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Quand la Côte d’Ivoire menace de sombrer

Les affrontements ont déjà poussé des milliers d'Ivoiriens à quitter le quartier d'Abobo, au nord d'Abidjan. Reuters

Au moment où le pays africain se rapproche d’une nouvelle guerre civile, il doit faire l’objet jeudi d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU. Le CICR parle d’une situation humanitaire «très difficile» et la Suisse se dit «très préoccupée».

Alors que l’Union africaine (UA) vient de décider d’accorder un mois supplémentaire au groupe de cinq chefs d’Etats africains pour terminer leur mission visant à dénouer la crise, le Conseil de sécurité de l’ONU doit se réunir à huis clos jeudi.

A Berne, le Département fédéral des affaires étrangères se dit «très préoccupé par la dégradation de la situation sécuritaire et humanitaire» sur place. Le DFAE a «pris note avec inquiétude des affrontements sanglants à l’arme lourde qui ont débuté à Abidjan depuis le 25 février et qui s’étendent à d’autres localités du pays.»

Sur le terrain en effet, les heurts entre partisans de Laurent Gbagbo et d’Alassane Ouattara produisent leur lot de réfugiés et un climat de psychose. Plus de 60’000 personnes ont d’ailleurs fui le pays pour le Libéria.

Joint à Abidjan, le chef adjoint de la délégation régionale du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) parle de plusieurs milliers de déplacés en Côte d’Ivoire même, mais n’articule aucun chiffre précis. Il qualifie la situation humanitaire de «très difficile».

Avec des collaborateurs, Philippe Beauverd s’est rendu mardi dans le village d’Anyama, au nord d’Abidjan. Sur place, ils ont fourni en médicaments de base la mission catholique, qui accueille des déplacés cherchant à rejoindre à pied leurs familles au départ de la capitale économique et surtout du quartier d’Abobo (1,5 millions d’habitants). D’autres déplacés se retrouvent dans certaines zones du sud d’Abidjan notamment.

«Nous allons continuer ces prochains jours, dans la mesure du possible, à assister les structures d’accueil plutôt que les déplacés eux-mêmes, car beaucoup de gens sont en transit», note Philippe Beauverd.

Le CICR peut circuler

Depuis deux ans et demi sur le terrain ivoirien, Philippe Beauverd indique que le CICR travaille dans des conditions relativement difficiles, mais il souligne surtout que, malgré la «situation sécuritaire délicate», l’organisation humanitaire «peut circuler».

Avec une petite trentaine d’expatriés et 250 collaborateurs au total en Côte d’Ivoire, le CICR est à Abidjan mais aussi à Gagnoa (sud-ouest) et à Guiglo (ouest). «Là-bas, nous sommes en train de rétablir l’eau à la mission catholique de Duékoué, qui accueille de nombreux déplacés». Le CICR «bouge et sort» aussi dans la zone CNO (Centre Nord Ouest) à Bouaké, Korhogo (nord) et à Man (nord-ouest).

A l’image de nombreux déplacés qui restent parfois bloqués dans des églises ou des mosquées par l’épuisement mais aussi par manque d’argent, l’organisation n’a plus accès à ses comptes en banque sur place. Elle pourrait manquer de liquidités et, plus tard, de carburant, indique Philippe Beauverd. «Mais pour l’instant, nous pouvons travailler.»

Les Suisses sur place

Pour ce qui est des Suisses sur place, ils sont actuellement un peu moins de 150, indique David Vogelsanger, ambassadeur de Suisse à Abidjan. Ils étaient encore 220 au départ de la crise, il y a trois mois.

Au fil des développements, les avis aux citoyens et aux voyageurs suisses ont gagné en rigueur. «La consigne est actuellement de quitter le pays dans la mesure du possible.»

L’ambassade indique prendre toutes les mesures de précaution possible. Elle est en contact avec l’ensemble de la communauté helvétique et dispose d’un plan de concentration pour une éventuelle évacuation rapide. En l’état, selon David Vogelsanger, la moitié des 150 Suisses restants ont fait part de leur volonté de partir.

Un conseil «urgent»

La situation à l’aéroport étant «tout à fait normale», ces Suisses utilisent les vols commerciaux et «nous leur donnons le conseil urgent de profiter de ces vols. Avec les autres, nous verrons le moment venu», dit David Vogelsanger. En clair, un vol affrété par les autorités suisses depuis Berne fait partie des possibilités.

A quel moment cette option pourrait-elle devenir une nécessité? «La situation est très volatile, répond l’ambassadeur. Depuis trois mois, il y a eu des moments de grande excitation et de danger et des moments beaucoup plus calmes. Actuellement, nous sommes clairement dans une phase de dégradation rapide de la situation sécuritaire.»

S’agissant du personnel de l’ambassade, Daniel Vogelsanger ne signale aucun problème. Les mesures de sécurité, déjà très strictes, ont été complétées «ces derniers jours» par la limitation à «l’absolument essentiel» des déplacements.

«Le statut diplomatique de mes collaborateurs et de moi-même a été respecté», affirme aussi l’ambassadeur, qui rappelle que si la situation est «critique», elle l’est avant tout pour les Ivoiriens eux-mêmes. Daniel Vogelsanger indique également que l’ambassade n’est pas sollicitée par des Ivoiriens qui chercheraient à quitter le pays.

Election. Au second tour de la présidentielle du 28 novembre dernier, Alassane Ouattara a été désigné vainqueur avec 54,10% des voix face au sortant Laurent Gbagbo par la Commission électorale indépendante.
 
Reconnaissance. Ce résultat a été certifié sur place par l’ONU, mais le Conseil constitutionnel, acquis au président sortant, l’a invalidé, proclamant la victoire de ce dernier. La quasi-totalité de la communauté internationale – Suisse comprise – reconnaît Alassane Ouattara comme le vainqueur de la présidentielle.

Missions. De multiples délégations africaines se sont rendues depuis à Abidjan. La dernière en date menée par cinq présidents au nom de l’Union africaine rendra des décisions contraignantes dans un mois. Fin février, elle a appelé les deux parties à la modération.

Violence. Sur le terrain, la rivalité des deux hommes se traduit par des affrontements armés, dont de violents combats à l’arme lourde dans la capitale, qui menacent de replonger le premier producteur mondial de cacao dans la guerre civile, après celle de 2002-2003.

Le personnel de l’ambassade de Suisse à Abidjan a été renforcé par des membres du Pool de crise du DFAE (KEP) et par un spécialiste de l’Aide humanitaire de la DDC. Ceux-ci préparent également en détail une éventuelle évacuation des ressortissants suisses.

L’ambassade est aussi en contact permanent avec les autres ambassades sur place. Ce qui lui permet d’échanger des informations et de coordonner les éventuelles mesures à prendre.

Sur les 147 personnes présentes sur place, environ 40 sont engagées au sein de l’ONUCI, du CICR et de l’ambassade de Suisse. La grande majorité réside dans la capitale Abidjan.

A cela s’ajoutent vraisemblablement des Suisses de passage. C’est la raison pour laquelle le DFAE recommande à ces personnes de prendre contact immédiatement avec l’ambassade de Suisse à Abidjan.

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