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Une initiative qui remet en cause les relations avec l’UE

La main-d’œuvre européenne est très présente sur les chantiers suisses. Keystone

Un «oui» à l’initiative de l’UDC le 9 février aurait de lourdes conséquences sur les relations entre la Suisse et l’Union européenne. Les contingents prônés par le premier parti du pays ne sont en effet pas compatibles avec les droits fondamentaux de l’UE en matière de libre circulation des personnes.

«Je pense que cela [un oui à l’initiative de l’UDC] provoquerait une grande incertitude juridique et mettrait la Suisse sous pression constante», estime Thomas Cottier, professeur de droit européen à l’Université de Berne. «L’UE aurait en effet la possibilité de résilier l’accord de libre circulation des personnes et, par conséquence, tous les accords du premier paquet des bilatérales».

«Les moyens de pression sont nombreux. La résiliation des accords bilatéraux constituerait le dernier recours pour Bruxelles. Ce ne serait en effet pas la première priorité, mais l’UE imposerait des sanctions et le climat entre la Suisse et l’UE deviendrait extrêmement maussade», relève quant à lui le politologue Dieter Freiburghaus.

De nouvelles négociations, visant notamment à trouver un accord institutionnel entre la Suisse et l’UE, vœu du ministre des Affaires étrangères Didier Burkhalter, seraient alors gelées pour longtemps, estime encore Dieter Freiburghaus.

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Epreuve du feu pour la libre circulation

Ce contenu a été publié sur Un rejet de l’initiative équivaudrait à une «capitulation devant l’immigration de masse», déclare le président de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), Toni Brunner. Le texte constitue une attaque contre les «valeurs fondamentales qui ont fait de ce pays le plus riche et qui réussit le mieux en Europe», rétorque Pirmin Bischof, sénateur…

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Les quatre libertés fondamentales de l’UE

La position officielle de l’UE est claire: «Les Etats membres n’accepteraient jamais que la libre circulation des personnes soit séparée des autres libertés fondamentales. J’espère que les Suisses le comprennent», a déclaré le président de la Commission européenne José Manuel Barroso dans une interview à la Neue Zürcher Zeitung.

En d’autres termes, si la Suisse ne respectait plus la libre circulation des personnes, les autres libertés fondamentales, à savoir les échanges de biens, de services et de capitaux, seraient également remises en question. «La libre circulation des personnes fait partie des éléments fondamentaux de l’intégration européenne. On peut la comparer à la liberté d’établissement que la Suisse a inscrit dans la Constitution fédérale de 1848», affirme Thomas Cottier.

En effet, avant cette date, les Suisses ne pouvaient pas se déplacer comme ils le souhaitaient d’un canton ou d’une région linguistique à l’autre.

Après le rejet de l’adhésion à l’Espace économique européen (EEE) en 1992 par une courte majorité de citoyens suisses, le gouvernement décide de mener des négociations sectorielles avec l’UE. La Suisse veut ainsi s’assurer un accès non discriminatoire au marché unique européen.

En 1993, l’UE se déclare prête à négocier dans sept domaines: libre circulation des personnes, entraves techniques au commerce, marchés publics, agriculture, transport aérien, transport terrestre et recherche. Elle fixe cependant des conditions: les accords doivent être négociés en parallèle et entrer en vigueur en même temps.

Les accords sont ainsi liés à une «clause guillotine». Celle-ci stipule que si l’un des accords n’est pas prolongé ou résilié, les autres accords tombent par effet de domino.

Ces accords bilatéraux I ont été acceptés par le peuple le 21 mai 2000 par 67,2% des voix et sont entrés en vigueur le 1er juin 2002. L’initiative de l’UDC, qui exige la renégociation de l’accord de libre circulation des personnes, concerne ce premier paquet d’accords bilatéraux.

Les accords bilatéraux II englobent dix accords (Schengen/Dublin, fiscalité de l’épargne, lutte contre la fraude fiscale, éducation, etc.), qui étendent la coopération avec l’UE dans d’autres domaines politiques clés. Ils ont été approuvés par le Parlement en 2004.

L’UDC veut des contingents

Progressivement introduite depuis 2002, la libre circulation des personnes avec l’UE a engendré chaque année la venue de plusieurs dizaines de milliers de travailleurs étrangers, dont 75% en provenance de l’UE. Une situation qui exaspère l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) et qui l’a poussée à lancer son initiative populaire «contre l’immigration de masse».

Le texte de l’UDC exige la réintroduction des contingents et la renégociation de l’accord de libre circulation avec l’UE. Il n’y a pas que la Suisse et son économie qui ont intérêt à maintenir de bonnes relations avec l’UE: le contraire est aussi valable, argumente l’UDC. La Suisse serait donc en position de force, fait valoir le premier parti du pays.

On ne peut «jamais prédire comment un partenaire se comportera», répond Thomas Cottier. «L’UE est une structure complexe, mais également pragmatique. Je pense toutefois que l’UE n’entrevoit aucune marge de manœuvre». Il considère que de nouvelles négociations ne sont par conséquent «pas réalistes». Dans le cas d’un «oui» à l’initiative, la Suisse pourrait cependant, «d’un point de vue juridique, maintenir l’accord de libre circulation tel quel et attendre une réaction de Bruxelles. Il est probable que l’UE dénoncerait unilatéralement les accords. Comme il s’agit d’un accord dit mixte, il faudrait une décision unanime de tous les Etats de l’UE».

Différents scénarios

En théorie, les Etats-membres pourraient donc résilier l’accord de libre circulation des personnes. Mais dans la pratique, ce scénario est peu probable, puisque les Etats-membres ne sont pas d’accord sur cette question. L’UE ne resterait toutefois pas inactive. «En n’agissant pas, l’UE perdrait toute crédibilité. Mais elle doit également protéger ses propres intérêts. Les sanctions ne seraient en effet pas seulement dommageables à la Suisse», affirme une source proche du dossier à Bruxelles.

Du côté helvétique également, les conséquences d’un «oui» à l’initiative de l’UDC ne sont pas claires et différents scénarios sont envisageables. «Si on adopte un point de vue positif, on peut dire que l’initiative est formulée de manière très ouverte. Exprimé d’un point de vue plus négatif, elle est énoncée de manière épouvantable», affirme Dieter Freiburghaus. Dans les faits, l’initiative exige des quotas pour tous les groupes imaginables d’étrangers, mais elle n’en précise pas le nombre maximum. En outre, les contingents doivent prendre en compte les «intérêts économiques globaux» de la Suisse.

Il est tout à fait possible que dans le cas d’une acceptation de l’initiative par le peuple, le gouvernement et le parlement définissent les contingents de «façon très large et englobante, afin qu’il n’y ait jamais de limitation», affirme Dieter Freiburghaus.

L’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE) met en garde contre les conséquences négatives qu’un «oui» à l’initiative contre l’immigration de masse, soumise au peuple le 9 février, aurait sur les 427’000 Suisses résidant dans un pays de l’Union européenne.

Une remise en question des accords sur la libre circulation des personnes aurait un impact négatif durable pour les Suisses établis dans un pays de l’UE. Cela pourrait remettre en question l’égalité de traitement entre les citoyens suisses et ceux de l’UE qui est actuellement la norme, écrit l’OSE dans un communiqué.

«Sachant que l’UE constitue le principal partenaire économique de la Suisse, la présence de nos compatriotes dans ces pays constitue une chance pour la Suisse qui peut recourir à un vaste réseau de personnes directement intégrées dans la réalité de l’UE, poursuit l’OSE. Celles-ci sont aussi à même d’expliquer directement nos systèmes politiques et de défendre nos intérêts».

swissinfo.ch

(Traduction de l’allemand: Samuel Jaberg)

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