Polluants éternels: les Etats décident d’interdire un PFAS

À Genève, les négociations internationales ont abouti à une avancée majeure: l’ajout d’un polluant éternel à la liste noire de la Convention de Stockholm. Un pas supplémentaire vers la régulation du «poison du siècle».
C’est une avancée discrète mais majeure dans la lutte contre les «polluants éternels», ces substances nocives qui s’accumulent dans l’environnement et les organismes vivants. Réunis à Genève du 28 avril au 9 mai à l’occasion des conférences des parties aux Conventions de Bâle, Rotterdam et Stockholm (BRS)Lien externe, les États membres ont décidé d’interdire la production et l’utilisation des PFCA (acides perfluorocarboxyliques à longue chaîne), un polluant appartenant à la famille des PFAS.
Utilisées pour leurs propriétés imperméabilisantes et antiadhésives, les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) – prononcées «pifasses» – ont envahi notre quotidien. On les retrouve dans les poêles en téflon, les pesticides, les emballages alimentaires, les cosmétiques, les vêtements techniques, les pneus, le fart des skis, les batteries de voitures électriques, les mousses anti-incendies… mais aussi dans les eaux minérales,Lien externe le lait maternel et jusqu’au sang qui coule dans nos veines.
L’ampleur de la pollution liée à ce «poison du siècle» se précise de jour en jour. En Europe, au moins 23’000 sites seraient pollués aux PFAS, d’après une enquête du «Forever Pollution Project»Lien externe. La Suisse n’est pas épargnée: elle compterait sur son sol au moins 240 «points chauds» de contamination (voir la carte ci-dessous).
Ces substances nocives, qualifiées de «polluants éternels», s’accumulent dans l’environnement et seraient associées à divers problèmes de santé, dont certains cancers, des troubles thyroïdiens, de fertilité et une baisse de l’immunité. En Valais, la pêche a ainsi été interdite dans le canal de Stockalper et dans plusieurs étangs fortement contaminés.
Une avancée importante, mais insuffisante
L’interdiction de production et d’utilisation des PFCA à longue chaîne, qu’on trouve notamment dans les mousses anti-incendie, les textiles, les cosmétiques et les emballages alimentaires, devrait entrer en vigueur dans les Etats parties à la Convention de Stockholm – dont la Suisse – dès le 1er janvier 2026.
«C’est un pas dans la bonne direction, d’autant plus que les PFCA regroupent environ 200 composés , estime Giulia Carlini, juriste au Centre pour le droit international de l’environnement (CIEL). Mais il reste encore des dizaines de milliers d’autres PFAS qui échappent à toute régulation.»
Jusqu’à présent, seuls trois types de PFAS figuraient dans la Convention de Stockholm, qui vise à éliminer ou restreindre les polluants organiques persistants: les PFOS, dont l’usage est limité à quelques exceptions, ainsi que les PFOA et PFHxS, dont la production et l’utilisation sont interdites à l’échelle mondiale.
Cependant, des dérogations existent, précise la juriste. Pour les PFCA, désormais inscrits, des exemptions sont prévues pour la construction de semi-conducteurs destinés aux pièces de rechange, notamment pour les véhicules à combustion, pour une durée transitoire de cinq ans.
«On ne peut pas se permettre cinq années d’empoisonnement supplémentaires, sachant que ces substances continueront de s’accumuler dans l’environnement et dans les organismes vivants. Même si l’on arrêtait toute production de PFAS dès demain, on continuerait d’en subir les conséquences sur le long terme», alerte-t-elle. Selon une étude publiée en janvier, la dépollution de l’Europe des PFAS pourrait coûter jusqu’à 2000 milliards d’euros sur vingt ans. «Il faut viser une interdiction totale, et au plus vite.»
Quelque 350’000 substances chimiques sont utilisées dans le monde, mais seule une infime partie fait l’objet d’une régulation internationale. C’est tout l’enjeu des conventions dites BRS (pour Bâle, Rotterdam et Stockholm), qui réunissent 187 États à Genève. Leur mission: encadrer le commerce, l’utilisation et l’élimination des substances les plus dangereuses pour la santé humaine et l’environnement.
Cette année, les négociations portent notamment sur le démantèlement des navires, la gestion des déchets électroniques et les nombreuses zones grises dans le contrôle des produits toxiques. En plus des PFCA, deux autres polluants (les chlorpyrifos, un pesticide et les paraffines chlorées) pourraient être ajoutés ces prochaines heures à la liste noire des Conventions de Stockholm.
Interdire l’ensemble des PFAS sortirait toutefois du périmètre de la Convention de Stockholm, estime Martin Scheringer, professeur de chimie environnementale à l’EPFZ et président du groupe d’experts international sur la pollution chimique (IPCP): «Ajouter une substance prend au moins trois ans. La Convention n’a pas été conçue pour gérer des milliers de substances, mais pour encadrer quelques produits hautement préoccupants.» Face à l’ampleur de la contamination des polluants éternels, il plaide pour des mesures complémentaires afin de viser une interdiction plus globale.
Vers une interdiction universelle?
Alors que la prolifération des PFAS inquiète, plusieurs pays commencent à légiférer. En février, la France a adopté une loi interdisant dès 2026 les PFAS dans certains produits de consommation – cosmétiques, textiles d’habillement, fart de ski – à l’exception des ustensiles de cuisine et de certains vêtements de protection, comme ceux des militaires ou des pompiers.
«C’est une première législation intéressante, note Martin Scheringer, mais elle cible principalement des produits de consommation dans lesquels l’utilisation des PFAS a déjà commencé à être abandonnée. Pourtant, une part importante de la pollution provient des processus industriels.»

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Deux secteurs restent particulièrement problématiques, d’après l’expert: d’une part, les polymères fluorés, comme le téflon, et d’autre part, les réfrigérants et gaz fluorés utilisés dans la réfrigération et les pompes à chaleur. «Dans ces domaines, l’industrie cherchera à maintenir ses pratiques. D’ailleurs, l’entreprise Tefal (impliquée dans des affaires de pollution aux PFAS liées à la production de ses poêles antiadhésives, ndlr.) a réussi à faire en sorte que les usages liés au téflon ne soient pas concernés.»
Au niveau européen, un projet de loi visant à interdire la production et l’utilisation de tous les types de PFAS pourrait aboutir d’ici 2026. Une avancée significative, qui resterait toutefois cantonnée aux frontières de l’Union européenne. Mais pour Giulia Carlini, des zones d’ombre subsistent: «C’est une proposition importante, mais ses contours et les secteurs concernés restent flous. Dans les coulisses, les lobbys se mobilisent déjà pour en atténuer l’impact.»
Une enquête menée en janvier 2025 par le consortium «Forever Lobbying Project»Lien externe a révélé une campagne de lobbying et de désinformation orchestrée par l’industrie chimique pour affaiblir le texte de loi.
Des alternatives existent
Si certains secteurs industriels continuent de défendre l’usage des PFAS, des alternatives ont déjà été mises en place dans de nombreux domaines. Pour Martin Scheringer, il est essentiel de déconstruire l’idée que les PFAS sont indispensables: «Ces substances peuvent être cruciales pour certaines applications industrielles en raison de leurs propriétés résistantes, mais elles sont inutiles dans les produits de consommation courante.»
De fait, de nombreux biens peuvent être fabriqués sans PFAS, comme les crèmes pour la peau, les farts de ski, ou encore les équipements de plein air tels que les vestes, sacs de couchage et tentes. Le Danemark a par ailleurs déjà interdit les PFAS dans les emballages alimentaires. «Il existe de nombreux exemples de substitutions réussies», ajoute Martin Scheringer.

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«Il faut tordre le cou à l’idée que les ‘polluants éternels’ sont indispensables»
Pour Giulia Carlini, l’interdiction des PFAS constituerait un levier pour stimuler l’innovation: «L’industrie s’oppose à une interdiction sous prétexte qu’il manquerait d’alternatives, mais c’est justement en instaurant des règles claires pour tous les acteurs que l’on crée un terrain propice à la recherche et au développement de solutions plus sûres.»
Vers le traité plastique
Les négociations en cours à Genève ouvrent également la voie aux discussions attendues en août 2025 au bout du lac, en vue d’un futur traité mondial pour mettre fin à la pollution plastique. «Les conventions comme celle de Stockholm permettent d’avancer sur certaines substances présentes dans les plastiques, mais elles ne couvrent pas l’ensemble de leur cycle de vie. C’est pourquoi les États ont décidé d’élaborer un traité global», estime Giulia Carlini, qui suit également ces négociations de près. «De nombreux délégués présents aux conférences BRS le seront également aux négociations d’août.»
Ce traité à venir pourrait marquer un tournant. Genève sera un terrain stratégique pour observer comment ces diverses influences façonneront l’accord final. Reste à voir si les États parviendront à s’accorder sur une réponse globale à un fléau qui, lui, ne connaît pas de frontières.
Cet article a été relu et vérifié par Virginie Mangin/db

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