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Paul Booth, la noirceur à fleur de peau

Des tatouages à ne pas forcément mettre sur tous les bras... darkimages.com

Le tatoueur américain Paul Booth dévoile à Gruyères son goût pour la noirceur et le surréalisme. Rolf Kesselring s’est entretenu avec un pionnier du genre dont le travail est reconnu dans le monde entier.

En première européenne, Paul Booth expose ses œuvres au Musée HR Giger de Gruyères. Rolf Kesselring a conversé, entre New York et Bullet, dans le canton de Vaud, avec ce tatoueur amateur de dessins sombres et morbides.

swissinfo.ch: Si on doit te classer dans une tendance de l’art, quelle serait la catégorie qui te conviendrait le mieux?

Paul Booth: Je n’ai jamais été un grand amateur de catégories, peut-être est-ce dû à mon esprit rebelle. Cependant, si je devais être placé dans une catégorie, je trouve que dark surrealism (surréalisme noir) serait la meilleure appellation pour ce que je peins. Même si ce n’est pas un de mouvement artistique reconnu, chose que je ne comprends pas…

swissinfo: Nous avons tous des influences, tant en littérature, qu’en peinture ou en musique… Peux-tu nous en citer quelques-unes parmi les plus importantes?

P.B.: Je pense qu’il y a probablement plus d’influences qui te parviennent par le subconscient. Elles viennent de ce que tu vois et entends dans ta vie de tous les jours. Pour le côté des influences conscientes, je pense à des maîtres comme le Caravage, que j’ai toujours beaucoup admiré. Son style de poser le jeu de lumière dure et les contrastes ainsi provoqués m’a toujours intéressé.

Une autre référence est Michelange, bien sûr. Ses sculptures ont toujours eu un fort impact sur moi. Tout ce que je fais est comme l’acte de sculpter… que ce soit pour la peinture, le tatouage, un décor ou toute autre création. Je vois tout  comme sculpteur plus que comme peintre. La sculpture est à la base de ce que j’essaye de créer. Ce sont les éléments visuels que j’utilise pour développer la lumière et les ombres dans ma peinture. Depuis que j’ai découvert le travail de Michelange, dans ma jeunesse, j’ai toujours aimé l’idée de manipuler un espace à trois dimensions en peignant sur une surface plate, à deux dimensions.

Je crois que mon histoire comme tatoueur a vraiment influencé ma peinture à cause de ce que je viens de dire. Dans les influences, il y a bien sur HR Giger, raison pour laquelle cette exposition est tellement irréelle pour moi. Et puis il y a aussi Felix Leu, qui m’a dit des choses qui ont eu un impact majeur sur moi.

swissinfo.ch: Peux-tu nous parler de ta technique, de ton utilisation des huiles en fines couches, et de ta préférence pour le clair-obscur?

P. B.: Ma technique n’est pas très orthodoxe. Même si j’aimerais dire que j’imite des maîtres anciens, je trouve que ce n’est pas le cas. En tatouage, j’ai toujours utilisé mes propres techniques. Celles que j’ai développées moi-même. Je n’ai jamais tatoué comme on m’a dit de le faire. J’ai toujours fait les choses à ma manière, soit dans le tatouage, soit dans la peinture.

J’utilise mes doigts autant que mes pinceaux. Je peins en couches minces. C’est très tactile et parfois mon doigt est mieux adapté pour ce que je veux faire. Je crois que cela a une relation avec la mentalité de sculpteur, car quand je travaille avec l’huile sur une toile ou une planche, je suis visuellement et mentalement en train d’aller en dedans et en dehors de l’image. Je trouve donc naturel d’étaler la peinture avec mes doigts, ou avec un pinceau dans une main et le bout des doigts de l’autre.

J’adore peindre à l’huile! C’est comme sculpter. Pousser les couleurs à travers la toile, c’est obtenir la richesse et la profondeur… L’huile est incomparable par rapport à la gouache, à l’acrylique, ou tout autre produit.

swissinfo.ch: Penses-tu que tes nombreux voyages dans des pays comme la Russie, la Chine et autres ont eu un impact sur ton art?

P.B.: Oui, je pense que mes voyages ont eu un grand impact sur mon art.

Les voyages que j’ai faits ont changé la façon de voir le monde. Je comprends mieux les conflits et les différences culturelles. Cela m’a rendu plus tolérant.

En général, je suis intolérant pour les problèmes globaux, mais pas pour ceux qui appartiennent à la culture. Je trouve que les bêtises de l’espèce humaine sont universelles, mais pas au niveau de la culture. Le voyage m’a aidé à voir la différence entre ce qui vient de l’environnement et ce qui arrive par le côté sombre de la condition humaine, et peu importe d’où tu viens!

Venant d’Amérique, un pays ou l’art n’est pas très présent et offert dans les écoles et où l’on ne t’enseigne pas son histoire ni son appréciation, le fait de voyager en Europe et dans les autres pays du monde où l’art fait beaucoup plus partie de la vie, m’a donné un plus grand sens critique.

swissinfo.ch: Peux-tu nous parler d’un de tes projets majeurs, le ArtFusion Experiment, nous dire de quoi il s’agit et quelle direction cette expérience artistique a pris aujourd’hui?

P.B.: Tout a commencé avec Filip & Titine durant un festival de musique et tatouage en tournée aux Etats-Unis que j’ai en partie organisé pour la partie tatouage. Cela s’intitulait Tattoo the Earth Tour. Nous étions dans une région où nous n’avions pas le droit de tatouer et on s’ennuyait ferme. Il y avait beaucoup d’admirateurs autour de nous et nous avons décidé de faire quelque chose pour eux. Nous voulions partager avec eux.

Nous avons donc décidé de faire notre propre spectacle. Nous avons poussé les tables contre le mur, accroché des grandes feuilles de papier au mur et nous avons simplement commencé à dessiner et peindre. Très vite une rotation s’est faite entre nous à la manière du jeu des «chaises musicales». Nous avons constaté que le public présent appréciait cette démarche de création. Par la suite, nous avons voulu en faire une représentation.

Plus tard, cette idée est passée au tatouage. Filip et moi avons fait un tatouage ensemble, en fusionnant nos styles. Dans les années qui ont suivi, nous avons fait aussi des art camps (Littéralement «camps artistiques») qui n’étaient pas faits pour le public, mais juste pour les artistes. Cela s’est très bien passé, car les artistes peignant ensemble donnaient l’opportunité d’être à la fois maîtres et élèves. 

Il faut avouer que cette expérience est devenue une sorte de mouvement artistique dans le monde du tatouage. On en fait durant des conventions partout dans le monde, de l’Europe à la Russie et même jusqu’en Chine. Cet ArtFusion experiment a continué et a pris désormais sa vie propre.

D’ailleurs il est prévu de refaire cette performance au Musée HR Giger et peindre à nouveau en public avec Filip Leu & Titine K-Leu et Sabine Gafro. Il y aura aussi de la musique avec Ajja SF Leu et Billy. Cela me rend très heureux et réanimera encore une fois le projet. Organiser une réunion annuelle de l’ArtFusion experiment, quelque part dans le monde, me plairait beaucoup.

swissinfo: Comment décrirais-tu ton style de vie?

P.B.: Assez ennuyeux vu depuis l’extérieur, car je vis surtout dans ma tête. Je n’aime pas sortir. J’ai moins envie de voyager. J’aime rester à la maison. Ainsi j’ai plus de temps pour la peinture…

Je n’aime pas la foule. Je préfère inviter des amis à la maison pour visionner des films ou discuter. C’est peut-être à cause de mon âge. Après des années en public, je préfère désormais être en tête-à-tête avec quelqu’un.

J’aime les films d’horreur. Je ne regarde jamais les nouvelles. Je déteste la television. Je préfère rester dans mon monde. Mon studio Last Rites est comme un monde à part. J’y suis bien.

Le musée HR Giger a été inauguré en 1998 au cœur de la cité médiévale de Gruyères, dans le canton de Fribourg. Il présente l’œuvre de l’artiste suisse Hans Ruedi Giger, qui a notamment gagné en 1980 l’Oscar des meilleurs effets visuels pour sa participation artistique dans le film «Alien».

Le musée contient la plus grande collection existante d’oeuvres de HR Giger: peintures, sculptures, mobilier, décors de cinéma. D’origine grisonne, HR Giger s’est passionné très tôt pour la création fantastique et surréaliste. Il est connu pour ses dessins fantasmagoriques et cauchemardesques, mêlant l’organique et le mécanique, signe des œuvres mutantes à la frontière des deux mondes.

L’exposition Cruciatus Aeternum, présentant les œuvres de Paul Booth, est à voir jusqu’en mars 2012.

Né à Boonton, dans le New Jersey, Paul Booth est l’un des pionniers du tatouage morbide et satanique. Il a tatoué de nombreuses rock stars, de Kerry King (Slayer) à Phil Anselmo (Pantera). En 2006, il aurait dû tatouer le bras de Ozzy Osbourne, mais sa femme a refusé, craignant un résultat trop choquant.

Paul Booth a créé sa propre compagnie de production, en compagnie de deux autres tatoueurs de renommée mondiale, Filip et Titine Leu. Ce mouvement artistique a donné lieu à un film documentaire, The ArtFusion Experiment.

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