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L’ONU a-t-elle toujours du poids au Moyen-Orient?

Réunion sur Gaza à l'ONU
Tom Fletcher, secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et coordinateur des secours d’urgence, s’exprime lors d’une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies sur Gaza et le Moyen-Orient, au siège des Nations unies à New York, le 18 mars 2025. AFP / Angela Weiss

Mise sur la touche par Israël et les États-Unis dans le cadre du conflit au Moyen-Orient, l’ONU ne dispose que d’une étroite marge de manœuvre. Les experts estiment toutefois qu’aucune solution à long terme n’est possible sans les Nations unies.

En janvier dernier, le fragile cessez-le-feu de deux mois entre le Hamas et Israël avait été négocié par les États-Unis, l’Égypte et le Qatar. Il avait pour but de mettre fin à la guerre entre les deux camps, en trois étapes. Les Nations unies, qui ont historiquement toujours joué un rôle de médiateur de premier plan, n’ont pas été impliquées dans ce processus.

Tandis que la guerre entre le Hamas et Israël, déclenchée par l’attaque contre Israël par l’organisation islamiste il y a près de 19 mois, ne semble pas près de prendre fin, des experts et des observateurs estiment que l’ONU pourrait contribuer davantage à la résolution du conflit. L’organisation possède en effet les capacités de soutenir une solution politique, des forces de maintien de la paix, la distribution d’aide humanitaire et de défendre l’application des décisions juridiquement contraignantes du droit international.

Au lieu de quoi, l’ONU se voit de plus plus marginalisée au fil des négociations sur le Moyen-Orient, qui sont souvent menées de manière bilatérale, en-dehors du système multilatéral. Une tendance qui est due à la défiance grandissante d’Israël vis-à-vis des Nations unies.

«Historiquement, il y a toujours eu une implication de l’ONU dans les tentatives de résolutions du conflit au Moyen-Orient», déclare Marc Finaud, chercheur au Centre de politique de sécurité de Genève, et ancien diplomate français.

Carte du plan de partition de la Palestine de 1947
Kai Reusser / swissinfo.ch

En 1947, l’Assemblée générale des Nations unies décide du partage de la Palestine en deux États juif et arabe. Cela donne à Israël la légitimité pour déclarer son indépendance. «(Pour l’ONU), la partition de la Palestine était la base pour une solution au conflit au Moyen-Orient.»

Depuis lors, l’ONU s’est impliquée dans toutes les grandes tentatives de résoudre le conflit, de médiation via des résolutions, ou à travers le travail de terrain de ses agences. Cette contribution s’est avérée plus ou moins efficace, au gré des soutiens des puissances géopolitiques siégeant au Conseil de sécurité, soit les États-Unis, la Chine et la Russie.

Défiance grandissante de la part d’Israël

Le Conseil de sécurité de l’ONU adopte sa première résolution majeure en vue de régler le conflit à l’issue de la guerre des Six Jours, en 1967, au cours de laquelle Israël occupe la Cisjordanie, la bande de Gaza et Jérusalem-Est. La résolution pose les jalons d’une résolution politique et légale du conflit.

«La base la plus importante (pour une solution politique et légale du conflit) qui était mentionnée dans la résolution, établissait que l’acquisition de territoires par voie de guerre était inadmissible», explique Marc Finaud, précisant que cette pratique est en violation de la Charte de l’ONU.

L’approche multilatérale était simplifiée à l’époque, puisqu’aucun membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU n’avait mis de veto à cette décision. En dépit de la Guerre froide, il existait une forme de consensus parmi les membres permanents du Conseil de sécurité, explique Marc Finaud. «Cela a renforcé l’ONU.»

Dans de nombreuses résolutions, les Nations unies ont depuis appelé Israël à mettre fin à l’occupation, à cesser de construire dans des territoires occupés, et ont rappelé l’État hébreu à ses obligations dans le cadre du droit international. Un grand nombre de rapports effectués par des experts indépendants de l’ONU critiquent les violations des droits humains par Israël, entre autres des arrestations arbitraires, de la torture, des exécutions illégales et des châtiments collectifs.

Quand il fait l’objet d’accusations de violations du droit international et du droit humanitaire, l’État d’Israël invoque souvent des raisons de sécurité et son droit de se défendre.

Carte des territoires occupés par Israël en Palestine
Kai Reusser / swissinfo.ch

D’après Marc Finaud, Israël n’a plus confiance en l’ONU, à cause du fait que l’Assemblée générale s’exprime régulièrement en faveur de la solution à deux États.

Cette défiance d’Israël s’étend désormais aux organisations humanitaires onusiennes, qu’il empêche d’exercer librement depuis le début de la guerre à Gaza.

Toute aide humanitaire a ainsi été bloquée à l’entrée de Gaza par Israël du 2 mars au 19 mai, ce qui a suscité une forte condamnation de la part de l’ONU et de certains pays, comme la France et le Royaume-Uni.

Au Sommet de la Ligue arabe qui s’est tenu au début du mois de mars, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres a réaffirmé que l’acheminement d’aide humanitaire était non négociable.

Le refus d’acheminer de l’aide humanitaire constitue un crime de guerre dans le cadre du droit international humanitaire. Israël prétend que le Hamas stocke le matériel humanitaire, ce que le Hamas nie.

«Le gouvernement israélien actuel n’est pas favorable à des tentatives de résolution du conflit qui seraient menées par l’ONU», déclare Jan Egeland, secrétaire général du Conseil norvégien aux Réfugiés et ancien secrétaire général adjoint des Nations unies chargé des affaires humanitaires.

Depuis qu’Israël a rompu le cessez-le-feu le 18 mars, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a intensifié ses attaques contre Gaza, jurant de mettre la main sur toute l’enclave, afin de vaincre une bonne fois pour toutes le Hamas.

Israël s’est mis à privatiser l’aide humanitaire précédemment livrée et gérée, pour la majeure partie, par l’Agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (l’UNRWA), qui s’est vu interdire toute activité dans les Territoires palestiniens occupés depuis fin octobre dernier.

Les négociations bilatérales prévalent

«Les deux acteurs majeurs, Israël et les États-Unis ne veulent pas travailler avec l’ONU», déclare Cyrus Schayegh, professeur d’histoire internationale et politique à l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève (Geneva Graduate Institute).

L’administration actuelle dirigée par Donald Trump porte peu de considération au multilatéralisme. «Trump estime que les relations internationales doivent être conduites par des négociations bilatérales entre les gouvernements», analyse Cyrus Schayegh.

Selon Jan Egeland, l’ONU va rester cantonnée à un rôle de coordination humanitaire et de guide normatif pour les États membres, étant donné qu’Israël refuse de travailler avec les Nations unies pour résoudre le conflit.

Il reviendra aux États-Unis, aux États du Golfe et aux pays européens de faciliter les accords de paix, dit-il.

Néanmoins, les experts estiment que toute solution future pour la paix nécessitera un aval de l’ONU et son soutien dans sa mise en application.

«Un cadre politique pour résoudre le conflit au Moyen-Orient ne peut être défini que par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU», dit Marc Finaud. «Les fondations peuvent être préparées ou renforcées, comme pour le soutien au cessez-le-feu en janvier cette année, par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale de l’ONU.»

Jan Egeland estime également que les résolutions du Conseil de sécurité sont indispensables, en vue de conférer de la légitimité à des traités de paix éventuels, et pour définir un cadre nécessaire à leur mise en application, en admettant, bien sûr, que tous les membres du Conseil tombent d’accord.

Personnel de l'ONU devant les ruines d'un hôpital de Gaza.
Une équipe de l’Organisation des Nations Unies (ONU) inspecte le terrain de l’hôpital Al-Shifa, le plus grand hôpital de Gaza, qui a été complètement détruit par un pilonnage israélien de deux semaines. Afp Or Licensors

Le secrétaire général de l’ONU dispose aussi d’une autorité morale et peut également soutenir ce qu’on appelle des mesures de renforcement de la confiance, soit des mesures prises pour créer de la confiance entre des parties qui se trouvent en situation de conflit. «L’ONU peut faire beaucoup si on leur demande d’élaborer des mesures de renforcement de la confiance, comme des échanges de prisonniers, et des traités humanitaires», déclare Jan Egeland.

Cela pourrait constituer les premiers pas vers une «solution politique globale attendue de longue date», dit-il.

Mais les choses se compliquent même pour ce genre de mesures.

Un jour après la rupture du cessez-le-feu, Israël a tué un employé de l’ONU et blessé cinq autres au cours d’une attaque sur une enceinte qui portait clairement le sigle de l’ONU.

L’ONU a condamné l’attaque et a depuis décidé de retirer un tiers de la centaine d’employés internationaux qui travaillent dans la zone.

Le développement du droit international

Sur un plan légal, l’ONU peut avoir un impact sur l’issue du conflit à plusieurs niveaux.

La Cour pénale internationale (CPI), qui travaille en étroite collaboration avec l’ONU, a émis un mandat d’arrêt pour crimes de guerre, à la fois contre le président russe Vladimir Poutine après le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022 par la Russie, et contre Benjamin Netanyahu pour crimes de guerre commis à Gaza entre octobre 2023 et mai 2024. Pour Marc Finaud, il s’agit d’une démonstration que cette cour est au service de la loi, et que personne n’est au-dessus des lois.

En juillet 2024, la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction de l’ONU, a statué dans un avis consultatif que l’occupation des Territoires palestiniens par Israël est illégale. Plus récemment, elle a également appelé Israël à évacuer plus de la moitié d’un million de colons de Cisjordanie.

«La Cour développe le droit», estime Marc Finaud, qui ajoute que la CIJ a réaffirmé ce que l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité de l’ONU avaient déjà confirmé. Les juristes internationaux accordent de l’importance à cette décision de justice, qui devrait être prise en compte dans de futures négociations à propos d’une solution pour le conflit au Moyen-Orient.

«La décision de la CIJ fournit une base légale qui qualifie la situation d’occupation, donc la seule solution est le retrait des forces armées, explique-t-il. Le principe, c’est qu’Israël et la Palestine coexistent dans le cadre de leurs frontières reconnues.» Marc Finaud fait référence aux frontières définies en 1967, qu’on appelle aussi la Ligne verte.

Néanmoins, Benjamin Netanyahu a répété à de nombreuses reprises qu’il rejette le principe de la création d’un État palestinien.

Texte relu et vérifié par Imogen Foulkes, traduit de l’anglais pas Pauline Grand d’Esnon/op

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