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Le Tessin gèle la moitié de l’impôt des frontaliers

Les relations entre la Suisse et l’Italie sont une préoccupation pour la ministre des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey. Reuters

Le Tessin ne versera à la Péninsule que la moitié de l’impôt prélevé sur le salaire des travailleurs frontaliers italien. Une mesure de rétorsion qui se veut un signal politique fort à l’égard du gouvernement Berlusconi, mais aussi, et surtout, à l’endroit du Conseil fédéral.

La décision du conseil d’Etat tessinois de geler la moitié du quota des impôts prélevés à la source sur le salaire des travailleurs italiens, dû à l’Italie, est inédite et historique. Après des semaines de discussion sur l’échiquier politique cantonal, le couperet est finalement tombé jeudi soir, au terme d’une séance marathon extraordinaire du gouvernement cantonal à Bellinzone.

Ce débat tendu, au dire des participants, s’est tenu au soir du dernier jour de l’échéance annuelle pour le versement de la quote-part d’impôt destinée aux communes lombardes et piémontaises (via le gouvernement à Rome). C’est de ces deux régions que proviennent les plus de 50’000 travailleuses et travailleurs salariés au Tessin, mais domiciliés dans la Péninsule.

L’impôt prélevé en 2010 et versable au 30 juin 2011 se monte aujourd’hui à 56,8 millions de francs. Mais cette fois, les autorités tessinoises refusent de signer l’ordre de paiement tel quel. Le gouvernement cantonal a décidé de geler la moitié de la somme auprès de la banque cantonale du Tessin, «aussi longtemps que Berne n’entamera pas de renégociations sérieuses avec l’Italie sur le dossier de la double imposition», a déclaré le ministre Marco Borradori.

Mesure de rétorsion

La décision témoigne du ras-le-bol du Tessin, tant à l’égard de Rome que de Berne. «Notre décision est un signal fort qui s’adresse avant tout aux autorités fédérales», a souligné Marco Borradori, au terme de la réunion extraordinaire.

Le ministre, représentant de la majorité qui a voté en faveur du blocage de l’avoir italien, a ajouté: «Personnellement, j’estime que Berne n’a pas agi avec la célérité et la vigueur nécessaires face à l’Italie», a-t-il dit, et d’ajouter: «lorsque l’Allemagne avait menacé la place bancaire zurichoise, le Conseil fédéral n’avait pourtant pas perdu de temps pour réagir».

Hormis la question de la présence de la Suisse sur la «black list» italienne des paradis fiscaux, contrairement aux standards fixés par l’OCDE, c’est aussi le traitement discriminatoire réservé par la Péninsule aux entreprises helvétiques qui souhaiteraient travailler et obtenir des mandats en Italie qui fâche Bellinzone depuis de longs mois. Un traitement qui viole le principe de réciprocité prévu dans les accords bilatéraux paraphés entre les deux pays.

Italie privilégiée

A cela s’ajoute aussi le fait que le taux de ristourne de l’impôt perçu à la source sur le salaire des frontaliers italiens est plus de trois fois supérieur au taux fixé dans un accord bilatéral équivalent avec l’Autriche, à qui la Suisse ne rétrocède que 12,5% de la ponction fiscale. Une «injustice», estime l’ensemble des partis politiques tessinois, qui ont déjà tenté à plusieurs reprises de sensibiliser le Conseil fédéral sur la question.

Pour Marco Borradori (Lega), qui avec Norman Gobbi (Lega) et Paolo Beltraminelli (PDC / centre droit) forment la majorité de l’Exécutif cantonal en faveur du gel de la ristourne, il s’agit d’une «décision politique nécessaire et opportune, prise au meilleur moment».

«Nous ne voulons pas retenir de l’argent qui ne nous appartient pas, c’est pourquoi les quelque 30 millions bloqués le seront aussi pour le Tessin. Libre à la Confédération de libérer l’équivalent de la somme si elle le juge nécessaire. Mais nous voulons nous faire entendre une bonne fois pour toute».

Un gouvernement, deux positions

Un avis qu’est loin de partager sa collègue et présidente du gouvernement, la libérale-radicale Laura Sadis, qui forme la minorité avec le socialiste Manuele Bertoli. «Cette mesure est illégale, elle contrevient à un accord international et engage de la sorte la responsabilité de la Confédération dans une opération pour laquelle le canton ne jouit d’aucune autonomie», a-t-elle martelé.

Quid de la collégialité du gouvernement? «Le principe de collégialité ne peut en aucun cas justifier une décision dont le caractère est illégal», a renchéri la présidente très contrariée, rappelant au passage que «le canton n’est qu’un organe exécutant, chargé d’exécuter un devoir découlant d’un engagement international».

Mise en garde et embarras

A Berne, la démarche du gouvernement tessinois n’a pas encore donné lieu à des réactions officielles de la part du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), notamment. Mario Tuor, le porte-parole du Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales (SFI), a cependant admis que «la grogne du Tessin était compréhensible», comme indiqué à l’ats.

Mario Tuor a aussi noté que le Conseil fédéral aussi était sérieusement intéressé à des négociations de fonds avec l’Italie. «Le Conseil fédéral n’est pas satisfait de la situation actuelle», a-t-il ajouté.

Mardi, la présidente de la Confédération, Micheline Calmy-Rey avait pourtant mis le Tessin en garde contre les conséquences d’une telle décision, le cas échéant. La cheffe du DFAE avait perçu un début d’embellie lors de sa récente visite à Rome en marge des festivités du 150e anniversaire de l’Unité de l’Italie, visite à l’occasion de laquelle la ministre avait pu s’entretenir avec Silvio Berlusconi.

«République bananière»

Au sud des Alpes, les réactions suscitées par la décision du gouvernement ont été aussi vives que nombreuses. Dans un communiqué, le parti socialiste a souligné l’«illégalité et l’amateurisme de la mesure». Dans un éditorial, le quotidien «La Regione» a même comparé le Tessin à «une république bananière».

Dans le camp bourgeois, le PLR dit craindre une péjoration des relations entre Berne et le Tessin, alors que le parti démocrate-chrétien (PDC) se range du côté de la majorité du gouvernement. Quant au patron de la Lega (majorité relative au Conseil d’Etat), Giulinao Bignasca jubile et se réjouit que le Tessin «tape enfin du poing sur la table fédérale».

Manne indispensable

Sur le versant italien, plusieurs élus lombards ont fait part de leurs préoccupations après l’annonce de la nouvelle du paiement différé des près de 30 millions de francs attendus et destinés aux communes dans lesquelles résident les travailleurs frontaliers. D’aucuns ont dénoncé un «chantage tessinois, fruit d’une campagne xénophobe orchestrée par la Lega et l’UDC qui n’a que trop duré». 

En attendant, plusieurs communes italiennes redoutent de faire les frais de cette impasse. Elles comptent sur cette source de revenu, synonyme pour les plus pauvres d’entre elles de financement indispensable pour assurer les services communaux les plus élémentaires, tels que le ramassage des déchets ou l’éclairage de la voie publique.

L’accordbilatéral conclu entre Berne et Rome date de 1979. Il est entré en vigueur avec effet rétroactif en 1974. Le taux fixé pour le versement de la quote-part destinée à l’Italie avait d’abord été de 40%, puis rapportée à 38,8% en 1985.

Le canton du Tessin verse à lui seul près de 90% de l’impôt à la source des frontaliers. Le Valais et les Grisons reversent les 10% restants.

L’Autriche ne perçoit que 12,5% de la ponction fiscale retenue en Suisse. Une «injustice» estime-t-on au Tessin. Une situation «non comparable», répond le Conseil fédéral.

Il rappelle que seules les communes italiennes situées dans un rayon inférieur à 20 km de la frontière italo-suisse bénéficient de la ristourne, alors que cette limite territoriale n’est pas appliquée dans le cas de l’Autriche.

Quant à l’Allemagne, c’est aux travailleurs de verser 4,5% d’impôt calculé sur leur revenu (brut) à la Suisse. A charge ensuite aux autorités fiscales allemandes de prendre ce paiement en considération, pour éviter une double imposition du travailleur.

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