégories de personnes, par exemple celles qui n’ont pas accès à un compte bancaire ou à un téléphone portable en raison de leur grande précarité.

Démocratie directe oblige, en Suisse, ce genre de décision pourrait venir du peuple lui-même. Le Mouvement Suisse pour la LibertéLien externe (MSL) a déposé une initiative populaireLien externe intitulée «Oui à une monnaie suisse libre et indépendante sous forme de pièces ou de billets».

Ce texte qui émane de milieux hostiles aux mesures anti-Covid demande de garantir le maintien de l’argent liquide en Suisse et qu’un éventuel remplacement du franc suisse par une autre monnaie soit soumis à l’aval du peuple et des cantons.

Plus

Pas de limite en matière de cash

Mais cette initiative est probablement superflue, car les Suisses ne semblent pas du tout vouloir la disparition de l’argent liquide. La dernière enquête de la BNS sur les moyens de paiement montre d’ailleurs que 95% des personnes interrogées souhaitent que le numéraire reste disponible en tant que moyen de paiement.

Cet attachement des Suisses au cash se traduit aussi par une législation très souple en matière d’argent liquide. Tellement souple d’ailleurs qu’elle pourrait surprendre dans d’autres pays, bien plus stricts.

La plupart des pays européens plafonnentLien externe déjà les transactions en cash, par exemple à 1000 euros en France et en Italie ou à 500 euros en Grèce. Seuls de rares pays comme l’Autriche, Chypre ou le Luxembourg ne connaissent aucune limite. Mais cela va changer: le Parlement européen a accepté un plafonnement à 10’000 euros qui doit entrer en vigueur en 2027, l’idée étant de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

En Suisse, il n’existe en revanche aucune limite. La seule contrainte est de prouver son identité pour tout paiement en espèces à partir de 100’000 francs.

Plus

Plus

La Suisse durcit les règles contre le blanchiment d’argent

Ce contenu a été publié sur Depuis quelques années, elles tombent les unes après les autres comme des dominos: les pratiques, les valeurs tant vantées et les réglementations de la place financière et commerciale suisse. Dernier exemple en date: l’article sur le blanchiment d’argent, qui pour de larges pans de la classe politique et de l’opinion publique passe pour exemplaire au…

lire plus La Suisse durcit les règles contre le blanchiment d’argent

Il n’y a pas non plus de limite en matière de transport. Il existe une seule – petite – contrainte en cas de franchissement de la frontière. Il est alors obligatoireLien externe de fournir son identité ainsi que l’origine et la destination des fonds à partir de 10’000 francs. Mais seulement si la douane vous le demande…

Plus

Discussion
Modéré par: Zeno Zoccatelli

Avez-vous déjà entendu quelque chose d’«étrange» à propos de la Suisse qui vous a intrigué?

Une anecdote liée à la Suisse vous a interpellé? Faites-nous-en part et nous pourrons peut-être approfondir le sujet dans un article.

59 J'aime
54 Commentaires
Voir la discussion

Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg

Les plus lus
Cinquième Suisse

Les plus discutés

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision