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Le «devin de Napoléon»

Portrait du général Jomini par Charles Gleyres. Musée de Payerne

Ce 2 décembre marque le bicentenaire d'Austerlitz. La plus grande victoire de Napoléon est l'occasion de revenir sur l'œuvre d'Antoine Henri Jomini.

Ce Suisse est en effet celui qui aura le mieux compris la stratégie de l’Empereur. Il en a tiré des règles de tactiques qui jouissent de nos jours encore d’une grande renommée.

Jomini n’a pas directement participé à la bataille. «Il a cependant participé à la campagne d’Autriche en qualité d’aide de camp et chef d’état-major du maréchal Ney», rappelle Serge Ostrogradsky, l’un des descendants du général suisse.

Il a contribué à la victoire d’Elchingen (14 août) et a également participé à la prise d’Ulm, ville où il a d’ailleurs reçu son baptême du feu.

Un autodidacte

Jomini naît à Payerne (canton de Vaud) en 1779. Très tôt, il souhaite embrasser une carrière militaire, mais ses projets sont contrecarrés. Il ne peut notamment pas rejoindre le régiment de Watteville – au service du roi de France – en raison des troubles révolutionnaires.

Jomini entame alors une carrière commerciale. Mais cela ne l’empêche pas de s’intéresser à la chose militaire, en autodidacte. Les connaissances acquises lui permettent de devenir aide de camp du ministre de la Guerre helvétique en 1799, puis chef du Secrétariat de la Guerre.

Il quitte le service de la République helvétique en 1801 et rejoint Paris. Il s’y consacre notamment à l’écriture de son «Traité de grande tactique». En 1803, son manuscrit lui permet d’être remarqué par le maréchal Ney qui l’emmène comme aide de camp volontaire. Sa carrière est lancée.

Le «devin de Napoléon»

Dans ses ouvrages, Jomini observe différentes campagnes militaires – notamment celles de Frédéric le Grand et de Napoléon – et en tire des principes. Pour lui, la victoire peut être acquise en respectant quelques règles immuables: préférer l’attaque à la défense, toujours attaquer le point le plus faible ou encore prendre l’initiative des mouvements.

Ses considérations touchent aux différents aspects de la guerre: le combat lui-même, mais aussi le ravitaillement ou la logistique. En fait, Jomini propose une approche scientifique de la guerre.

«Jomini croit en la vertu des raisonnements scientifiques, déclare Ludovic Monnerat, spécialiste suisse des questions stratégiques. Il pense que la guerre, comme d’autres phénomènes sociétaux, répond à plusieurs principes qu’il s’agit de découvrir. Son ‘Précis de l’art de la guerre’ était en quelque sorte le premier manuel pratique des campagnes militaires modernes.»

Cette approche scientifique permet à Jomini de percer à jour la tactique de Napoléon et d’en décortiquer les bases. D’où le surnom de «devin de Napoléon» qui lui est parfois attribué. D’ailleurs, peu de temps après Austerlitz, l’Empereur lui-même est vivement impressionné à la lecture de Jomini.

Changement de camp

Grâce à l’appui de Ney et de Napoléon, Jomini fait une brillante carrière dans l’armée française. Nommé général de brigade et baron d’Empire, il participe à plusieurs campagnes.

Il participe grandement à la victoire de Bautzen (1813). Mais surtout, il évite la destruction totale de la Grande Armée lors de la désastreuse campagne de Russie en indiquant à Napoléon le point de retraite de la Bérézina. Jomini manque d’ailleurs de se noyer dans le fleuve pendant la retraite.

Mais, notamment à cause de l’hostilité persistante du maréchal Berthier, Jomini n’est pas nommé général de division. Déçu, il passe au service au tsar Alexandre Ier en 1813. Pendant longtemps, Jomini fait donc figure de traître parmi les bonapartistes.

«Certaines questions restent encore aujourd’hui assez polémiques, encore que le public puisse comprendre qu’à force de vexation, chacun peut être amené à changer d’employeur, relativise Serge Ostrogradsky. Jomini n’a par ailleurs jamais combattu la France.»

En Russie également, Jomini mène une brillante carrière. Il est successivement conseiller militaire du tsar et précepteur du futur Alexandre II. Après avoir participé à la création de l’Ecole de guerre russe, il est encore conseiller militaire lors de la Guerre de Crimée.

En 1855, il se retire à Paris où il meurt en 1869 à l’âge de 90 ans.

Un enseignement toujours actuel

Jomini fait figure de plus grand stratège européen avec le Prussien Clausewitz. Les théories de Jomini ont été en vogue durant tout le 19ème siècle et ont notamment été appliquées durant la Guerre de Sécession. Mais l’enseignement de Jomini reste encore d’actualité en ce début de 21e siècle.

«Ses principes généraux restent encore utilisés avec certaines variations au gré des armées, déclare Ludovic Monnerat. Dans l’armée suisse, par exemple, on parle des principes généraux de la conduite au combat pour désigner des concepts (concentration des forces, unité de commandement, surprise, etc) que Jomini a largement décrits.»

«Par ailleurs, Jomini a introduit des notions géométriques dans la conception des manœuvres (lignes d’opération, base d’opération, lignes de communication) qui existent toujours, moyennant quelques adaptations en fonction de l’évolution des techniques et des conflits», poursuit-il.

Mais les théories de Jomini sont également en vogue au sein de la plus puissante armée du monde, celle des Etats-Unis. «Au niveau tactique et opératif, l’armée américaine puise ses racines dans les idéaux d’Antoine Henri Jomini. Cette dépendance par rapport à la science militaire et à la méthode fait de l’armée américaine une institution jominienne», écrit le major Gregory R. Ebner sur le site officiel de l’armée des Etats-Unis.

«Lire Jomini aujourd’hui présente un intérêt didactique autant qu’historique, parce qu’il éclaire largement la pensée militaire dominante de notre époque, celle des Etats-Unis, note Ludovic Monnerat. Un officier suisse comprend ainsi mieux les règlements de l’OTAN après avoir lu Jomini!»

swissinfo, Olivier Pauchard

Antoine Henri Jomini a également joué un certain rôle en Suisse, son pays d’origine.
De 1799 à 1801, il est aide de camp du ministre de la Guerre de la République helvétique, puis chef du Secrétariat de la Guerre.
En 1814, il persuade le tsar de conserver à la Suisse son statut d’Etat neutre en Europe et l’influence très probablement pour conserver les 19 cantons nés de l’Acte de médiation.

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