
Les craintes de Sylvain et Yvonne pour l’avenir d’Israël

Le 14 mai 1948, l'Etat d'Israël voyait le jour. A l'occasion de ce 60e anniversaire, un couple juif suisse se remémore les bons souvenirs de son séjour en Israël, mais émet aussi des craintes devant un «avenir sombre».
C’était il y a 35 ans. Sylvain et Yvonne Rueff-Bloch quittaient la Suisse pour un séjour dans un kibboutz libéral. Ils vivent aujourd’hui à Bâle, mais leur fils est retourné en Israël pour y devenir rabbin.
Des visites régulières en Israël leur ont fait voir les côtés positifs et négatifs du pays, de même que les effets qu’ont eu les guerres sur les citoyens, expliquent Sylvain et Yvonne Rueff-Bloch à swissinfo.
swissinfo: Qu’est-ce qui vous avait poussés à aller en Israël?
Sylvain Rueff-Bloch: Quand j’étais jeune, je faisais partie d’un mouvement sioniste et nous ne parlions que d’une chose, Israël. Je rêvais d’y aller et de connaître le pays et ses habitants. Du coup, lorsque j’ai pu prendre six mois de congé de mon travail, j’ai proposé à ma femme de partir dans un kibboutz.
Yvonne Rueff-Bloch: Nous voulions expérimenter la vie dans un kibboutz, car c’est complètement différent de la vie en ville. Notre fils avait quatre ans et nous avons pensé que ce serait le bon moment de voir autre chose, avant qu’il ne commence l’école. En tant que Juifs, nous nous disions qu’il serait peut-être bien d’aller voir à quoi ressemblait Israël si un jour nous devions quitter la Suisse.
swissinfo: A quoi ressemblait votre vie au kibboutz?
Y.R-B.: C’est comme un grand camp. La vie est simple, car les gens y prennent soin de beaucoup de choses pour vous. Tout le monde travaillait pour que le kibboutz fonctionne et ait du succès. Nous mangions tous ensemble dans une grande salle à manger à midi. C’était bon!
S. R-B.: Au début, nous étions un peu malheureux, car notre fils ne s’y plaisait pas. Il ne parlait que l’allemand et était isolé au jardin d’enfants. Mais après une phase d’adaptation, il s’y est habitué. De mon côté, j’ai fait plusieurs travaux différents, cueillir des oranges et des grapefruits dans les champs et travailler en cuisine dans un hôtel pour touristes.
Y.R-B.: Moi, au début, j’ai travaillé au jardin d’enfants, puis avec des bébés et enfin au jardin. J’ai profité de ne pas pouvoir parler allemand pour apprendre l’hébreu. Mais ma famille en Suisse et en France me manquait.
swissinfo: Votre séjour a lieu en 1973, avant du Yom Kippour. Etiez-vous touché par la situation politique?
S.R-B.: Notre séjour s’est étendu de janvier à juillet de cette année-là. Durant ces mois, personne ne parlait de guerre. Mais elle a éclaté deux mois après notre retour en Suisse.
Y.R-B.: J’avais senti que quelque chose était dans l’air. Les gens étaient très nerveux. Il y avait un petit aérodrome militaire derrière le kibboutz et des avions militaires nous survolaient, quand bien même nous étions à Pâques et que la guerre n’éclaterait qu’en octobre. Mais je ne savais pas ce qui allait se passer.
swissinfo: Est-ce que le fait d’avoir vécu en Israël a eu des effets sur votre foi?
S.R-B.: Nous sommes des Juifs traditionnels mais étions dans un kibboutz qui n’était pas religieux du tout. Il y avait une petite synagogue mais personne n’y allait. C’était un manque, dans ce kibboutz.
Y.R-B.: Mais notre fils était heureux. Il voulait vivre dans la tradition juive. A 4 ans, il réclamait toujours sa kippa. C’est lui qui a voulu aller prier tous les vendredis à la synagogue et nous l’y avons accompagné. Les autres habitants ne comprenaient pas pourquoi ce jeune garçon était si intéressé par la tradition religieuse. Il vit aujourd’hui en Israël. Plus tard, je me suis dit que ces six mois l’avaient sûrement marqué.
swissinfo: Comment s’est passé votre retour en Suisse?
Y.R-B.: J’ai trouvé la lenteur des Suisses pénible. J’ai dû revoir toutes mes idées. Tout était tellement réglé. C’était un monde complètement différent et j’ai dû me réhabituer à la mentalité suisse.
S.R-B.: J’étais heureux de revenir en Suisse. Israël était une expérience intéressante, mais ma femme avait dès le début dit que chez nous, c’était en Suisse, car toute notre famille y vit. Je ne vivrai jamais en Israël, avait-elle averti. Moi, peut-être, si elle avait été d’un autre avis, j’aurais pu m’y faire.
swissinfo: Quelles impressions avez-vous d’Israël quand vous y allez aujourd’hui?
S.R-B.: Le pays a complètement changé. Quand nous y étions, c’était calme. Personne ne parlait de guerre. Il n’y avait pas les combats entre Israéliens et Palestiniens qui existent aujourd’hui. Nous avons passé six mois heureux. Mais si nous devions y aller aujourd’hui, je suis sûr que nous ne resterions pas six mois. Nous étions pendant huit jours récemment et cela nous a suffi.
Notre fils vit dans un autre monde, très religieux. Il a sept enfants et la vie est très difficile. Tout est cher mais les salaires ne sont pas aussi élevés qu’en Suisse. Nous les aidons un peu matériellement. Sinon, ils seraient pauvres.
Y.R-B.: La famille de notre fils vit près de Ramallah. Pour les enfants, c’est une situation très difficile. Ils entendent les avions. Il y a des rues où ils ne peuvent pas aller. C’est un traumatisme, pour les deux parties.
swissinfo: Quel est votre espoir pour l’avenir d’Israël?
S.R-B.: Il n’y aura pas de paix entre les deux peuples dans un proche avenir et cela me rend plutôt négatif.
Y.R-B.: Je vois aussi l’avenir plutôt sombre, car personne ne fait un pas vers l’autre, et surtout à cause du Hamas, avec toutes ces attaques, tous les jours. Mais il faut toujours garder l’espoir et rêver qu’un miracle se produise qui aidera les gens à réfléchir. Il ne faut jamais perdre espoir, jamais, l’espoir qu’ils trouveront une solution ensemble, vivront, laisseront vivre et se respecteront l’un l’autre au lieu de se faire la guerre.
Interview swissinfo, Jessica Dacey (Bâle)
(Traduction Ariane Gigon)
Le 14 mai marque le 60e anniversaire de la création de l’Etat d’Israël.
La proclamation était une conséquence d’une résolutoin de l’Assemblée des Nations Unies en 1947, deux Etats devaient voir le jour en Palestine, un Etat juif et un Etat arabe. Les Arabes ont rejeté ce plan, le qualifiant de «Nakba» (catastrophe).
La Suisse a reconnu le nouvel Etat d’Israël en 1949. La même année, elle a ouvert un consulat à Tel-Aviv. La représentation devint une ambassade en 1958.
Le gouvernement suisse a envoyé un message de félicitations à Israël pour son 60e anniversaire, mais il n’a pas été invité aux cérémonies dans le pays.
Les relations entre Israël et la Suisse ont subi un coup de froid depuis que Berne a donné sa bénédiction à un accord gazier avec l’Iran, pays extrêmement hostile à Jérusalem.
Quelque 18’000 Juifs pratiquants vivent en Suisse, soit moins de 1% de la population.

En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.