Mais oui, la Suisse a une industrie des effets visuels…
Markus Gross, le scientifique zurichois qui vient de recevoir un Oscar Technique pour un programme d’effets visuels n’est pas le seul à travailler dans ce domaine, en Suisse. Un domaine dynamique et extrêmement compétitif.
«J’ai été très surpris», admet Markus Gross, professeur d’informatique à l’Ecole polytechnique fédérale (EPF) de Zurich, spécialiste de techniques de visualisation et directeur du laboratoire de recherche Disney installé au sein de la haute école. Le scientifique vient de recevoir, avec le reste de son équipe, un Oscar Technique pour un programme d’effets visuels («VFX» pour «visual effects» en anglais) qu’il a contribué à développer. Le prix, comme d’autres Oscars scientifiques, ont été remis le 9 février dernier par l’Académie des arts et des sciences du cinéma, en prélude aux prestigieux Oscars du cinéma attribués le 24 février.
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Là où il y a de la fumée, il y a un Oscar
«Je savais que la technologie que nous avons développée il y a quelques années avait été adoptée par de nombreux studios de Hollywood pour leurs effets visuels, mais je ne m’attendais pas à ce que nous recevions un Oscar si rapidement.» Concrètement, le programme développé par Markus Gross permet de créer rapidement des images de fumée et d’explosions très réalistes. De plus, cette technologie est bon marché. (vidéo ci-dessous).
Car les effets spéciaux, en général, coûtent cher. «Souvent, les clients suisses ne sont pas vraiment conscients des coûts que cette technologie engendre», explique Vincent Frei, co-fondateur et président de l’association «Swiss Made VFX», basée à Lausanne, qui entend promouvoir les artistes suisses travaillant avec des effets spéciaux visuels.
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Les explosions d’«Avatar» viennent de Zurich
«Les clients pensent qu’il n’y a qu’à appuyer sur certains boutons et que des dinosaures vont apparaître. Quand ils voient combien cela coûte, certains partent en courant», ajoute Vincent Frei. Il n’en demeure pas moins que la Suisse est un endroit important sur la carte mondiale des «faiseurs d’effets visuels».
«La Suisse n’a pas de grande industrie cinématographique, poursuit-il. De nombreux spécialistes d’effets visuels sont obligés d’aller à l’étranger. J’ai par exemple travaillé à Paris, Londres et Montréal. Des artistes de Zurich, qui est le centre des effets visuels en Suisse avec Genève, émigrent à Los Angeles ou en Allemagne.»
Rabais fiscaux
Tandis que des pays tels que le Canada, la Grande-Bretagne ou la Nouvelle-Zélande accordent des rabais fiscaux pour la réalisation de films (l’équivalent de 35 millions de francs suisses pour Avatar en Nouvelle-Zélande), la Suisse ne soutient que très peu ce genre de projets, critique Vincent Frei. Dans ce sens, l’Oscar Technique est «une très bonne nouvelle», affirme-t-il. Selon lui, la collaboration entre les universités et les studios de cinéma est une «situation win-win».
L’autre défi à relever par l’industrie suisse des effets spéciaux réside dans la nature des films tournés sur sol helvétique. Selon le spécialiste, les réalisateurs suisses préfèrent «les petits films tournés dans un appartement» aux grosses productions. «Ainsi, il a fallu sept ans pour réaliser Cargo, le premier film suisse de science-fiction, explique Vincent Frei. Ce type de projet prend vraiment du temps, en Suisse.»
Les principaux lauréats de la 85e cérémonie des Oscars, qui a eu lieu le 24 février au Dolby Theatre à Los Angeles:
Meilleur film: Argo, Ben Affleck
Meilleur réalisateur: Ang Lee (L’Odyssée de Pi)
Meilleur acteur: Daniel Day-Lewis (Lincoln)
Meilleure actrice: Jennifer Lawrence (Happiness Therapy)
Meilleur film d’animation: Rebelle (studio Pixar – Disney)
Meilleur film étranger: Amour, de Michael Haneke (Autriche)
Meilleur documentaire: Sugarman Rodriguez, Malik Bendjelloul
Effets spéciaux:L’Odyssée de Pi
Collaborations
Les effets visuels du film, qui a disposé d’un budget de 4,5 millions de francs suisses dont un demi-million pour la post-production, ont obtenu d’excellentes critiques. Ils ont été supervisés par Miklos Kozary, des Studios Elefant, basés à Zurich. Pour lui aussi, la collaboration entre hautes écoles et studio est un élément clé dans l’industrie du cinéma. «La recherche est vitale, surtout pour des productions à gros budgets nécessitant de nombreux effets qui n’ont encore jamais été réalisés.»
En 2012, les dix films à plus gros budgets (lien ci-dessous) comptent de très nombreux effets visuels, preuve que l’industrie VFX est plus essentielle à Hollywood que les grands noms de stars.
La société Elefant Studios collabore aussi avec la Haute école zurichoise de sciences appliquées. «Nous travaillons sur les «pipelines», soit la manière dont les données sont transmises entre artistes et la production des effets visuels», explique Miklos Kozary.
«Nous essayons d’être compétitifs sur le plan international, mais c’est difficile, car, comparée à la France ou à l’Allemagne, il n’y a pas vraiment d’éducation pour les effets visuels en Suisse, ajoute le spécialiste. Il est donc difficile de trouver de jeunes talents pour lancer de nouveaux projets. Les artistes qui partent à l’étranger, notamment sur de grosses productions hollywoodiennes, reviennent au pays avec de nouvelles compétences.»
C’est le cas de la moitié des Suisses qui forment 95% de l’équipe de Elefant Studios. Les studios occupent vingt personnes au total.
Les effets spéciaux (ou «SFX» pour «special effects») sont réalisés en studio ou tournés spécialement par une caméra. Les effets visuels («VFX») sont ajoutés en post-production par ordinateur.
Les VFX intègrent des scènes d’action et l’imagerie générée par ordinateur («computer-generated imagery», CGI) pour créer des environnements qui ont l’air réalistes et qui seraient impossibles, dangereux ou trop onéreux à recréer dans la réalité.
CGI est un programme de visualisation par ordinateur qui crée complètement ou en partie des images pour des œuvres d’art, pour les médias imprimés, les jeux vidéos, les films, les programmes de télévision, la publicité et la simulation d’images en général.
Obstacles
Raffael Dickreuter n’a pas lâché «son» rêve américain. Ce designer et photographe basé à Los Angeles a travaillé sur des blockbusters comme Terminator Renaissance, Hulk, Superman Returns et Iron Man.
«Je savais ce que je voulais faire dès l’âge de 16 ans, raconte-t-il. Mais le chemin a été long et difficile, puisqu’il m’a fallu près de neuf années. Mais je savais que je n’avais d’autre choix que de persévérer, malgré les refus et les obstacles», explique l’artiste, aujourd’hui âgé de 32 ans.
Selon lui, les obstacles à surmonter par les artistes voulant s’implanter à Hollywood vont de la «green card», ou l’obtention d’un visa de travail, à la réalisation d’un bon portfolio et la prise de contacts avec les personnes qui comptent.
«Depuis la Suisse, je ne connaissais absolument personne dans ce secteur. J’ai fini dans un bureau de design internet et j’ai appris la 3D et les effets visuels sur le tas», raconte Raffael Dickreuter. On lui a proposé un stage à Los Angeles en 2006 et la possibilité de travailler sur son premier grand film, Superman Returns. «C’est ainsi que les choses ont démarré», se souvient le jeune artiste suisse.
(Traduction de l’anglais: Ariane Gigon)
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