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Le Portugal champion de la vaccination, la Suisse loin derrière

Plakat einer Impfkampagne in Portugal
Aucun pays ne compte plus de personnes vaccinées que le Portugal. Les causes sont multifactorielles, mais le traumatisme de la polio et le vice-amiral Henrique Gouveia e Melo n'y sont probablement pas pour rien. AFP

Le Portugal est le pays qui affiche le taux de vaccination contre le coronavirus le plus élevé au monde. Environ 98% des plus de 25 ans ont reçu deux doses, de même que 85% des jeunes. Avec un taux de seulement 72%, la Suisse se classe parmi les moins bons élèves d'Europe. Qu’a fait le Portugal différemment?

Le gouvernement suisse vient de lancer une nouvelle offensive pour tenter de raviver sa campagne de vaccination contre la Covid-19. De son côté, le Portugal a annoncé la dissolution de la task force dédiée à l’effort vaccinal, car sa mission a été menée à bien: 2% seulement de la population âgée de plus de 25 ans n’a pas reçu ses deux doses.

Chez les jeunes entre 12 et 24 ans, le taux de vaccination s’élève à 85%. La Suisse, elle, affichait début novembre un taux de 72% chez les plus 25 ans, l’un des plus bas d’Europe. Pourquoi une telle différence?

La mobilisation en Suisse de plusieurs groupes opposés à la vaccination ne permet pas à elle seule d’expliquer ce faible taux, affirme Urte Scholz, professeure de psychologie sociale et de la santé à l’Université de Zurich. Les sceptiques sont effectivement en plus grand nombre qu’au Portugal, où il y a très peu de contestataires, mais ne constituent pas la majeure partie des personnes non vaccinées, constate la professeure.

«Nous ne devrions en aucun cas considérer les personnes non vaccinées comme des complotistes», souligne-t-elle. Ce sont en réalité les individus indécis qui font pencher la balance: au début de l’été, une fois que toutes celles et ceux qui voulaient être vaccinés avaient reçu leurs deux doses, la courbe s’est vite aplatie. «Les doutes et les préoccupations de nombreuses personnes n’ont pas été pris en compte assez rapidement», analyse Urte Scholz.

Une question de confiance

Pourtant, la population portugaise était particulièrement réticente au début de la pandémie, avant que les vaccins ne soient disponibles. C’est ce qu’a constaté l’économiste de la santé Pedro Pita Barros, qui enquête régulièrement depuis avril 2020 sur les préoccupations, les attitudes et la volonté de se faire vacciner des Portugaises et Portugais. Il récolte ainsi de précieuses données dans le cadre du sondage transnational sur le coronavirus, l’European Covid Survey (ECOS).

Dans tous les pays étudiés, le nombre de personnes indécises était plus important avant le lancement des vaccins sur le marché. «Mais nulle part ailleurs qu’au Portugal la courbe a chuté de façon si nette», indique Pedro Pita Barros, qui enseigne à la Nova School of Business & Economics de Lisbonne. Les inquiétudes semblent avoir disparu quasiment du jour au lendemain.

Part de personnes entièrement vaccinées dans la population totale, à la mi-octobre 2021. swissinfo.ch

«Les Portugaises et les Portugais ont une très grande confiance dans le système de santé publique, déclare l’anthropologue Cristiana Bastos, spécialiste des questions sanitaires et des épidémies à l’Université de Lisbonne. Cette confiance s’étend également aux commissions nationales de vaccination et à leurs recommandations.»

En plus de la commission permanente de vaccination du Portugal, la Direction générale de la santé a mis sur pied il y a un an une nouvelle instance chargée exclusivement de la Covid-19. Une fois le feu vert donné aux premiers vaccins disponibles, presque rien ne retenait la population portugaise de se faire injecter ses deux doses le plus rapidement possible.

Bien sûr, le système de santé publique portugais comporte aussi des lacunes, admet Cristiana Bastos. Par exemple, le temps d’attente élevé pour les interventions planifiées. «Toutefois, la couverture des soins de base fonctionne très bien», affirme-t-elle.

La façon dont la prise en charge est organisée au Portugal joue aussi un rôle: chaque personne est attribuée à l’un des innombrables centres de santé de proximité, les «Centros de Saúde», et s’y voit attitrer un ou une médecin, ainsi qu’un infirmier ou une infirmière. Il peut directement les contacter en cas de grippe, de perturbations menstruelles ou de vaccination à effectuer.

«Ce suivi personnalisé sur de longues années permet d’instaurer la confiance et de lever rapidement d’éventuelles incertitudes», explique le médecin Válter Fonseca, qui dirige la commission nationale de vaccination contre la Covid-19.

L’attitude des Portugaises et des Portugais face à la vaccination est généralement bienveillante. «Le programme national est un succès», relève Válter Fonseca. Le taux de vaccination contre la rougeole, les oreillons ou la poliomyélite figure parmi les plus élevés d’Europe, alors que le pays ne dispose d’aucune obligation vaccinale. «Hormis quelques exceptions, la société perçoit les vaccins comme quelque chose de bénéfique et d’indispensable», confirment les spécialistes Cristiana Bastos et Pedro Pita Barros.

Par ailleurs, les conséquences dramatiques de la propagation de la poliomyélite et de la rougeole ont davantage marqué les esprits au Portugal qu’en Suisse. Alors que le nombre de cas de polio a rapidement chuté au milieu des années 50, cette maladie a continué d’effrayer la population portugaise jusque dans les années 70, rappelle Pedro Pita Barros.

La réussite de la campagne portugaise de vaccination contre la Covid-19 est aussi le fruit d’une planification et d’une logistique efficientes. Après un lancement laborieux de la task force sous la direction de l’expert de la santé Francisco Ramos, le vice-amiral Henrique Gouveia e Melo a repris les commandes en février. «Ses méthodes claires et directes ont rapidement remis la campagne sur de bons rails», se souvient Pedro Pita Barros.

La population a été invitée par tranches d’âge à se faire vacciner. Les personnes n’ayant pas pris de rendez-vous ont reçu plus tard un SMS automatique afin de leur proposer une date d’injection. Contrairement à Francisco Ramos, qui a été membre du gouvernement socialiste portugais durant de nombreuses années, le vice-amiral a sans doute accordé moins d’attention aux sensibilités politiques, estime l’économiste de la santé.

Déficit de communication

«Le fédéralisme a énormément d’avantages en temps normal, mais en période de crise il fonctionne tout simplement trop lentement», déclare Suzanne Suggs à propos de la situation en Suisse. L’experte en communication et santé publique est membre de la task force scientifique Covid-19 de la Confédération, une structure qui conseille les autorités durant la pandémie.

«Les décisions devraient pour une fois pouvoir se prendre rapidement et de manière centralisée», souligne Suzanne Suggs. Pourtant, le gouvernement helvétique a commencé très tôt à consulter les cantons et évite le plus possible d’empiéter sur leur autonomie.

La structure politique de la Suisse ne suffit toutefois pas à expliquer son faible taux de vaccination par rapport aux autres pays européens, relève la membre de la task force.

«Lorsqu’il s’agit du vaccin contre la Covid-19, la population doit beaucoup trop souvent se démener pour trouver elle-même les informations, alors que ces connaissances pourraient être communiquées directement aux gens, regrette Suzanne Suggs. Il est choquant de constater combien de Suissesses et de Suisses, particulièrement des jeunes, sont insuffisamment informés.»

L’accessibilité est déterminante dans ce genre de situation: elle implique non seulement une procédure d’inscription simplifiée, des lieux facilement accessibles et des heures de rendez-vous arrangeantes, mais également une prise en compte rapide des doutes et des questions de toutes et tous, ainsi qu’une communication active des réponses auprès de la population.

«Beaucoup de fausses informations atteignent les gens plus facilement que des connaissances sérieuses sur la vaccination», confirme la professeure en psychologie sociale et de la santé Urte Scholz.

Discuter avec les personnes indécises et chercher à comprendre leurs doutes, par exemple en les appelant au téléphone, ou alors faire du porte-à-porte dans son propre quartier et échanger avec le voisinage sont des stratégies de communication qui ont fait leurs preuves, notamment aux États-Unis et en Israël, affirme Suzanne Suggs.

«Mais en Suisse, les gens semblent avoir des réticences à l’idée d’être perçus comme soutenant ouvertement la vaccination contre la Covid-19». Dans une certaine mesure, ce constat vaut également pour les autorités fédérales, relève la membre de la task force.

Le caractère volontaire de la vaccination n’a cessé d’être martelé ces derniers mois: «Nous n’avons pas suffisamment souligné que la vaccination était aussi une question de responsabilité sociale et de solidarité, indique Suzanne Suggs. De nombreux messages officiels au sujet du vaccin sonnaient plutôt comme l’annonce de la disponibilité d’un produit.»

Pour Urte Scholz, la campagne locale de vaccination a aussi cruellement manqué de personnalités modèles et médiatrices. Il aurait pu s’agir de footballeuses ou de footballeurs de l’équipe nationale (une tentative qui a lamentablement échoué), mais également du président ou de la présidente de l’association culturelle locale, du curé du village, ou de la personne qui entraîne l’équipe d’unihockey de la commune.

La professeure en psychologie sociale et de la santé est convaincue que ces personnalités auraient pu jouer un rôle majeur auprès des gens qui ne s’informent pas forcément de l’évolution de la pandémie en lisant la presse ou en regardant le téléjournal. «À l’époque, Elvis a presque restauré à lui seul la réputation du vaccin contre la poliomyélite en se faisant piquer sous l’œil des caméras de télévision»

Se rapprocher des personnes indécises

Les deux scientifiques pensent que la nouvelle offensive vaccinale de la Confédération va faire bouger les choses. Avec des centres de vaccination mobiles et des consultations en tête-à-tête ou par téléphone, les derniers obstacles qui freinent les personnes indécises devraient être progressivement levés.

D’après Urte Scholz, la disponibilité depuis quelques semaines du vaccin Johnson&Johnson pourrait conduire à une hausse des rendez-vous. «Le manque de confiance dans les vaccins à ARN messager, les seuls utilisés jusqu’ici en Suisse, est la principale source de réticence chez de nombreuses personnes», indique-t-elle. Le sérum de Johnson&Johnson repose sur une base différente et ne nécessite qu’une seule dose.

Finalement, Urte Scholz estime que le certificat Covid obligatoire ainsi que la fin de la gratuité des tests pourraient avoir un effet sur la campagne de vaccination: «Il est vrai que des incitations positives seraient socialement plus acceptables, mais les dernières mesures mises en place encourageront néanmoins davantage de personnes à se faire vacciner.»

Marie Vuilleumier

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