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Une nuit… et puis le destin

Détail d'une «couverture lumineuse». swissinfo.ch

Entre récit et roman, «La Nuit du Destin», signé Asa Lanova, embarque le lecteur dans une Alexandrie mystérieuse et ésotérique.

Rolf Kesselring s’y est plongé avec bonheur et parfois… un peu d’agacement.

Je me suis toujours surpris à choisir mes lectures dans un grand désordre, avec un appétit de mort-de-faim, laissant au hasard et au destin la sélection de mes plaisirs.

J’ai remarqué, aussi, qu’un détail peut orienter ma main lorsque, parmi tous les ouvrages à ma portée, j’en saisi un parmi les autres. Quelquefois, le nom de l’auteur m’intrigue, d’autres c’est le titre qui attire mon attention, ou encore la couverture qui m’attire.

Dans le cas présent, une conjonction majeure m’a conduit à prendre en main l’ouvrage d’Asa Lanova intitulé «La Nuit du Destin», et qui vient de paraître chez Bernard Campiche.

La nuit du plaisir

Jusque-là, je ne connaissais cet(te) auteur(e) que par son nom que j’avais vu, repéré, dans les fournées régulières de parutions qui, avec régularité, meublent et s’empilent sur ma table de chevet.

Cette nuit-là, sans doute à cause du destin, je mis la main sur une couverture lumineuse. Un paysage composé d’un village arabe ocre et orangé, dominé par un ciel crépusculaire tirant sur des vieux rose et des mauves.

Mes yeux captèrent le nom de l’auteur, puis le titre… Intrigué, je me mis à lire. C’est de cette manière que, presque toujours, débutent mes soirées solitaires. Pour moi, lire est un plaisir subtil et enivrant, très égoïste. Et ce soir-là, cette petite jouissance s’intitulait: «La Nuit du Destin».

La nuit des temps

D’une écriture pleine d’émotion, de vibrations, de saveurs pudiques, Asa Lanova dessine les contours d’une ville mystérieuse, envoûtante, agaçante. Il s’agit d’Alexandrie-la-millénaire, la tutélaire, l’immuable et dévorante ville du delta du Nil. Cette cité, Asa Lanova la connaît parfaitement. Elle l’aime avec passion. Elle la déteste aussi, parfois: «Bien-aimée, exécrable Alexandrie!» s’écrie-t-elle dès les premières pages.

Et puis, il y a ce personnage nommé Ismaël Ouardiri qui devait devenir diplomate et qui s’engage dans une sorte de franc-maçonnerie locale, très proche de l’ésotérisme soufi, et qui se nomme «Les Aigles d’Osiris». Subtil mélange entre les mystères des anciennes croyances et l’univers religieux actuel. Perpétuelle et énigmatique Alexandrie.

Ismaël fera une rencontre qui pulvérisa son destin. Histoire d’amour, de vie et de mort. Que du banal, que de l’extraordinaire… Mais est-ce que cette trame n’était pas écrite d’avance ? Au début, comme avec une démarche apparemment saoulée d’odeurs, de souvenirs, d’images, l’écriture hésite à se livrer avec l’impudeur nécessaire pour bâtir ce héros. D’ailleurs tout le livre hésite entre récit et roman.

La nuit du lecteur

Moi qui, auparavant, n’avais jamais lu un texte d’Asa Lanova, je comprends immédiatement pourquoi sa biographie comporte autant de prix littéraires, de récompenses du même tonneau. Les références, les citations, les tournures maniérées, qui peuplent et engrossent quelquefois le texte, me repoussent et me laissent au bord de la colère. Frustré! J’attendais plus… Au bord de la colère, dis-je, parce que ces scories culturelles m’obstruent la vue et l’entendement, m’irritent, et, au final, me gâchent le plaisir de lire.

Pourtant tous les ingrédients d’un livre captivant étaient là: cette ville grouillante et fantasque et ces personnages troubles à souhaits; sans parler de cette société secrète et de cette «Nuit du Destin» qui parlent à l’imagination.

Il y a aussi ce héros qui doit, serment prêté, opérer une alchimique transformation spirituelle afin d’accéder à cette sagesse suprême (ou supposée telle!) que doit lui insuffler la dissolution de son égo, de sa personnalité propre, dans le creuset philosophique de la confrérie de ces «Aigles d’Osiris». Et soudain, malgré lui, il est projeté dans une destinée imprévue.

Et je ne parle pas de cette écriture qui sporadiquement me prouve, avec une extrême pudeur, toutes les brûlures, toutes les douleurs, qui tourmentèrent et façonnèrent l’esprit de l’auteur(e).

La violence du destin

Asa Lanova, malgré ce pseudonyme sibyllin, est vaudoise. Elle ne peut le nier. Son pays est ici. Son pseudonyme devient transparent lorsque l’on sait certaines choses de sa vie.

Par exemple: passionnée par la danse, elle devient ballerine sous l’égide des maîtres russes qui, à l’époque, faisaient et défaisaient la danse à Paris et dans le monde. Ensuite, travaille avec Raymondo de Larrain, successeur du célébrissime Marquis de Cuevas. Par la suite, il y aura Béjart ou Serge Golovine. Soudain, presque brutalement, elle arrête cette carrière prometteuse. Elle se fait solitaire, s’initie à l’art de tisser, pour se tourner peu à peu vers l’écriture. Rien que l’écriture…

Quelle violence du destin poussée vers ce parcours atypique? Quelle nuit du destin a-t-elle vécu, par le passé, pour être pareillement blessée ? Pour pareillement crier ses douleurs?

Peut-être devrait-elle se souvenir que «La Nuit du Destin» (La Nuit d’Al-Qadr) s’appelle aussi «La Nuit de la Puissance»… Que c’est durant cette nuit proche de la fin du jeûne que des révélations surviennent et que toute son existence peut changer. Peut-être a-t-elle aussi oublié que, selon la tradition, cette nuit là vaut mille mois et plus. Peut-être qu’à l’instar d’Ismaël tout cela était aussi écrit… rien que pour elle dans le Grand Livre du Destin.

swissinfo, Rolf Kesselring

Née en 1933 à Lausanne, Asa Lanova devient danseuse de ballet chez Maurice Béjart puis dans différentes compagnies prestigieuses (celle d’Yvette Chauviré, de Raymondo de Larrain, et surtout de Serge Golovine).

De retour en Suisse, elle pratique le tissage artistique dans une vieille ferme vaudoise à Epalinges avant de devenir écrivain.

Son premier récit, «La dernière migration», est publié à Paris par Régine Deforges. Trois de ses ouvrages parus chez Bernard Campiche évoquent Alexandrie, où Asa Lanova a vécu de 1994 à 1999. «Le blues d’Alexandrie» (1998), «Les jardins de Shalalatt» (2001) et «La Nuit du Destin» (2007).

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