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Pipilotti Rist, sexe, cosmos et vidéo

Espiègle, ludique, Pipilotti Rist privilégie les thèmes liés à la femme. Keystone

A Barcelone, la Fondation Joan Miró consacre à l’artiste suisse une importante exposition. Dix installations vidéo y sont présentées, dont deux nouvelles. Au rendez-vous, beaucoup de visiteurs et d’érotisme.

Il faut se coucher devant Pipilotti Rist. Se coucher devant son œuvre. Le verbe n’est pas à prendre ici au sens figuré… quoique! L’artiste suisse cherche-t-elle, malgré sa notoriété internationale, une révérence de plus de la part du public venu voir ses installations vidéo à la Fondation Joan Miró?

En ce matin de juillet donc, nombreux sont les visiteurs étendus sur le dos, yeux rivés sur le plafond d’une salle, comme hypnotisés par les images fantaisistes qui défilent et mêlent allègrement trois univers: végétal, animal et humain. Trois règnes et autant de vidéos projetées vers le haut, contre le mur ou carrément sur le sol, qui en appellent aussi bien au ciel, aux océans ou à la terre, et suggèrent une lecture cosmique du monde.

Monde sous-marin dans cette installation intitulée «Sip my Ocean». Ici, des personnes en immersion semblent chercher un passage parmi des algues géantes.

Baisers torrides

Monde chtonien, en revanche, dans «Grabstein für RW», vidéo minuscule intégrée à une pierre tombale d’où l’on voit la tête tout aussi minuscule d’une femme aguicheuse. Ses lèvres démesurément charnues laissent échapper des baisers torrides. Quelque chose de monstrueux et d’infernal se dégage de cette installation qui défie érotiquement la mort et ses créatures souterraines.

Autre défi, mais celui-là lancé au firmament: une femme flotte, tel un ovni, dans un ciel brillant de mille lucioles. Elle laisse une impression d’apesanteur vertigineuse dans un film vidéo appelé à juste titre «A la belle étoile». Une odyssée de l’espace, en somme, revue et corrigée par une Pipilotti Rist très inspirée métaphysiquement, qui fait dériver notre petite planète (ici une mappemonde piquée de bougies) dans l’immensité du système solaire.

Retour sur terre avec «Regenfrau (I Am Called A Plant)». C’est l’espace ancillaire qui est ici convoqué avec la reconstitution par l’artiste d’une cuisine grandeur nature, appareils électroménagers inclus. Une installation que l’on aurait pu qualifier d’hyperréaliste, n’était l’image, projetée contre une paroi, d’une femme nue venue arracher ce lieu domestique à sa somnolence.

Ceux qui connaissent Pipilotti Rist savent que la Saint-Galloise chérit le thème de la féminité et tout ce qui va avec: sexualité, érotisme, liberté, extravagance… L’exposition de la Fondation Joan Miró n’échappe pas à la règle. Les dix œuvres qui y sont présentées abordent ce thème-là de façon directe ou métaphorique. Toutes sont exposées pour la première fois en Espagne.

Huit d’entre elles proviennent de différents musées dans le monde. Deux sont inédites: «Temps lliure» et «Doble llum». Elles ont été créées spécialement par l’artiste pour l’exposition de Barcelone lancée le 8 juillet sous ce titre catalan: «Partit amistós – sentiments electrònics».

Il faut rappeler que Pipilotti Rist a reçu en 2009 le Prix Joan Miró qui récompense tous les deux ans un artiste contemporain et permet à son bénéficiaire une excellente visibilité en Espagne. Car dans l’année qui suit l’attribution du Prix, organisée par la Fondation, une exposition est consacrée au lauréat.

Un pouvoir créatif illimité

A cette occasion, la vidéaste suisse a bénéficié d’une double vitrine. Outre les dix œuvres présentées à Barcelone, trois autres sont exposées à Gérone, à la Fondation Caixa Girona. Ce ne sont pas des créations mais des installations données à voir elles aussi pour la première fois en Espagne.

En Espagne justement, «Pipilotti n’est pas connu du grand public», nous confiait l’an dernier Rosa Maria Malet, directrice de la Fondation Miró. «Avec ce prix, précisait-elle, nous essayons de soutenir des artistes plutôt jeunes, qui ont déjà prouvé l’originalité et la force de leur imaginaire mais dont le travail est méconnu de nos visiteurs.»

Mettre Rist chez Miró n’est pas anodin. Point commun aux deux artistes: « un pouvoir créatif qui vous donne l’impression d’être illimité», selon Rosa Maria Malet.

Aussi, Pipilotti rend-elle hommage au peintre catalan dans «Doble llum», une nouvelle création comme on l’a dit, que la Fondation barcelonaise gardera dans sa collection permanente. L’œuvre consiste en une projection vidéo réalisée par la Saint-Galloise sur une sculpture de Miró appelée «Femme».

Le bas du corps féminin est ici saisi dans son potentiel sexuel et érotique. Pipilotti Rist se livre à un jeu de lumière qui laisse deviner vulve, lèvres, pubis… dans une palette de couleur déclinée à l’infini. Miró ne s’en plaindrait pas.

Ghania Adamo à Barcelone, swissinfo.ch

«Partit amistos – sentiments electrònics», exposition à voir jusqu’au 1er novembre à la Fondation Joan Miro, Barcelone et à la Fondation Caixa Girona, Gérone.

1962: naît à Grabs (Saint-Gall), de son vrai nom Elisabeth Charlotte Rist.

1982-1986: études (illustration et photographie) à la Haute Ecole d’arts appliqués de Vienne.

1986-1988: cours de création audiovisuelle à la Schule für Gestaltung, à Bâle.

1988-1994: membre du groupe de musique «Les Reines prochaines».

1998: finaliste du prix Hugo Boss d’art contemporain.

1990-2001: travaille à Zurich, dans le domaine des installations vidéo.

2002: assure la direction de l’Exposition nationale suisse (Expo.02).

Vidéaste avant tout: elle aborde les questions d’identité et s’intéresse au corps féminin, et en particulier le sien. Espiègle, ludique, inventive, elle use avec brio des potentialités techniques de son medium, jusqu’à en tirer des effets donnant un statut ambigu à l’image.

Lauréate de plusieurs prix, dont le Lion d’Or de la Biennale de Venise (2000) et le Prix Joan Miró (2009).

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