
Comment un géant de l’industrie allemande est devenu suissse
L'une des huit études publiées jeudi par la Commission Bergier raconte la fabuleuse histoire d'Interhandel. L'histoire d'un empire financier créé à Bâle par les Allemands, et qui a opposé Berne à Washington pendant vingt et un ans
L’affaire a tout d’un scénario hollywoodien: argent, nazis, rapport secret, rebondissement, et enfin dénouement fulgurant (mais il y aura une suite) grâce au beau Robert Kennedy, le frère du président assassiné!
Pas étonnant qu’avec ces ingrédients, la presse internationale ait consacré – notamment dans les années 50 et 60 – des milliers de pages au sujet, qui a aussi alimenté, à la fin des années 70, un livre à succès: «Crime et châtiment d’IG-Farben».
Mythes, réalité et propagande
C’est le mérite de l’historien Mario König d’avoir réussi à distinguer dans l’affaire Interhandel les mythes, la réalité et la propagande (notamment celle des Américains); à expliquer les motifs profonds des principaux acteurs; et à donner, sur la base d’une masse de documents, une réponse claire à la question qui était posée.
La puissante société suisse Interhandel (elle s’appelait à l’époque IG-Chemie), créée par le géant chimico-pharmaceutique allemand IG-Farben pour gérer ses participations étrangères, était-elle, après 1940 (et comme l’ont prétendu les Américains) contrôlée par les nazis?
La réponse donnée par König est «non». Et, même si ce «non» est assorti d’explications, il devrait faire plaisir aux milieux économiques suisses, notamment à l’UBS, principal acteur dans cette affaire depuis les années 60.
A cet égard, il faut savoir qu’en 1963, après des années de guerre juridique entre Berne et Washington, le séquestre frappant l’énorme filiale américaine – 7600 employés en 1952 – d’Interhandel (considérée par Washington comme «bien ennemi») est levé. Il l’est grâce à un compromis conclu dans des conditions épiques entre le président de l’UBS d’alors, Alfred Schaefer, et le ministre américain de la Justice Robert Kennedy.
Résultat: en 1967, l’UBS empoche un demi-milliard de francs. Et devient ainsi – c’était avant sa fusion avec la SBS – la première banque de Suisse.
Des liens étroits avec IG-Farben
Furieux, les liquidateurs allemands de la société IG-Farben -fondatrice, on vient de le voir, d’IG-Chemie/Interhandel – réclament depuis lors à l’UBS 4 milliards de marks. Ils affirment qu’Interhandel appartient toujours à IG-Farben et que l’UBS s’est appropriée à tort l’essentiel de ses biens.
Certes, ils ont été déboutés par la Cour suprême allemande en 1988. Mais, ils rêvaient de relancer l’affaire. Et ils avaient placé tout leur espoir dans l’étude de Mario König. Jusqu’ici, l’historien a, en effet, été la seule personne autorisée à consulter un rapport ultra-secret sur l’affaire, commandé par le gouvernement suisse en 1945.
Or, selon Mario König, ce rapport, même s’il confirme l’existence de liens étroits avec IG-Farben, ne contient aucun élément décisif. Autrement dit, il ne prouve pas que IG-Chemie/Interhandel était contrôlé par IG-Farben, à partir de 1940.
Une conclusion d’autant plus importante qu’IG-Farben était l’un des principaux contributeurs à l’effort de guerre allemand (explosifs, essence, caoutchouc). Et qu’il est resté tristement célèbre pour avoir joué un rôle dans la fabrication du gaz d’extermination Zyklon-B et utilisé en masse des travailleurs forcés.
Michel Walter

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