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Eicher et Djian allument leur festival à Chillon

Pour le public, une rencontre rare.

Ouverture du 43ème Jazz Festival à Montreux... et au Château de Chillon, étonnante extension du MJF. Un joli métissage entre littérature et musique superbement inauguré par Stephan Eicher et Philippe Djian. Comme à la maison!

Le 43ème Montreux Jazz Festival, c’est parti! Vendredi, par 32° à l’ombre, les quais ont renoué avec leur animation festivalière, la rue principale de Montreux a retrouvé le goût de bouchon et les parkings de la ville leur saturation annuelle.

D’un point de vue plus musical, la manifestation a débuté par une soirée trépidante et salsa dans le vaste Auditorium Stravinsky et un déluge électro au Miles Davis Hall.

Mais nous, c’est au Château de Chillon que nous nous sommes rendus.

Silhouette célèbre sur son éperon rocheux jouxtant le Léman, haut-lieu du tourisme helvétique, qui à l’instar du Cervin et du pont de bois de Lucerne, orne les boîtes de chocolat et fait se déplacer les cars de touristes japonais notamment.

Du «Prisonnier de Chillon» à «Déjeuner en paix»

My hair is grey, but not with years,
Nor grew it white
In a single night…


C’est ainsi que commence «The Prisoner of Chillon», écrit en 1816 par Lord Byron. Un texte qui sera dit ce 12 juillet, dans les sous-sol du château, par le comédien suisse Jacques Roman.

Cette année-là, Byron était en Suisse avec le couple Shelley. Découverte des rives lémaniques. Balade en bateau. Halte au Château de Chillon. Et découverte de l’histoire de François de Bonnivard qui, au 16ème siècle, fut emprisonné deux fois dans les cachots du Château, des cachots situés au dessous du niveau de l’eau. Byron va s’emparer du personnage, lui consacrer ce long poème qu’est «The Prisoner of Chillon», et le métamorphoser en symbole de la résistance à toute oppression…

Moins héroïque mais non moins littéraire, le duo de ce soir. Nous sommes dans l’Aula magna du château, une vaste cheminée médiévale faisant office de fond de scène…

Côté cour, en chemise blanche, le chanteur Stephan Eicher, né à Münchenbuchsee, près de Berne, en 1960, auteur d’une grosse quinzaine d’albums depuis le début des années 80, et actuellement émigré en terre camarguaise.

Côté jardin, en T-shirt noir, l’écrivain Philippe Djian, né à Paris, l’homme de «Bleu comme l’enfer» ou «37.2 le matin», plus récemment de la série «Doggy Bag», qui habita à une époque à Vers-chez-les-Blanc, village vaudois dont le nom bizarre devint titre de roman chez l’auteur français.

Entre les deux, une collaboration qui remonte à 1989 – Eicher pour la musique et Djian pour les paroles – avec l’album «My Place», et qui pour le public sera marquée en particulier par un tube géant, «Déjeuner en paix»…

Entre amis

– C’est pas un peu fort, les projecteurs? demande Philippe Djian, surpris par la chaleur.
– C’est le show-business, Philippe, répond Eicher.
– C’est chaud quand même, conclut Djian.


Le ton est donné. Stephan Eicher, rompu à l’exercice de la scène, cabotin et détendu. Philippe Djian, l’homme de plume habitué au travail en solitaire, pas immédiatement à l’aise face à un public, mais qui semble y prendre goût au fur et à mesure que la soirée avance et que l’audience (une salle d’environ 250 personnes) manifeste son enthousiasme.

Comment ne serait-ce pas le cas, avec cette impression de pénétrer dans le dialogue artistique des deux hommes, qui a suscité tant de chansons. Impression d’entrer dans leur dialogue artistique et dans leur dialogue tout court: comme si l’on passait une soirée dans leur salon, complices plutôt que public.

Les anecdotes fusent. Les mots et les notes défilent. Des chansons connues: «Pas d’ami comme toi», «Confettis», «La rivière»… Beau contraste entre le ton de Djian, prosaïque, sans lyrisme ni affectation, et le principe même de ce qu’est une chanson, principe qu’Eicher remet sur les rails lors des refrains.

Devenir adultes

D’autres textes, inconnus ceux-là: des paroles que Djian a données à Eicher, mais qui ne sont pas (encore?) devenues chansons. C’est alors «Vipère», ou «Son soulier droit la blesse». «Celle-là, on aime bien la faire ensemble… on va essayer avec vous», annonce Djian.

Et puis, incursion sur le terrain spécifique de l’auteur: l’écrivain nous lit trois pages de son dernier roman, encore inachevé, Stephan Eicher égrenant quelques arpèges pour l’accompagner. Magique.

«Déjeuner en paix» conclura leur prestation. La voix de Djian disant ses propres vers fait qu’on est soudain presque étonné d’entendre le refrain de cet énorme tube. Bon sang, mais c’est Eicher! Ah oui, c’est vrai, c’est une vedette qu’on a devant nous. Tiens, on avait oublié. Comme on avait oublié qu’on était dans un «spectacle».

Le duo sort. Revient. S’envoie des vannes. Stephan Eicher pouffe: «Excusez-nous, on s’amuse. Qu’est-ce qu’on va faire quand on sera adulte?» On commute du rire à l’émotion: la chanson «Tu ne me dois rien», suivi de «Louanges». Par la fenêtre ouverte, on entend les vagues du Léman frapper les rochers.

Philippe, Stephan, si vraiment vous aviez un jour à devenir adultes… ne changez rien.

Bernard Léchot, Montreux, swissinfo.ch

43ème. Le 43ème Montreux Jazz Festival se tient du 3 au 18 juillet.

Animations. A côté des concerts dans les deux grandes salles du festival (Auditorium Stravinsky et Miles Davis Hall), maintes animations sont au programme, dont les croisières musicales sur le Léman, les multiples concerts gratuits, les workshops instrumentaux, les concours.

Eicher. A noter que Stephan Eicher se produira le dimanche 5 juillet au Miles Davis Hall en compagnie du chanteur allemand «finn».

DERNIERE MINUTE: Prince. C’est bel et bien Prince qui concluera le MJF 2009 avec deux concerts donnés le 18 juillet, l’un à 19h00, l’autre vers minuit.

Jacques Roman, 12 juillet
Dans le cachot du château de Chillon, le comédien Jacques Roman dit «Le prisonnier de Chillon», la voix portée par l’accordéon de Stéphane Chapuis.

Marianne Faithfull, 14 juillet
Marianne Faithfull lit des Sonnets de Shakespeare, accompagnée par le violoncelle de Vincent Segal.

Denis Matsuev, 17 juillet
Le jeune pianiste russe Denis Matsuev joue les «Trois mouvements de Petrouchka» qu’Igor Stravinski composa tout près de là, à Clarens.

Veytaux. Il est situé à Veytaux, à quelques kilomètres à l’est de Montreux.

Multiples propriétaires. Ses constructions primitives datent d’avant l’an 1000. Le château a appartenu successivement aux Evêques de Sion, à la maison de Savoie dès le milieu du XIIe siècle, à l’Etat de Berne de 1536 à 1798 puis au Canton de Vaud dès son indépendance en 1798.

Ilot. Le Château, complètement transformé et considérablement agrandi au 13e siècle est construit sur un îlot rocheux face au défilé de l’ancienne route d’Italie. Il est constitué d’un ensemble de quelques 25 corps de bâtiments.

Livre. Un petit ouvrage intitulé «Chillon» et signé par le photographe Régis Colombo vient de paraître aux Editions Favre.

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