Des perspectives suisses en 10 langues

De Sierre à Delémont, une histoire commune

24 septembre 1978. Suite au vote positif du peuple suisse, le canton du Jura est né. Ce sixième canton romand entrera en souveraineté trois mois plus tard. A Delémont, c’est la liesse. Keystone

Oui, il existe une «patrie romande». Au moins depuis le début du 19e siècle. Et même depuis bien plus longtemps. C’est la thèse de l’historien Georges Andrey, dans «Une histoire à nulle autre pareille», le livre qui éclaire d’un jour nouveau l’identité commune des six cantons francophones.

L’auteur de L’histoire de la Suisse pour les Nuls, joli succès de librairie lors de sa parution en septembre 2007 est catégorique: «prétendre que la Suisse romande n’existe pas, cela revient à dire que la Suisse n’existe pas! C’est une provocation, car on trouve dès le Moyen Age des traités de combourgeoisie qui lient non seulement des villes romandes entre elles, mais aussi des villes romandes et des villes alémaniques».

Un long destin commun donc, qui fait de la Romandie une fille d’Helvétie. Et même si, historiquement, il n’y a ni peuple, ni nation, ni Etat romand, le terme «patrie romande» remonte à bientôt deux siècles. «Il est révélateur de la prise de conscience d’une identité romande», indique l’éditeur Emmanuel Vandelle dans la fiche de présentation du livre.

«Le projet est né en 2010 et, au départ, l’idée était plus simple: il s’agissait de recenser les lieux de mémoire en Suisse romande, comme les champs de bataille, les monuments, les paysages etc., explique Emmanuel Vandelle. J’ai contacté Georges Andrey, qui a accepté avec enthousiasme. Et sous sa houlette, le projet de départ a rapidement évolué pour se diriger vers l’identité romande dans son ensemble».

Au final, l’éditeur est très satisfait du résultat, qu’il n’hésite pas à qualifier de «synthèse magistrale de l’histoire de la Romandie. Une première sous cette forme!»

Un demi-millénaire pour faire la Romandie

«Dans le prologue de mon livre, explique pour sa part Georges Andrey, je dresse une liste de ce que cette Histoire à nulle autre pareille n’est pas: ni une histoire culturelle, ni une histoire économique ou sociale, ni même une histoire démographique, technique ou imagée».

Le récit se veut au contraire une histoire de la formation de l’identité romande dès le Moyen-Age, notamment au travers des combourgeoisies entre villes affranchies du régime féodal, dont le réseau s’étend et se densifie entre le 13e et le 16e siècles. Le livre est aussi une histoire de la formation des cantons romands, dès 1481 année de l’entrée de Fribourg dans la Confédération jusqu’en 1978, année de création du sixième «Etat romand», la République et canton du Jura.

Le processus s’étend donc sur un demi-millénaire… «Et encore», ajoute Georges Andrey. Pour lui en effet, la question jurassienne n’est pas résolue et il estime à titre personnel que «le Jura-Sud doit devenir le 27e canton suisse.»

800 concordats en deux siècles

L’historien fribourgeois, qui se définit comme «un papiste né à Lausanne» explore ensuite «l’histoire des relations entre cantons romands, de leurs rapports de force à partir du premier recensement fédéral de 1850, de leur vie commune au travers des concordats (plus de 800, en vigueur dès 1803).

Pour ce faire, il a pu compter sur «une excellente équipe de Romands». Il cite ainsi l’ancien ambassadeur de Suisse Jean-Pierre Villard, géographe de formation qui s’est occupé de la cartographie de l’ouvrage. «Il a fouillé les bibliothèques et les archives de Suisse romande et d’ailleurs pour y dénicher un trésor de cartes depuis le Moyen-Age. Au chapitre 2 du livre, on trouve même quatre cartes en noir et blanc confectionnées ad hoc, qui illustrent le réseau des combourgeoisies», ajoute l’historien, précisant que Jean-Pierre Villard envisage désormais d’écrire une géographie de la Suisse romande.

La paix des langues

L’historien n’a pas oublié les minorités germanophones en terre romande. Il décrit ainsi comment et pourquoi les cantons bilingues se sont formés: «ils assurent la soudure entre les deux principales communautés linguistiques du pays», explique-t-il notamment dans son introduction. Raison pour laquelle la Suisse n’a jamais connu de guerre des langues. Pour illustrer le processus de consolidation de la coexistence, la répartition du pouvoir et la mise en place d’un certain équilibre, Georges Andrey a choisi l’exemple de Fribourg, son canton d’origine.

«L’histoire romande, conclut l’auteur, est celle d’une Suisse en miniature car, comme la Suisse, la Romandie d’aujourd’hui est une et diverse, y compris en matière linguistique. Mieux, la Romandie majoritairement francophone respecte sa minorité germanophone, au même titre que la majorité nationale germanophone respecte la minorité francophone».

Peut-on dès lors supposer que le livre de Georges Andrey intéressera aussi les lecteurs d’outre-Sarine? «Il est encore trop tôt pour savoir s’il sera traduit en allemand» souligne l’auteur. Pour l’éditeur Emmanuel Vandelle, il s’agit avant tout «de trouver un éditeur alémanique intéressé». En attendant, l’ouvrage sera également distribué en France.

La Suisse romande, une histoire à nulle autre pareille, paru le 18 octobre 2012 aux Editions du Belvédère (Pontarlier/France et Fleurier/canton de Neuchâtel), 432 pages, avec 40 cartes choisies par le géographe vaudois Jean-Pierre Villard.

Né à Lausanne en 1939. Baccalauréat latin-grec en France. Licencié ès lettres et docteur en histoire de l’Université de Fribourg, Georges Andrey devient premier assistant à l’Université de Berne avant d’entrer au Département fédéral (ministère) des Affaires étrangères comme collaborateur scientifique tout en enseignant à l’Université de Fribourg.

Il est l’auteur d’une centaine d’articles scientifiques et d’une quinzaine de livres, en partie consacrés aux relations entre la Suisse et la France, pays qui l’a nommé officier de l’ordre des Palmes académiques en 2004.

Auteur de L’histoire de la Suisse pour les Nuls, paru en 2007, Georges Andrey a aussi signé un chapitre de la Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses. En avril dernier son livre, écrit à quatre mains avec Maryse Oeri von Auw, Marc Mousson, premier chancelier de la Confédération est paru aux éditions Cabédita.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision