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Fait-on rire de la même manière à Montreux et à Abidjan?

Mirko Rochat et Prissy la Dégameuse devant la façade du Dycoco à Abidjan. Gaessler-thierry

Le Montreux Comedy vient d’ouvrir à Abidjan, en Côte d’Ivoire, le premier Comedy Club d’Afrique francophone, le Dycoco. Une expansion qui illustre l’intérêt croissant pour l’humour et le stand-up en Suisse et sur le continent africain. Interview croisée de deux humoristes, un Suisse et une Ivoirienne.

Le Montreux Comedy Club est devenu, depuis sa création en 1989, une référence incontournable sur la scène de l’humour francophone. La manifestation vaudoise a désormais une antenne à Abidjan, en Côte-d’Ivoire.

Son fondateur et directeur, Grégoire Furrer, est également à la tête de la salle de spectacle du Dycoco, un lieu de formation qui «incarne parfaitement les ambitions de son groupe en Afrique francophone».

Mais comment devient-on humoriste en Suisse et en Côte d’Ivoire? Les difficultés sont-elles les mêmes? Et fait-on rire de la même manière à Montreux ou Abidjan? Éléments de réponse avec l’étoile montante de la scène de l’humour suisse Mirko Rochat, 38 ans, et l’humoriste ivoirienne star Prissy la Dégameuse, 32 ans, qui ont tous deux représenté leur pays au festival international qui s’est tenu récemment au Dycoco Comedy Club à Abidjan, dans le cadre de la Semaine de la Francophonie.

swissinfo.ch: Choisir la voie escarpée de l’humour, est-ce plus facile en Suisse ou en Côte d’Ivoire?

Mirko Rochat: En Suisse, on m’a d’abord dit que cela serait compliqué, voire impossible. Alors j’ai appris et pratiqué un métier dit normal, l’horticulture, puis j’ai géré une jardinerie pendant 15 ans. C’est la mode des «comedy clubs» en France et en Suisse qui m’a permis de monter sur scène, et de réaliser que j’avais le pouvoir de faire rire des gens, comme quand j’étais petit. Après 2 ans de stand-up, ma passion s’est professionnalisée. Je suis alors reparti de zéro, j’ai écrit mon premier spectacle, basé sur une série de personnages que j’avais envie d’incarner. Et je me suis lancé.

«Notre plus grand travail consiste à adapter nos différents sketches en fonction de la sensibilité du public qui est devant nous, afin de les rendre compréhensibles»

Prissy la Dégameuse, humoriste ivoirienne

Prissy la Dégameuse: Mes débuts en Côte d’Ivoire furent relativement faciles. C’était un délire assez nouveau que de poster des vidéos d’humour sur internet. Mes premières parodies d’artistes ont fait le buzz, en Côte d’Ivoire, mais aussi au Mali et au Burkina Faso. C’est devenu plus difficile quand j’ai voulu devenir professionnelle, car le stand-up était encore inconnu. Et mon humour différent de celui des grands humoristes qui m’avaient précédé. Au début, les gens ne le comprenaient pas, mais moi, j’y croyais, j’ai continué à faire des sketches à ma sauce, et cela a marché.

Vous étiez la seule humoriste femme du festival. Cela change-t-il quelque chose?

Prissy la Dégameuse: Je pense qu’il n’y a pas de différence avec les hommes et je n’ai aucun problème à ce niveau. C’est la compétence qui compte. Quand tu fais de l’humour, tu donnes ce que tu as, tu présentes ce que tu connais, et c’est au public de juger. Il n’y a pas de rire féminin ou de rire masculin.

Certes, il y a toujours des gens qui vont essayer de te mettre des bâtons dans les roues, mais c’est aussi le cas pour les hommes.

Répétition sur la scène du Dycoco. Gaessler-thierry

Lorsque vous interprétez vos personnages en dehors de la Suisse, est-ce que vous modifiez vos textes?

Mirko Rochat: Je n’ai jamais cherché à régionaliser mon humour avec des expressions typiquement suisses. Depuis mes débuts, j’ai décidé que si je faisais un sketch avec des personnages, ils devaient être compris aussi bien à Paris, qu’à Bruxelles ou en Suisse. À Abidjan, les gens ont bien ri lorsque j’ai interprété une fille en pleine organisation de son mariage ou une influenceuse. Preuve que si l’humour est bon, il est sans frontières.

Selon vous, une vanne qui fait rire à Abidjan fait-elle rire de la même manière à Montreux, Montréal ou Yaoundé?

Pressy la Dégameuse: Nous parlons tous français, mais nos accents et nos contextes sont très différents. Notre plus grand travail à nous humoristes consiste donc à adapter nos différents sketches en fonction de la sensibilité du public qui est devant nous, afin de les rendre compréhensibles. Ce qui se fait presque naturellement. Chez moi en Côte d’Ivoire, je fais certains sketches assise sur une natte; si je suis en Suisse, je chercherai un autre accessoire puisque vous n’avez pas de natte! Cela ne veut pas dire que je dénature mon spectacle, mais simplement que je l’adapte.

L’engagement du Montreux Comedy à l’international, c’est important pour vous?

«Grâce au Montreux Comedy, j’ai pu venir présenter de la culture à une autre culture, à une période où la culture est en berne en raison de la pandémie, et ça, c’est un gros cadeau»

Mirko Rochat, humoriste suisse

Prissy la Dégameuse: Le Dycoco Comedy Club à Abidjan, c’est vraiment une aubaine à saluer, une grande opportunité pour les nombreux talents que compte la Côte d’Ivoire et, plus largement, la scène de l’humour francophone. On s’y rencontre tous et toutes sur la même scène, on échange, sans complexe d’infériorité ou de supériorité, c’est ce qui est merveilleux. Les formations proposées par le Dycoco nous permettent d’acquérir des codes qui nous manquent peut-être pour l’international. Car l’objectif d’un artiste, c’est aussi de pouvoir vendre et présenter ce qu’il sait faire sous d’autres cieux.

Mirko Rochat: L’échange culturel, c’est formidable. J’ai découvert à Abidjan un public curieux, bienveillant. En venant jouer dans un autre pays, on a toujours un peu peur que les gens ne comprennent pas notre humour. Ici, je ne suis personne. Mais c’est pareil lorsque je joue à Paris. En Suisse aussi, je dois travailler à conquérir un public. Grâce au Montreux Comedy, j’ai pu venir présenter de la culture à une autre culture, à une période où la culture est en berne en raison de la pandémie, et ça, c’est un gros cadeau.

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