Des perspectives suisses en 10 langues

Fribourg: la sale conjugaison

Une image tirée de «Jénine...Jénine» de Mohammed Bakri. Festival de Fribourg/Image du film "Jénine...Jénine"

Le 17e Festival international de films de Fribourg présente une section intitulée «Documentaires en compétition».

Et à l’écran se confondent les disparus argentins et les morts de Jénine. En attendant les victimes irakiennes.

Ces jours-ci, certains films se regardent accompagnés d’un goût particulièrement amer dans la bouche. C’est le cas notamment avec certains documentaires en compétition.

Le passé, lointain ou récent, nous revient. Dur. Féroce. Et se mêle au présent, avec son actualité chargée de gesticulations guerrières, de répressions sanglantes et d’humanité toujours prête à s’auto-mutiler.

Le passé au présent

Ainsi, «Raymundo», des Argentins Ernesto Ardito et Virna Molina, raconte la destinée du réalisateur Raymundo Gleyzer. Au cours des années soixante et soixante-dix, la dictature argentine en progression. Années de plomb. Et dans le sillage de la révolution cubaine, dans l’ombre du Che, l’opposition qui se durcit.

Raymondu Gleyzer en fait partie, qui signe quelques brûlots (notamment «Mexique, la révolution congelée», qui fut Léopard d’Or à Locarno) qui le rendront sulfureux aux yeux du pouvoir. Mais le 27 mai 1976, sous l’ère des généraux, le cinéaste est enlevé par un groupe paramilitaire, et disparaît à tout jamais. On sait simplement que la torture ne l’épargnera pas.

Témoignages de ses proches. Images d’archives. Le film est sans doute trop long, trop plein, mais qu’importe, ces images lointaines, oubliées, paraissent soudain très proches.

«Ce n’est pas un film sur les disparus, mais sur les révolutionnaires. Car Raymundo Gleyzer a été un révolutionnaire avant d’être un disparu», déclare Virna Molina, la co-réalisatrice.

Le présent déjà passé

Raymundo Gleyzer et ses amis croyaient que «le cinéma est une arme». Peut-être Mohammed Bakri partage-t-il ce point de vue. Le réalisateur palestinien a immortalisé le camp de Jénine ravagé, dans les jours qui ont suivi le terrible assaut israélien, en avril 2002.

La polémique a précédé la projection du film: un membre du comité d’honneur du festival, Vital Epelbaum, a réclamé, en tant que «juif suisse», que «Jénine… Jénine» soit retiré de l’affiche. Le film étant, selon lui, un véritable appel à la haine à l’encontre des juifs.

Or on voit finalement assez peu de haine dans ce film. Surtout de la consternation. De la douleur. De l’humiliation. Et de l’incompréhension: «Pourquoi les résolutions internationales ne s’appliquent-elles jamais à Israël?», s’interroge un vieux Palestinien, accablé.

Soyons honnête, la haine, on la voit tout de même dans les yeux d’une fillette au visage doux, une fillette dont les yeux, normalement, devraient être innocents. Elle affirme sa fierté, et sa colère, pour toujours. A propos des Israéliens, elle dit: «Ce sont eux les perdants. Comment pourront-ils réparer le passé?»

Les opposants à la diffusion de ce film souhaiteraient-ils un meilleur équilibrage des points de vue politiques? Peut-être y aura-t-il matière à un documentaire sur les victimes israéliennes, lorsque la petite fille devenue grande, mais à jamais fissurée par le traumatisme de Jénine, aura choisi de se transformer en bombe humaine…

Le présent, malheureusement

Juste avant le générique final de «Raymundo», Ernesto Ardito et Virna Molina inscrivent George Bush senior parmi les responsables de la mort du cinéaste. George Bush, alors patron de la CIA, qui cautionna et soutenu la dictature militaire. Comme dans la bouche des Palestiniens atterrés, le nom de Bush – junior, cette fois-ci – côtoie celui de Sharon.

Retour à la maison. J’allume la télévision, pour prendre des nouvelles du monde de l’instant. Le mot «Bush» déferle sur toutes les chaînes. Ces jours, on engrange de bonnes images d’actualité.

De celles qui serviront à illustrer des documentaires dans deux, cinq, dix ou vingt ans. Des documentaires qui parleront de morts. De douleur. D’humiliation.

swissinfo, Bernard Léchot, Fribourg

– Le Festival international de films de Fribourg se tient jusqu’au 23 mars.

– Parmi ses différentes section, “Documentaires en compétition” présente dix films en provenance de dix pays différents.

– Des oeuvres que les organisateurs ont voulu “personnelles et engagées”.

– Parmi celles-ci, “Jénine… Jénine” du palestinien Mohammed Bakri et “Raymundo” du couple argentin Ernesto Ardito et Virna Molina.

– Le jury de cette compétition est constitué du journaliste Charles-Henri Favrod, créateur du Musée de l’Elysée à Lausanne, ainsi que des réalisateurs Samir et André Gazut.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision