Des perspectives suisses en 10 langues

Darius Koehli, gros plan sur la chair humaine et urbaine

Darius Koehli

Le photographe zurichois établi en Espagne expose à Barcelone et à Gérone ses dernières réalisations. Rencontre avec un artiste qui cultive les contrastes, passant des plages à la jungle des villes.

La Suisse, Darius Koehli la porte en bandoulière. Sur son épaule, un grand sac barré du mot «Zurich» lui donne l’allure d’un voyagiste chargé de vanter les mérites d’un pays aux montagnes couronnées d’étoiles. C’est du moins ce que suggère le motif du sac. Mais ce n’est pas du tout ce que revendique Darius Koehli, photographe de son état, qui, dans un sourire amusé, avoue que ses rapports avec Zurich – où il est né – sont tout sauf commerciaux. D’ailleurs son sac n’est qu’une coïncidence, il l’a gagné lors d’un concours.

Et puis on a beau insisté pour lui faire dire qu’il y a une certaine fierté à afficher ainsi son appartenance, rien n’y fait. Il dit que non. Que Zurich, c’est tout propre, tout «choli», mais ça reste quand même un grand village comparé à Barcelone «la sauvage» où lui, Darius, «très urbai », «latin» et «pas mal chaotique», vit depuis 1987, avec toujours beaucoup de bonheur.

Par amour pour une femme

Il avait débarqué dans la capitale catalane par amour pour une femme. Il y est resté par amour de la mer. Il habite d’ailleurs à un jet de pierres des plages, à Poblenou, un quartier situé dans «la partie basse de la ville, précise-t-il, et réservé jadis aux activités industrielles.»

Ce n’est qu’en 1992, avec l’arrivée des Jeux Olympiques et de leurs protagonistes, que Poblenou a été totalement repensé et reconstruit, prenant aujourd’hui des allures de quartier balnéaire, avec des plages célèbres, comme Nova Icària, Bogatell et Barceloneta.

L’été, c’est la marée humaine. Des milliers de personnes étendues là, à se dorer la pilule, à exhiber leur corps parfait ou leur maillot qui boudine. Deux saisons durant (2007 et 2008), Darius Koehli, muni d’une caméra compact, a traqué ces corps. Il les a fixés en une vingtaine de photos qui font aujourd’hui l’objet d’une exposition présentée à la Kowasa Gallery, à Barcelone, sous le titre «BCN Fashion Beach».

Le Tché sur les fesses

En matière de «Fashion» (mode), on peut dire que le photographe n’a pas raté son zoom. Les gros plans insistent sur la disparité des goûts. Sous l’œil de la caméra, les genres se mélangent sans complexe: le raffiné et le philistin, le noir et le blanc, le beau et le laid, le sacré et le profane.

Tout est permis ici. Si le Tché arbore un sourire sur les jolies fesses d’un jeune homme, la Sainte Vierge, elle, paraît bien recueillie sur une serviette de plage aux couleurs criardes.

Darius Koehli joue des contrastes. La mer, il la voit aussi dans son rapport à l’imaginaire, ce qu’il y a de plus absurde dans l’imaginaire. Sur l’une des photos, un homme en maillot de bain piétine les vagues, skis sur l’épaule. Sur une autre, un baigneur, tout de noir vêtu, défie la marée humaine, faux à la main.

«Les gens ici me disent: «Ah! Les plages de Barcelone, c’est incroyable comme vous les voyez!», glisse Darius Koehli. Nous en tout cas, on le voit comme un photographe du quotidien. Son travail se rapproche de l’art hyperréaliste américain. On le lui fait remarquer. Il rectifie : «Je suis ‘un photographe de rue’, ce qui m’intéresse avant tout, c’est capter une atmosphère.»

Balcons voilés de linge

Hors des plages, donc, et de leur ambiance de détente, c’est la vie urbaine de Poblenou que Darius Koehli révèle dans le cadre d’une autre exposition présentée, quant à elle, au Palau Solterra, à Gérone, sous le titre «Sauròpolis». Immeubles populaires, balcons voilés de linge, vieux murs balafrés de tags, petites places publiques, bretelle d’autoroute… forment ici une série de photos prises de jour ou de nuit.

Koehli dit y avoir laissé beaucoup de son cœur. «C’est une déclaration d’amour à mon quartier», précise-t-il. Quelque chose de mélancolique filtre de ces habitations, de ses rues livrées parfois à la solitude des villes. Une atmosphère façon Edward Hopper.

La comparaison plaît à Darius Koehli. Il en est même fier. Mais lui, se verrait plutôt du côté de Robert Frank, de Lee Friedlander ou de William Klein, des photographes qu’il apprécie, comme beaucoup d’autres artistes d’ailleurs auxquels il consacre une partie de son temps, en faisant comme il dit «du commissariat.»

Sur la Toile, le Zurichois a donc sa galerie virtuelle: photolounge.eu. «Elle me sert de plateforme, explique-t-il, pour organiser des expositions et faire circuler des œuvres photographiques. J’ai même un catalogue de vente sur Internet.»

Marchand d’art, il l’est aussi, avec néanmoins un goût prononcé pour la sobriété qui, en général, se marie mal avec l’amour du gain. Mais c’est ainsi. Son personnage laisse éclater les contrastes, comme ses photos.

Ghania Adamo de retour de Barcelone, swissinfo.ch

Deux expositions de photos de Darius Koehli:
«Sauròpolis», à voir au Palau Solterra, à Girona (Catalogne), jusqu’au 13 septembre.
«BCN Fashion Beach», à voir à la Kowasa Gallery, Barcelone, jusqu’au 31 juillet.

Origines. De nationalité suisse et espagnole, il est né à Zurich en 1960.

Formation. Il reçoit sa formation au Rochester Institute of Technology (New-York), de 1982 à 1983, puis à l’Ecole nationale de photographie d’Arles, de 1984 à 1985.

Débuts. Il commence d’abord à travailler comme reporter et portraitiste pour de nombreuses revues suisses.

Agence. En 1987, il s’établit à Barcelone où il fonde et dirige, de 1991 à 1993, l’Agence de photographies «Vision».

De 1995 à 1997, il travaille pour une agence internationale Agefotostock.

Carrière. Son œuvre est exposée dans plusieurs manifestations importantes en Europe, dont celles d’Arles et de Barcelone.

Galeriste. Parallèlement à son travail de photographe, il exerce le métier de commissaire d’exposition et dirige sur Internet une galerie virtuelle, www. photolounge.eu, qu’il a fondée en l’an 2000.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision