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Les syndicats doublement au front

Les députés socialistes Géraldine Savary et Christian Levrat, également président du Parti, ont donné quelques coups de masse pour la bonne cause. Keystone

L'argent public ne doit pas servir à acheter des produits de l'une ou l'autre forme moderne d'esclavage. C'est le thème de la Journée mondiale pour le travail décent. Les syndicats suisses s'y associent, sans oublier que même au pays de la Paix du travail, il est encore des luttes à mener.

Il ne manquait que la chaleur. Mardi, l’Oeuvre suisse d’entraide ouvrière (OSEO) avait transformé symboliquement la Place fédérale de Berne en enfer du travail forcé, pénible, dangereux pour la santé et payé une misère.

But de l’opération: attirer l’attention sur les conditions inhumaines dans lesquelles des hommes – et surtout des femmes et des enfants – taillent les blocs de pierre bordant nos trottoirs (Inde), cousent les ballons avec lesquels jouent nos écoliers (Pakistan) ou fabriquent les tissus qui habillent le personnel de nos hôpitaux (Chine).

Le message que veulent faire passer l’OSEO, la gauche politique et les syndicats est simple: en Suisse, les collectivités publiques achètent chaque année des fournitures pour quelque 36 milliards de francs. Elles sont donc en position de force pour faire évoluer les choses.

«On n’y avait pas pensé»

Sur le site Internet de la campagne, une carte de Suisse signale les lieux où la question des achats publics équitables est à l’ordre du jour.

Pour l’heure, on y compte une trentaine de points. Dans certains cas, on a déjà décidé de ne plus acheter de pierres douteuses, alors que dans d’autres, on n’en est encore qu’au stade de la pétition, de la motion ou du projet de règlement.

«La plupart des responsables à qui nous nous adressons répondent qu’ils n’y avaient jamais pensé, constate Christian Engeli, responsable de la communication pour l’OSEO. Il est vrai que dans ce pays, on est nettement plus avancés dans la prise de conscience écologique que dans la prise de conscience sociale».

Malgré cela, les premiers résultats sont jugés encourageants. «A ce rythme, on peut espérer un changement en quelques années, ce qui est plutôt rapide s’agissant de choix politiques», se réjouit le porte-parole de l’organisation.

Un changement qui pourrait également être initié par l’Etat central. Le projet de nouvelle loi fédérale sur les marchés publics prévoit en effet que les fournisseurs doivent respecter au moins les conventions de l’Organisation internationale du travail, lesquelles interdisent notamment le travail forcé, le travail des enfants et les discriminations de toutes sortes.

Pour Christian Engeli, c’est un progrès appréciable, même si l’OSEO aurait souhaité que le texte soit plus explicite. Mais le Parlement peut toujours décider de la modifier dans ce sens.

Précarité en Suisse aussi

En attendant, et par les hasards du calendrier, cette Journée mondiale tombe la veille de l’ouverture du congrès d’Unia, première centrale ouvrière du pays (200’000 membres environ), née il y a quatre ans de la fusion des syndicats de l’industrie, du bâtiment, de la métallurgie et du tertiaire.

Un congrès prévu sur trois jours à Lugano, et où on rappellera que même si les conditions ne sont en rien comparables, il existe aussi en Suisse des travailleurs à statut précaire.

Ainsi, Unia dénonce les méthodes du «hard discounter» allemand Aldi. Selon le syndicat, les tranches horaires de 14 heures et le travail sur appel sont monnaie courante dans les magasins suisses de la chaîne. Et les employés, souvent des femmes, y sont engagés à 50% mais doivent être prêts à travailler à temps plein.

«On se bat dans pas mal de domaines où les gens sont très précarisés, explique Anne Rubin, porte-parole d’Unia. On vient de signer une Convention collective de travail (CCT) qui devrait protéger les temporaires, et on a des revendications aussi pour le personnel de maison et bien sûr la vente».

La vente, domaine traditionnellement très peu syndiqué. Comme l’est d’ailleurs l’ensemble du secteur tertiaire, où les gens sont souvent isolés et bien loin de la culture d’entreprise que peuvent partager par exemple les travailleurs d’un même atelier.

Lutter pour les acquis

S’ils tentent d’étendre la protection des travailleurs à de nouveaux domaines, les syndicats doivent aussi lutter pour le maintien des acquis, contre ce qu’Anne Rubin qualifie d’«UDCisation» d’une partie du patronat (en référence au sigle UDC du parti de la droite nationaliste).

«On assiste à un durcissement assez clair, surtout en Suisse alémanique, où certains commencent à refuser le partenariat social», note la porte-parole d’Unia. Et de citer pour exemple la résiliation unilatérale de la CCT de la construction, qui a déclenché un conflit de plusieurs mois avant que ne soit trouvée une solution acceptable pour les deux parties.

Pour les syndicats, ce bras de fer a eu valeur de test. Car en moyenne, le travailleur helvétique est moins bien protégé par la loi que son collègue européen. «Le droit du travail est plus normatif, plus protecteur en Europe, alors qu’en Suisse, il est très minimal», rappelle Anne Rubin. D’où l’importance d’avoir de bonnes CCT.

swissinfo, Marc-André Miserez

Pour le syndicat Unia, il est faux de «dépenser les milliards des contribuables pour racheter les créances pourries des banques». Cet argent doit plutôt être injecté dans l’économie réelle, notamment dans l’isolation des bâtiments et les énergies renouvelables. Car la Suisse «doit de toute manière investir dans une reconversion écologique et socialement durable de son économie».

Le programme de politique économique d’Unia prévoit également une baisse des taux directeurs des banques, une politique de dépenses publiques qui stimulerait la conjoncture et «un arrêt aux hausses abusives des prix du courant par les barons de l’électricité».

Il recommande également de revoir l’imposition des revenus des «top-managers» et des bénéfices des entreprises, ainsi que d’accorder pour l’année prochaine des hausses de salaires substantielles aux travailleurs, afin de renforcer leur pouvoir d’achat.

Le 19 juillet 1937, après une grève de deux mois, les syndicats de la métallurgie et les patrons du secteur horloger signent une convention collective de travail (CCT) par laquelle les uns s’engagent à ne plus appeler à la grève et les autres à ne plus recourir au «lock-out» (fermeture provisoire d’une usine destinée à briser une grève).

Cette convention passera dans l’histoire comme celle de la «Paix du travail». Aujourd’hui, plus de 600 CCT régissent les différentes branches de l’économie suisse, où l’on préfère généralement la négociation à l’affrontement.

Mais en tout, les CCT ne règlent les rapports de travail que d’un peu plus du tiers des personnes employées en Suisse. Les autres sont soumises à la législation sur le travail, que les syndicats jugent généralement insuffisante.

Malgré la Paix du travail, le droit de grève est garanti par la Constitution et les débrayages ne sont pas aussi rares qu’on l’imagine, que ce soit pour s’opposer à des licenciements ou pour faire pression lors de la négociation ou du renouvellement d’une CCT.

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