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De Djakarta à Mexico, l’Amérique…

'Sleep Dealer', le futur proche à Tijuana. SP

Le récit d'une journée, immergé dans le Festival international du film fantastique de Neuchâtel. En passant par l'Indonésie et la Suisse, pour finir superbement au Mexique. Etonnant voyage, avec trois lettres en guise de guide: «USA».

Une journée au NIFFF, comme dans la plupart des festivals de cinéma, implique des choix. Pas de menu proposé, vous vous saisissez donc de la carte, et composez vous-même votre repas, selon vos goûts et votre appétit.

En ce qui me concerne, ma journée NIFFF, mercredi, commence à 15h15, en Indonésie: «Kala: Dead Time», c’est le titre de ce film signé Joko Anwar et projeté dans le cadre de la compétition asiatique – le festival s’est toujours particulièrement intéressé au cinéma issu de là où se lève le soleil.

Entre Jakarta et Chicago

Janus a des soucis. On lui annonce son licenciement. Et sa femme demande le divorce car il est narcoleptique – comprenez qu’il s’endort à la moindre émotion, qu’elle soit violente ou sensuelle. Ce qui dans une vie de couple est gênant. Par ailleurs, il se prend les pieds dans un reportage qui ne sent pas bon.

Au reportage de Janus correspond l’enquête menée par le flic Eros. Homosexuel, car dans ce cinéma-là, autant ranger tout de suite nos clichés asiatiques. Et Eros est aussi mal pris que Janus, dans cette enquête qui tourne d’abord autour de cadavres calcinés, puis d’une série de morts mystérieuses qu’un fil obscur relie.

Originalité de la chose, on est en Asie, indéniablement, mais les références cinématographiques sont clairement américaines, nous renvoyant aux voitures profilées 50’s et aux clairs-obscurs des années 30. Le chapeau se porte mou, on s’attend presque à voir débouler Humphrey Bogart dans le champ de la caméra.

En tout cas jusqu’à ce qu’une «légende indonésienne ancestrale», nous dit-on, vienne emberlificoter le scénario en apportant la touche de fantastique requise, et légitimer des plans de call girl tendance «warrior» sur fond de paysage glauque et de ciel tourmenté à la fin. Exit – malheureusement – Humphrey.

Il était une fois en Suisse

17h15. Le climax asiatique une fois atteint, je change de salle pour suivre le programme de la compétition «Swiss Short Films».

Dix courts métrages retenus sur une grosse centaine reçue, la sélection a donc été drastique. La variété est au rendez-vous, et un niveau général intéressant. C’est d’ailleurs l’une des fiertés du festival: le court-métrage suisse à tendance fantastique se porterait de mieux en mieux.

Côté animation, l’inspiration et la qualité de la réalisation sont bien là. Ainsi dans «Dans la peau» de Zoltan Horvath, joli clip érotique où, mêlant vrais comédiens et dessin, pendant que les corps s’enlacent et se pénètrent, les tatouages respectifs des deux amants s’animent, s’échangent et sillonnent les corps…

Dans un tout autre registre, la palme du rire et du talent devrait aller à «Die Seilbahn», de Claudius Dentinetta et Frank Braun, qui ont imaginé ce vieillard si bien dessiné qui, seul dans une télécabine, sniffe une prise de tabac et voit son univers – la cabine – se déglinguer un peu plus à chaque éternuement, au-dessus d’un vide abyssal… Grand moment.

Côté cinéma de chair et d’os, si notre préférence va plutôt à l’étouffant «Le poisson» de Lionel Rupp (attention, mâchez avant d’avaler!), on notera surtout la forte présence du fantasme américain.

D’abord dans le cadre d’un film d’école, «Rien ne va plus» de Gregory Bindschedler, où un cow-boy alpin (joué par Carlos Leal) écrit l’avenir tout en buvant de l’absinthe, et surtout, dans «Dead Bones», un western gore signé par le Neuchâtelois Olivier Béguin, qui tente de mêler, in english in ze text, «Il était une fois dans l’Ouest» à «Massacre à la tronçonneuse». Le résultat? «Il était une fois dans la tronçonneuse», sans doute.

Le mur

Après un bref passage à l’inauguration de l’exposition «Swiss Design in Hollywood» (tiens, l’Amérique!) et une interview du dessinateur John Howe (à lire bientôt sur swissinfo), il est 20h00, l’heure de commuter sur le Mexique.

Un Mexique au futur proche. Où l’eau ne coule plus, verrouillée par des consortiums américains. Un Mexique aride encore plus aride, en quelque sorte. Et plus pauvre. On suit le destin de Memo Cruz, un petit gars qui suite à un drame familial dont il est à l’origine, file sur Tijuana, juste à côté du mur qui le sépare de Big Brother.

Là, il va se faire implanter des «connecteurs» qui vont lui permettre d’être «relié à l’économie globale»: Internet, dans ce futur proche, s’incruste dans votre corps. Et, depuis Tijuana, en dirigeant à distance des robots, travailler pour les Etats-Unis. «Nous fournissons aux Etats-Unis ce qu’ils ont toujours voulu: du travail sans les travailleurs», dit l’un des personnages.

Contraste terrible entre la sécheresse mexicaine et l’hyper-technologie américaine, entre la soumission du voisin du Sud face au géant du Nord, «Sleep Dealer» (Les marchands de sommeil), d’Alex Rivera, en compétition internationale, est un film fort et résolument politique, qui s’est d’ailleurs fait remarquer au festival «Sundance Film Festival» de Salt Lake City. On comprend pourquoi.

22h15. Je pourrais continuer avec «Chasseurs de monstres», en plein air… Et pourquoi pas, plus tard encore, avec «Dance of the Dead». Mais les monstres et les zombies ne figurent pas à mon menu. J’ai un article à écrire.

swissinfo, Bernard Léchot à Neuchâtel

– Cinq compétitions (internationale, asiatique, courts métrages européens, courts métrages suisses, vidéo-art)

– Trois rétrospectives («Profondo Giallo, the Golden Age of Italian Thriller and Horror», «Nakagawa Bobuo, le pionnier du fantastique japonais», et «Spain, Land of Fright»

– Différentes projections spéciales

– Un programme quotidien en plein air

– Diverses conférences

– Un symposium de deux jours (‘Imaging the future’) consacré aux liaisons entre arts visuelles et nouvelles technologies (2-3 juillet), avec, en collaboration avec la Maison d’Ailleurs à Yverdon-les-Bains, une exposition intitulée «Swiss Design in Hollywood».

Jury international: les réalisateurs Joe Dante (USA), Xavier Gens (F), Jens Lien (Nor), et l’écrivain Lucius Shepard (USA).

Invités d’honneur: le réalisateur japonais Hideo Nakata et le designer américain Syd Mead.

George Romero sera de retour à Neuchâtel pour présenter son dernier film, ‘Diary of the Dead’.

Aux 3 salles du cinéma Apollo s’ajoute cette année une 4e salle, au Théâtre du Passage.

Pour la 2e année consécutive, le NIFFF propose chaque soir une projection en plein air.

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