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La musique à Montreux, à quel prix?

Lori Immi, programmatrice du Miles Davis Hall. swissinfo.ch

Le public a été estomaqué par les prix annoncés cette année par le Jazz Festival de Montreux, un mini-sondage swissinfo le confirme. Lori Immi, collaboratrice de Claude Nobs, apporte son explication.

On l’a dit, les prix du Montreux Jazz Festival (MJF) s’échelonnent de 80 à 380 francs à l’Auditorium Stravinsky selon les places et les soirées, de 65 à 180 francs au Miles Davis Hall.

Pourtant le MJF n’a pas l’exclusivité des prix astronomiques. Le 4 juillet 2009, Johnny Hallyday jouera au Stade de Genève. Les billets coûtent de 90 à 250 francs. Et les dernières escales helvétiques de Police ou des Stones naviguaient dans les mêmes eaux.

Différence de taille: avec une capacité pouvant aller jusqu’à seulement 3500 places pour sa plus grande salle, le MJF n’a rien à voir avec les 33.000 entrées quotidiennes du Paléo Festival de Nyon ou avec les dizaines de milliers de tickets que peuvent proposer les open-airs ayant lieu dans des stades, dans des conditions acoustiques et visuelles souvent très limites.

Alors que le Paléo festival joue la carte égalitaire, Montreux a choisi quant à lui de proposer un festival à plusieurs vitesses: concerts gratuits en extérieur, concerts payants à l’intérieur, billets à prix ‘accessibles’ pour les places debout, et coup de fusil pour les places assises!

swissinfo: Les négociations avec les artistes et leur management deviennent-elles de plus en plus dures au fil des années pour un festival comme le vôtre?

Lori Immi: Oui. Parce que nous avons des petites capacités. Il y a certaines affiches qu’on ne peut même plus imaginer se payer, Radiohead ou Coldplay par exemple. On peut oublier ce genre d’artistes. C’est beaucoup, beaucoup trop cher!

Il faut comprendre que les têtes d’affiches que vous trouvez à l’Auditorium Stravinsky, on les paie pratiquement le même prix qu’ailleurs. Ou tout au moins, il n’y a pas de rapport proportionnel entre le prix pratiqué et le nombre de billets que nous pouvons vendre. Par rapport à un open air, on est vraiment dans une réalité économique très serrée, très risquée.

On a retrouvé des chiffres noirs en 2007, mais on a été plusieurs années dans les chiffres rouges. On est donc toujours dans un équilibre assez fragile. C’est un business très sensible.

swissinfo: On comprend que la soirée Quincy Jones, avec de nombreux invités, coûte très cher. Mais les prix pratiqués par exemple pour Leonard Cohen (140.- à 350.-) semblent délirants, non?

L.I.: Oui. Et non. Cela dépend où on met ses priorités. Aujourd’hui, avec 140 francs, vous allez à peine manger à deux au restau. Ce n’est même pas le prix d’une paire de chaussures pour un kid! A un moment donné, tout dépend de la valeur qu’on donne aux choses.

Dire qu’on est cher, cela signifie qu’on surévalue ce qu’on vend. Pour moi, ce n’est pas le cas. Il ne faut pas oublier les conditions extraordinaires dans lesquelles on voit un artiste de cette dimension à Montreux. Mais il est vrai qu’on est très loin des concerts à 30 de notre jeunesse. Ça, maintenant, c’est le prix qu’on paie pour voir un groupe dans un club!

swissinfo: Dans un cas comme celui-ci, le prix de la soirée est uniquement dû aux prétentions de l’artiste en matière de cachet?

L.I.: Bien sûr. S’il demandait la moitié, on n’aurait pas des prix pareils, c’est évident.

Par ailleurs, il faut savoir que les places assises et très chères se vendent toujours. Il y a une frange de gens qui veulent voir un concert dans des conditions optimales et qui peuvent se le permettre… ou qui décident de se payer ce plaisir-là. Pouvoir voir un concert dans de telles conditions, c’est s’offrir un beau moment de plaisir, un cadeau.

swissinfo: On explique souvent l’explosion des cachets par le fait que le disque ne se vend plus guère alors que la fréquentation des concerts marche à plein régime. C’est la seule explication?

L.I.: En Suisse, il y a aussi la question du nombre de festivals. De juin à août, c’est énorme! Au bout d’un moment, il y a de la concurrence et les cachets s’envolent. Même si on ne souhaite pas entrer dans cette démarche, c’est la réalité.

Très souvent, j’ai une envie, je fais une offre sur un artiste, tout a l’air de rouler, et tout à coup, on vous dit «il va falloir rallonger». Je sais alors que d’autres organisateurs se sont réveillés! C’est les lois du marché. Ensuite, chacun se fixe ses propres limites. Il y a des choix stratégiques de notre part. Est-ce qu’on le fait à ce prix-là ou non? On prend le risque ou non? Il y a parfois un moment où on dit stop. Et ça c’est propre à chaque festival.

En Suisse, même ce qu’on appelait les ‘baby festivals’ se donnent maintenant des moyens impressionnants… Moi je suis bluffée quand je vois les programmations de festivals comme Caribana ou Festi’Neuch – et je ne parle même pas de Rock oz’Avenches, qui ne joue plus chez les petits depuis longtemps. Il faut compter avec eux aussi!

swissinfo: Pratiquement, comment se passent les contacts et les négociations?

L.I.: Une fois par année, Claude Nobs, Michaela Maithert et moi faisons notre visite aux agents, à Londres. Car comme on a peu de francophones, 90% du business qui nous concerne se passe là. On fait le tour des agents qui, depuis le temps, connaissent bien le festival et savent comment on travaille. On fait nos offres, et puis… on y va!

swissinfo: Le nom «Montreux» continue-t-il de faire rêver les artistes?

L.I.: Oui. Au cours des tournées-marathons d’été des grosses productions, arriver à Montreux, c’est presque une halte-vacances! Sans parler du passé du festival, son histoire, et le travail de Claude. Les artistes qui viennent, ils ont tous envie de voir Claude Nobs! C’est important pour eux. Ce n’est pas loin d’un mythe! Tous les artistes, même les plus jeunes, le connaissent.

swissinfo, Bernard Léchot

Cette 42ème édition aura lieu du 4 au 19 juillet.

Au total, les deux scènes verront défiler près de 90 groupes.

Une trentaine de concerts sont des exclusivités suisses, dont ceux de Sheryl Crow, Joan Baez, The Raconteurs, Leonard Cohen et Madness, Gnarls Barkley et Travis, Etta James et les Babyshambles.

Maintes animations complètent la programmation, dont 250 concerts et DJ gratuits, des croisières sur le Léman et des voyages musicaux en train.

Les organisateurs disposent d’un budget de 18 millions.

Quelque 95’000 billets sont mis en vente depuis mercredi. L’édition précédente avait attiré 220’000 personnes.

Le Montreux Jazz Festival repose sur un bureau permanent qui compte 19 personnes (28 d’avril à juillet).

La production compte 160 personnes (dont 50 pour la production audiovisuelle).

Parmi les piliers du festival:

– Claude Nobs, fondateur et patron de la manifestation.

– Mathieu Jaton, responsable du sponsoring et du marketing, secrétaire général de la Fondation du festival de jazz de Montreux.

– Michaela Maithert, programmatrice de l’Auditorium Stravinsky avec Claude Nobs.

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