Des perspectives suisses en 10 langues

«Exotisme» romand dans une galerie zurichoise

Balthazar Lovay, un chapeau appenzellois métissé de Tour de Babel… swissinfo.ch

La galerie Rotwand propose au public zurichois de venir découvrir 12 artistes représentatifs de la «Neue Kunst aus der Westschweiz», comprenez les nouvelles tendances artistiques de Suisse romande. Un exotisme intra-helveticos-muros, en quelque sorte.

La galerie Rotwand à l’heure du montage. Echelles. Piles de dessin.

Au sol, des bois incurvés, bruts d’un côté, peints de l’autre, certains percés de trous. En l’occurrence, des abris à hamsters et autres cochons d’Inde qui soudain, sous la main de Genêt Mayor, évoquent masques et tatouages.

Là, une haute sculpture de bois. Une sorte de phallus poli dû à la tronçonneuse de Claudia Comte. Une femme artiste maniant la tronçonneuse comme le premier bûcheron venu, ce n’est pas banal.

Et puis un mur de dessins chargés, surchargés, dus à Balthazar Lovay. «J’ai décidé de m’approprier toutes les formes possibles d’abstraction, qu’elles soient nées des avant-gardes, de l’art contemporain ou de la culture quotidienne – couvre-lits, tissus africains. Et de mélanger tout cela», explique l’artiste. Sur le mur adjacent, une œuvre presque blanche, où ne subsistent que des fantômes de formes… Balthazar Lovay a usé de Photoshop pour additionner des images jusqu’au stade où celles-ci s’annulent, et disparaissent.

 

«Dans les deux cas, il s’agit de faire s’interpénétrer des mondes totalement différents les uns des autres, que ce soit de manière très froide avec un ordinateur ou de manière totalement expressive, à la limite de l’art brut, avec le dessin. Pour moi, la technique est secondaire par rapport à ce que j’ai envie de dire. Ce qui m’intéresse, c’est la sensation que rien n’est vrai, que tout est possible, et comment on peut faire s’interpénétrer toutes ces choses ambivalentes», explique-t-il.

«West Coast»

A l’origine de cette exposition collective, les galeristes Sabina Kohler et Bettina Meier-Bickel. Informées par le curateur Martin Jaeggi du foisonnement artistique et original qui règne chez les jeunes créateurs romands, elles décident de leur consacrer une exposition. Martin Jaeggi s’assurera le soutien du romand Denis Pernet pour monter l’événement.

«Il y a vraiment un röstigraben», constate Bettina Meier-Bickel, usant d’une célèbre expression plus gastronomique qu’artistique pour évoquer le fossé qui sépare les deux principales régions linguistiques du pays. «Même s’il y a des rencontres entre artistes romands et alémaniques, nous les galeristes, nous ne connaissons pas du tout les jeunes artistes romands. Je suis sûr qu’il y aura une grande curiosité du public. Le but est vraiment de lui montrer ce qui se passe ‘là-bas’».

Là-bas, tout là-bas, en Romandie. Pour dire cet exotisme, l’invitation joue ironiquement de caractères à la chinoise et évoque la «West Coast». Et la présentation de l’exposition insiste sur la «singularité» de la scène artistique romande… c’est-à-dire?

«Il n’y a pas de grande scène commerciale en Romandie, en comparaison avec Zurich. Tout se développe donc dans des espaces ‘off’, des lieux souvent développés par les artistes eux-mêmes», explique Martin Jaeggi. «Du point de vue de l’approche, il y a le fait de travailler avec des matériaux assez modestes, le papier, le bois, des recherches expérimentales qui opèrent à travers des matériaux, et du point de vue format, le petit plutôt que le grand».

On a parfois le sentiment que l’avant-garde se trouve plus souvent du côté de Zurich ou de Berlin que de Lausanne ou Paris… «En Suisse, ces dernières années, il y a beaucoup d’artistes importants qui ont émergé en Suisse romande. C’est vrai que la caisse de résonnance commerciale se trouve plutôt du côté de Zurich et de Bâle. Mais cela a aussi permis à des artistes romands, par exemple Mai-Thu Perret, Valentin Carron ou Fabrice Gygi, de travailler en Suisse romande en profitant de cette caisse de résonnance», souligne Denis Pernet.

Pop culture

La galeriste Bettina Meier-Bickel est-elle surprise de ce qu’elle découvre? «Oui, il y a une vraie différence avec ce qu’on voit à Zurich. On constate notamment que l’artiste John Armleder est très important en Suisse romande, il y a manifestement beaucoup d’influence. Mais plus généralement, on sent qu’il y a un autre contexte, une autre éducation, une autre école».

«Il y a de nombreuses références à la culture populaire, qu’on trouve beaucoup moins en Suisse allemande», constate Martin Jaeggi. Des références à la science-fiction, à la culture rock, à la bande dessinée… Et Denis Pernet de saisir l’exemple de Kim Seob Boninsegni: «Une utilisation du texte dans le dessin qui est très informée du graphisme, mais qui déjoue ces écoles-là en se référant plutôt au graffiti ou à la mise en scène de la BD».

La notion d’école évoquée par Bettina Meier-Bickel, l’artiste valaisan Balthazar Lovay n’y croit guère. Il a plutôt le sentiment d’une formidable diversité artistique. Et pour ce qui est de la référence aux cultures populaires, la nouveauté, selon lui, est plus dans la forme que dans le fond: « La culture populaire dans l’art, c’est vieux comme le dadaïsme et le cubisme. Ce n’est pas forcément une révolution. L’originalité est plutôt dans la manière dont les artistes s’approprient aujourd’hui la culture populaire. A la place de la citer simplement, on se fond davantage en elle. Comme par exemple avec les chapeaux…»

Ah, les chapeaux de Balthazar Lovay! Prenez une tradition ancrée dans le profond terroir appenzellois, celle des couvre-chef bizarroïdes du «Silvesterklausen». Faites-la relire par un artiste valaisan établi entre Montreux et Genève, et vous aboutirez à la volonté de «dire deux types d’idéalisation du quotidien: l’un basé sur l’idée d’un monde perdu, l’autre sur les théories apocalyptiques…»

Ah oui, encore une chose…  L’exposition s’intitule «Le Fédéral à semen-contra». Pardon? Si si, vous avez bien entendu. Alors sachez que cette expression est tirée du livre «Locus solus», de l’écrivain français pré-surréaliste Raymond Roussel, où elle décrit un fétiche africain. Et que le «semen contra» est une plante herbacée cousine de l’absinthe, ayant comme celle-ci des effets psychotropes, et en plus, des vertus… vermifuges, particulièrement contre le ver solitaire. A vous d’interpréter cette étonnante métaphore à tiroirs.

Le Fédéral à semen-contra / Neue Kunst aus der Westschweiz

A voir à la Galerie Rotwand, Lutherstrasse 34, Zurich, jusqu’au 19 mars 2011.

Curateurs: Martin Jaeggi et Denis Pernet.

Avec des œuvres de:

Kim Seob Boninsegni

Natalia Comandari

Claudia Comte

Gilles Furtwängler

Elise Gagnebin-de Bons

Aurélien Gamboni

Vivian Kasel

Balthazar Lovay

Genêt Mayor

Adrien Missika,

Guillaume Pilet,

Marta Riniker-Radich

Basé à Zurich, Martin Jaeggi est critique, professeur et commissaire d’exposition indépendant.

Il a notamment travaillé avec des artistes comme Walter Pfeiffer, Emanuel Rosetti, Thomas Julier.

Il enseigne l’histoire de la photographie à la Zürcher Hochschule der Künste.

Entre Lausanne et Genève, Denis Pernet a organisé les premières expositions monographiques

d’artistes tel que Pauline Boudry/Renate Lorenz, Klat, Yuri Leiderman, Adrien Missika ou

Christodoulos Panayiotou.

Il écrit pour plusieurs revues dont Edelweiss, Kunst-bulletin et Novembre.

Commissaire d’exposition indépendant, il a longtemps officié au Centre d’art contemporain de Genève.

Il est actuellement sous mandat avec le mudac (Musée de design et d’arts appliqués contemporains) à Lausanne.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision