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Les gestes révolutionnaires de l’art chez Beyeler

Détail de Morris Louis, Omega IV, 1959-1960, résine synthétique sur toile. © Morris Louis

La Fondation Beyeler de Bâle-Riehen commence l'année en beauté avec un regard novateur sur l'Action Painting, qui a révolutionné l'histoire de l'art.

L’exposition montre les racines européennes et américaines, du mouvement né autour de Jackson Pollock, et ses influences profondes.

L’Américain Jackson Pollock, jambes écartées sur sa toile, souvent la cigarette à la bouche, tenant pot de peinture et pinceau pour en projeter de vastes giclées: l’image est emblématique du mouvement de l’Action Painting, l’artiste devenant presque lui-même œuvre d’art.

Mais la Fondation Beyeler, qui consacre sa première exposition de l’année à ce «mythe de l’art moderne» qu’est le mouvement de peinture gestuelle, a le mérite de montrer que Jackson Pollock n’était de loin pas seul et que le mouvement a éclos et grandi au moins autant en Europe qu’aux Etats-Unis.

Une des premières toiles de l’exposition, «Le Tableau de Fribourg» d’Ernst Wilhelm Nay est à l’image de tout le parcours: elle permet de retrouver des artistes parfois oubliés et de les mettre en relation avec les «stars» que sont restées Pollock, de Kooning ou Cy Twombly.

Pour plusieurs d’entre eux, le choix d’œuvres permet aussi de suivre l’évolution de l’artiste. Des œuvres de Pierre Soulages avec couleurs sont ainsi présentées, puis un tableau à l’épais trait noir peint à la brosse. A partir de 1979, le Français ne peindra plus qu’en noir.

«Etre stoppé par un cadre de tableau est intolérable»

La Fondation Beyeler cherche à montrer les points communs entre Américains et Européens. De nombreux artistes ayant changé de continent avant, pendant ou après la guerre. C’est le cas d’Arshile Gorky, survivant du génocide arménien ou de Hans Hofmann.

L’Action Painting recourt souvent au grand format, voire au monumental, et c’est une autre révolution. Pour Clyfford Still, «être stoppé par un cadre de tableau est intolérable». Mais le choix de la grandeur n’est pas systématique. Une très belle série de pastels sur papier de Hans Hartung, montre que le principe surréaliste d’«écriture automatique» n’est pas loin.

Entre hasard et maîtrise, le tableau «Beta Epsilon» de Morris Louis semble laisser couler la couleur à plat en filets qui s’amenuisent vers le centre. La couleur «éclate» d’autant plus que le blanc de la toile est très présent.

Autre découverte: l’exposition permet d’appréhender la diversité et la richesse du mouvement. Chez Roberto Matta par exemple, l’Action Painting n’est pas incompatible avec les formes géométriques assez strictes.
Expérience de la guerre

Les couleurs des uns n’empêchent pas la noirceur des autres. Avec «Es ist alles vorbei, the city», l’Allemand Wols est entre deux. Cette explosion apocalyptique incarne le destin de l’artiste (1913-1951), qui ne se remit pas de l’expérience de la guerre.

Né en 1924, le Japonais Kazuo Shiraga pousse la logique de la peinture gestuelle à l’extrême en peignant avec ses pieds, suspendu à un câble et après avoir médité. L’épaisseur de la peinture est telle qu’elle en devient bas-relief.

Les tubes de peinture sont aussi très présents, mais d’une autre manière, chez Arman, qui les utilise en les collant les uns aux autres. Ailleurs, il les écrasera dans de la résine artificielle.

Deuxième génération

La deuxième génération d’artistes d’Action Painting, autour de Cy Twombly, d’Eva Hesse et de Gerhard Hehme, poursuit la recherche en trois dimensions, par exemple avec des fils et de la ficelle.

Au premier abord l’Action Painting semble bien loin. Mais il a continué à nourrir des générations d’artistes.

Dernière trouvaille, au sous-sol du musée: un choix des films de Hans Namuth sur Jackson Pollock, projetés en même temps et par un jeu de miroir, laisse – entre autres -– au spectateur l’impression d’être la toile recevant la peinture…

swissinfo, Ariane Gigon, Riehen

Nom donné en 1947 par le critique H. Rosenberg à propos de Jackson Pollock et de l’école de New York, aux techniques de peinture gestuelle. (Dictionnaire Robert des noms propres).

Jackson Pollock (1912-1956) en est le représentant emblématique. Le fait que des films l’aient immortalisé en pleine action et que d’innombrables photos de lui aient été diffusées n’y est pas étranger.

Pollock a systématisé le geste de l’artiste consistant à gicler et à verser la peinture sur la toile, sans plus l’appliquer au pinceau. De par son geste impressionnant, le corps de l’artiste devient ainsi partie du tableau.

L’Action Painting marque, juste après la deuxième guerre mondiale, une rupture radicale avec le passé.

L’exposition de la Fondation Beyeler jette un regard croisé sur les volets européen et américain de l’Action Painting.

Deux formes d’expression sont mises en valeur, le geste pictural et la couleur, qui est utilisée selon un principe de «hasard contrôlé».

L’exposition propose une centaine d’oeuvres de 27 artistes, parmi lesquels Karel Appel, Jean Fautrier, Sam Francis, Helen Frankenthaler, Arshile Gorky, Hans Hartung, Willem de Kooning, Lee Krasner, Ernst Wilhelm Nay, Jackson Pollock, Kazuo Shiraga, Pierre Soulages, Clyfford Still et Cy Twombly.

Certaines œuvres ont été très difficiles à obtenir, dit la Fondation, notamment «Search» de Jackson Pollock, qui passe pour sa dernière œuvre, ou encore le monumental «Tableau de Fribourg» d’Ernst Wilhelm Nay.

Un catalogue accompagne l’exposition, en allemand et en anglais.

L’exposition se tient jusqu’au 12 mai 2008.

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