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Hans Steiner et les métamorphoses du présent

Un autre regard sur la suisse de la guerre froide: Hans Steiner, 'Piscine'. Hans Steiner

«Chronique de la vie moderne», c’est sous ce titre que le Musée de l’Elysée consacre une vaste exposition au photographe bernois Hans Steiner, dont l’œuvre propose une radiographie de la Suisse des années quarante et cinquante. Au-delà de «la Mob», la naissance d’une nouvelle société.

Dès les années trente et jusqu’en 1962, année de sa mort, Hans Steiner a photographié la Suisse sous toutes ses coutures.

Hans Steiner, un photographe qui fut sollicité aussi bien pour des portraits (l’image officielle du général Guisan, c’est lui) que pour des reportages, des publicités, des couvertures de magazine… Il collaborera notamment à la Schweizer Illustrierte, Sie + Er, Die Woche.

 

Puis les «Swinging Sixties» déboulèrent, balançant dans le fossé de l’oubli ceux qui soudain semblaient relever de l’ancien monde, à juste titre ou non. Hans Steiner fut manifestement perçu comme étant de ceux-là.

En 1989, le Musée de l’Elysée achètera néanmoins l’ensemble de son œuvre photographique, plus de 100.000 images. Il montera alors une exposition consacrée aux images que Steiner fit de la «Mob», comprenez la mobilisation générale de 1939. Le reste du fonds dormait, en attendant qu’on s’en saisisse.

Ce que fit le musée lausannois en ce début de 21e siècle, avec la collaboration de plusieurs institutions: Memoriav, l’Institut suisse pour la conservation de la photographie de Neuchâtel et le Bureau pour l’histoire de la photographie de Berne.

A l’arrivée, une exposition, un livre, un DVD, et un site web. «Notre objectif, c’est d’inscrire Hans Steiner dans le panthéon des grands photographes suisses de l’époque», explique Jean-Christophe Blaser, l’un des deux commissaires de l’exposition.

Les temps changent

Au départ, rien ne prédestinait Hans Steiner à la photo: apprentissage de commerce, un premier job de comptable… «Il rêvait de devenir photographe, mais son père ne le voulait pas! Photographe, à l’époque, ce n’était rien, comme chanteur ou peintre», constate Suzanne Widmer Steiner, la fille de l’artiste.

Après avoir travaillé pour des magasins de photographie, dans les Grisons puis à Berne, c’est dès 1932 que Hans Steiner va approcher le métier de «reporter», comme on disait du temps de Tintin – Hans Steiner est né en 1907, comme Hergé, ainsi que le relève le DVD.

Hans Steiner, un homme d’images, mais pas un théoricien. «On ne connaît pas du tout sa réflexion sur la photo. On a ses images, qui sont très parlantes à propos de la façon dont il a assimilé les réflexions des avant-gardes des années 20 et 30, qu’il a recyclées de son travail, mais il n’y a pas d’écrit théorique», souligne Jean-Christophe Blaser.

Un petit garçon en pantalon de laine face à la montagne immuable. Un autre s’apprêtant, à passer, terrorisé, une radiographie. La Suisse ancestrale contre celle qui se «technologise». Le premier escalator bernois, celui du magasin Loeb, en 1957. L’escalier en spirale de l’Union Postale Universelle, à Berne. Une machine à laver de 1945…

Les temps changent. Il y a les virils grimpeurs de l’Eiger dans les années 30. Des petits orphelins belges réfugiés en Suisse en 1945. Churchill en visite helvétique en 1946. Et puis le regard sur un secteur qui explose, les nouveaux médias: images de cinéastes, de photographes, de «speakers»… «Ce n’est pas que les médias qui montrent, mais les médias sont montrés», constate Jean-Christophe Blaser.

Refus de la nostalgie

Les images de Hans Steiner ratissent large, que ce soit au niveau thématique ou esthétique. On touche à la photo sociale, au journalisme, aux paysages, à l’architecture, au portrait, à l’objet… «Je crois qu’il était captivé par la beauté. Pas nécessairement celle de la nature, mais les formes, l’ombre, la lumière. Son œil se réveillait, il pouvait être saisi par l’image que renvoyait une maison, ou n’importe quoi d’autre», analyse Suzanne Widmer Steiner.

Difficile de trouver un réel point de vue politique dans l’approche de Hans Steiner – sinon une certaine officialité parfois, et une indéniable empathie sociale à travers ses portraits. «C’est la particularité de Steiner par rapport à une génération de photographes qui étaient très engagés politiquement, comme Paul Senn, par exemple», constate Jean-Christophe Blaser. 

«Lui, il a plus de recul, il s’intéresse à d’autres choses. Les photographes de l’époque étaient assez focalisés sur les problèmes sociaux, le fascisme, le chômage, la crise, la paupérisation des campagnes. On trouve ces thèmes-là chez Steiner, mais on trouve également tout un volet consacré à la naissance de la société des loisirs, ou aux femmes en tant que nouveau sujet historique en train d’émerger – la vision des femmes que donne Steiner est très dynamique, très actuelle en fait», ajoute-t-il.

Femmes skieuses, alpinistes, conductrices. Ou celle-ci, écoutant, en 40, un poste de TSF avec son fils. «C’est maman!», s’exclame Suzanne Widmer Steiner. Des femmes en maillot à la piscine, nageant, lisant. Dynamiques et cool. Nous sommes dans les années 50. Et, faut-il le rappeler, les femmes, en Suisse n’obtiendront le droit de vote qu’en 1971.

Un nouveau monde est en train de naître, et Hans Steiner le saisit, à travers l’œil du témoin avide de capter les métamorphoses du présent.

Que nous dit l’œuvre de Steiner de la Suisse de cette époque-là, en particulier celle des années 50? «La vision qu’il propose de la Suisse est optimiste. On voit une société moderne, en plein essor, en train d’émerger. Il n’y a pas de nostalgie dans sa photographie, on n’est pas dans un registre ‘ankerien’», répond Jean-Christophe Blaser.

Hormis certains clichés d’ordre plutôt familial (les week-ends à Rüeggisberg, les vacances dans les Grisons), Hans Steiner nous propose «une photographie essentiellement urbaine, raison pour laquelle elle nous parle tant aujourd’hui», constate Jean-Christophe Blaser.

A l’heure où le peintre Albert Anker (1831-1910) et ses descendants folkloristes semblent représenter pour certains la substantifique moelle de l’âme helvétique, il est bon de se rappeler que dans les années 50 déjà, certains avaient repéré la réalité d’une Suisse à venir, débordant largement du cadre étroit de l’image d’Epinal. 

Valorisation. Le Musée de l’Elysée possède depuis 1989 un fonds de plus de 100’000 images de Hans Steiner, qui a fait l’objet d’un vaste projet de restauration, de numérisation et de valorisation.

Collaborations. Le musée a pour cela collaboré avec l’Université de Lausanne, Memoriav, l’Institut suisse pour la conservation de la photographie de Neuchâtel et le Bureau pour l’histoire de la photographie de Berne.

Exposition. «Hans Steiner, chroniqueur de la vie moderne» est à voir au Musée de l’Elysée, Lausanne, jusqu’au 15 mai.

Livre. L’exposition est accompagnée d’un ouvrage bilingue français-allemand, présentant une sélection de 220 photographies de Hans Steiner, ainsi que des documents en couleur, tels que planches-contact ou couvertures d’illustrés. Plusieurs articles font le point sur les nombreuses recherches entreprises dans le cadre du projet.

 

DVD. En trente minutes, un choix de près de trois cents photographies «permet de traverser le XXe siècle en y intégrant l’histoire de la photographie, l’histoire de la Suisse et le destin original d’un photographe».

 

Site web. Un site a été développé pour l’occasion par le Musée de l’Elysée et l’Université de Lausanne.

L’exposition sera présentée dans plusieurs autres villes helvétiques:

 

Winterthour: Fondation suisse pour la photographie, 28 mai – 9 octobre 2011

 

Martigny: Médiathèque Valais, 29 octobre 2011 – 29 janvier 2012

 

Bellinzone: Museo Villa dei Cedri, 10 mars 2012 – 3 juin 2012

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