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Les arts de la rue font un tabac à La Chaux-de-Fonds

A La Chaux-de-Fonds, d'étranges personnages se mêlent à une foule conquise par le spectacle de rue. Six-Pompes

Plus grand festival du genre de Suisse, la «Plage des Six Pompes» envahit chaque été les rues bien alignées de La Chaux-de-Fonds. Avec pour décor un urbanisme horloger caractéristique reconnu par l’Unesco mais surtout dans cet esprit léger propre aux montagnes neuchâteloises.

Un facteur longiligne aux envolées lyriques et loufoques qui transmet des messages d’amour à travers un service de «vélogramme», une formation de «sécurité citoyenne» délivrée par un ancien membre de la brigade criminelle ou encore deux rappeurs peu orthodoxes prêts à «tout déchirer»: au festival de la Plage des Six Pompes de La Chaux-de-Fonds, burlesque, poésie et acrobaties s’enchevêtrent six jours durant pour le plus grand bonheur des spectateurs de tout âge.

Chaque année, ils sont près de 70’000 à déambuler au gré des concerts, spectacles et autres performances artistiques dans le centre historique de La Chaux-de-Fonds, seule partie de la ville à avoir résisté au grand incendie de 1794. Président du festival, Michael Othenin-Girard annonce d’emblée la couleur: «La vraie plage, elle est ici, à 1000 mètres d’altitude. Les autres, c’est de la contrefaçon».

Certes, les rires et les applaudissements chaleureux font un peu oublier les averses et le thermomètre peu amical des montagnes neuchâteloises. Mais pour ce qui est des palmiers et du sable fin, on repassera.

Accessible à tous

La Plage des Six Pompes est née au début des années ’90 dans l’esprit d’une bande de copains désireuse de divertir les Chaux-de-Fonniers qui n’avaient pas forcément les moyens de partir en vacances, en proposant des spectacles accessibles à toutes les bourses. D’une durée de six semaines au départ, le festival a été raccourci et concentré sur la première semaine du mois d’août.

Une parenthèse baroque et poétique durant laquelle 34 compagnies en provenance de Suisse, de France, de Belgique, d’Allemagne et du Japon donnent près d’une centaine de représentations sur un site qui a pris cette année des allures d’odyssée spatiale.

«Le site est une scène en soi, explique Manu Moser, programmateur du festival. L’art de rue, ça signifie s’adapter à un urbanisme particulier, mais aussi aux circonstances externes, à la météo, au chien qui monte sur scène ou au scooter qui passe». Et aussi au «voisin qui se plaint du bruit», renchérit Michael Othenin-Girard.

Belle générosité

En réalité, la cohabitation avec la population chaux-de-fonnière s’est toujours déroulée dans une parfaite harmonie. Le président du festival se souvient de cette troupe, le GIGN, pour «groupe d’intervention globalement nul», qui avait débuté son spectacle par une descente en rappel depuis la fenêtre d’un appartement.

«Les gens m’appellent régulièrement pour proposer d’héberger des artistes», ajoute Michael Othenin-Girard, «fasciné» par cette générosité qui se manifeste également à la fin des spectacles. La Plage des Six Pompes est en effet, avec un autre petit festival de Locarno, le seul en Suisse à fonctionner uniquement au chapeau.

L’an passé, une troupe a récolté 7200 francs en deux représentations. «Quand il apprécie un spectacle, le public est très généreux. Nous sommes parfois plus intéressants que certains festivals qui paient des cachets. Nous attirons ainsi des compagnies qui habituellement ne jouent pas au chapeau», affirme Michael Othenin-Girard.

Subtil équilibre

«A La Chaux-de-Fonds, nous avons affaire à un public d’habitués, renchérit Manu Moser. Peu de spectateurs partent au milieu d’un spectacle, même si c’est le premier privilège des arts de rue». Pour séduire ce public, le programmateur doit trouver un subtil équilibre entre des performances légères et d’autres plus denses. Et il doit faire un tri important parmi les 400 demandes d’artistes, car «il y a vraiment des choses très mauvaises», selon Manu Moser, qui parcourt également les plus grands festivals européens du genre pour dénicher les «perles rares».

«Les arts de la rue ont longtemps véhiculé une image négative. On les considérait comme la culture des crevards et des mendiants», rappelle Manu Moser. Mais les mentalités évoluent. En France, cette forme d’art a explosé il y a près de 40 ans lors d’une rébellion face à la mainmise de l’ordre intellectuel établi sur la culture. «Certains artistes avaient envie de créer quelque chose de plus festif et orgiaque», dixit Manu Moser. Aujourd’hui, le fossé idéologique entre la salle et la rue est encore très présent dans l’Hexagone.

En Suisse, la situation est bien différente. Face aux 1500 compagnies déclarées en France, les 30 troupes professionnelles de Suisse pèsent de peu de poids. Selon Michael Othenin-Girard, les arts de la rue connaissent tout de même «un bel essor depuis cinq à six ans». Les festivals de rue fleurissent ainsi un peu partout, notamment en Suisse francophone.

Proximité et intimité

«On est encore loin des mastodontes que sont Châlon ou Aurillac, mais la Plage des Six Pompes commence à bénéficier d’une reconnaissance de la part des grands festivals des arts de rue européens», affirme le président de la manifestation.

Pourtant, la croissance à tout prix, ce n’est pas vraiment le credo de la Plage des Six Pompes. Michael Othenin-Girard: «On est partagé entre l’envie de faire connaître notre festival et le souci de préserver son côté intimiste, sa légèreté. On pourrait sans problème doubler la taille des gradins, mais on perdrait alors la proximité avec les artistes».

A La Chaux-de-Fonds, on est également désireux de préserver l’atmosphère qui fait la force de ce festival, «cet esprit léger des montagnes neuchâteloises, moins bling-bling et mercantile qu’ailleurs», dixit Michael Othenin-Girard. Pas question par exemple d’afficher un seul nom de sponsor dans l’enceinte du festival. Pour autant, Manu Moser ne considère pas faire partie de la scène alternative: «Notre festival est populaire, au sens noble du terme. Les gens ont simplement besoin qu’on leur raconte des histoires, qu’on les respecte».

Capitale culturelle

«Les arts de la rue ne pourraient pas trouver meilleur endroit pour s’exprimer», renchérit Michael Othenin-Girard. Dans cette ville horlogère et industrielle de près de 40’000 habitants, «les gens se passionnent depuis longtemps pour les arts, souligne Manu Moser. Rousseau déjà parlait des paysans et des horlogers qui récitaient de la poésie lors des longues soirées d’hiver».

Le brassage culturel dû aux vagues successives d’immigration, des loyers moins chers qui ont favorisé l’installation d’artistes mais surtout la possibilité de laisser libre-court à son inventivité ont permis à la décentrée ville de La Chaux-de-Fonds, capitale suisse de l’art Nouveau et cité du Corbusier, de devenir un épicentre culturel. A la Plage des Six Pompes, une équipe de joyeux trentenaires délurés s’investit corps et âmes pour pérenniser la tradition.

Samuel Jaberg, La Chaux-de-Fonds, swissinfo.ch

La 17e édition du festival de la Plage des Six Pompes se déroule du 2 au 7 août 2010 à La Chaux-de-Fonds, dans le Jura neuchâtelois. Une trentaine de troupes y jouent une centaine de spectacles, sans compter la quinzaine de compagnies qui se produisent sur la scène «off».

Le programme réunit des artistes provenant de Suisse, de Belgique, d’Allemagne et du Japon. En plus d’un chapiteau de 400 places, le festival dispose de trois scènes, dont l’une est couverte.

Le budget de la manifestation avoisine les 500’000 francs suisses. Les spectacles sont gratuits et les artistes sont rémunérés au chapeau.

D’autres activités comme des cours de cirque, des jeux et animations pour les jeunes et des stages de théâtre de rue pour les plus grands sont également proposés en marge du festival.

Exemple de symbiose entre l’urbanisme et l’industrie horlogère, les villes de La Chaux-de-Fonds et du Locle ont été inscrites en juin 2009 au patrimoine mondial de l’Unesco.

Hormis son patrimoine urbain particulier, La Chaux-de-Fonds est également considérée comme la capitale de l’Art Nouveau (connu aussi comme «Liberty», «Modern Style» ou style floral) en Suisse.

Ce style, appelé «Style sapin» dans son expression locale, s’est imposé à La Chaux-de-Fonds surtout grâce à Charles l’Eplattenier, professeur à l’Ecole d’Art et maître de Charles-Edouard Jeanneret, plus connu sous le nom de Le Corbusier.

De nombreux édifices de la cité, et en particulier ceux construits entre le 19e et le 20e siècle, lorsque ce courant atteignit son apogée, conservent encore de nombreuses traces et témoignages de ce passé artistique.

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