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Des Suisses au bagne (4/5) – L’assassin

La "Grande Fatigue" comprenait les travaux les plus pénibles. (DR)

Père trop tôt disparu, maltraitance, placement dans une maison d'éducation: schéma tragique qui voit Louis Rossel condamné à mort pour l'assassinat d'une patronne de café parisien. Il mourra à 46 ans, après 27 années de bagne.

Né à Prêles, au-dessus de lac de Bienne, en 1868, Louis Rossel a fait en 1886 les gros titres de la presse parisienne sous l’appellation de «l’assassin de la rue Gay-Lussac».

Le jeune Suisse – il a 18 ans – a étranglé la patronne d’un café pour lui dérober ses bijoux. Arrêté plus tard à Constantine, en Algérie française, il est transféré en France et condamné à mort. Une peine commuée en travaux forcés à perpétuité par le président de la République en raison de son jeune âge. Direction la Guyane !

Charles Estoppey, membre du gouvernement du canton de Vaud, est intervenu en sa faveur, mais l’ambassadeur de Suisse à Paris a tenu à le mettre en garde: «Vous m’obligeriez en ne donnant aucune publicité à cette décision (réd: de grâce). Cela pourrait provoquer des criailleries de la part des partisans de la peine de mort ou des personnes hostiles aux étrangers.»

A Paris, la colère est telle que la mère et le beau-père du jeune meurtrier doivent quitter la capitale et trouver refuge à Genève.

Enfance tragique

Le parcours de Louis Rossel est «classique»: devenue veuve quelques années après sa naissance, sa mère le place chez le garde-champêtre de Cudrefin (Vaud).

Alors qu’il a 12 ans, sa mère se remarie avec un horloger de Paris, M. Matthey, et retire le jeune homme à ses parents adoptifs. A Paris, le beau-père ne tarde pas à le prendre en grippe. Le voilà placé successivement chez un oncle brutal (un laitier neuchâtelois), puis chez un marchand de vin parisien.

A 14 ans, le jeune garçon tente de regagner la Suisse à pied, mais finit par renoncer après deux jours de marche sans avoir rien mangé et va dès lors accumuler les bêtises et les petits boulots.

A Paris, il travaille comme domestique chez un rentier auquel il vole des bijoux et une somme de 70 francs. Par contumace, les juges le condamnent à deux ans de prison, avant qu’il récidive avec la patronne du café, Mme Loyson, qu’il va étrangler à mort.

«Cette Guyane dans laquelle je pleure…»

Condamné à la perpétuité aux bagnes de Cayenne, le matricule 22’102 tente l’évasion en 1888. Repris, il est condamné à porter pendant cinq ans une double chaîne qui le relie à un autre forçat.

Il tente d’obtenir une réduction de peine par l’intermédiaire du consul de Suisse à Paris. En vain. Mais en 1905, à l’occasion du 14 juillet, il a plus de chance. La perpétuité est transformée en une peine de 20 ans mais «à compter de ce jour», précise le Bureau des grâces au déporté qui a alors 37 ans et dont le repentir paraît sincère.

En 1912, la Feuille religieuse du canton de Vaud publie une lettre signée L. R.: «Oh, cette Guyane dans laquelle je souffre, dans laquelle je pleure, avec ses maladies contre lesquelles il faut savoir lutter pour ne pas être écrasé […] C’est un long cauchemar dont on ne peut se faire une idée.»

Sa sœur adoptive, la fille du garde-champêtre, Eugénie Hégelbach tentera des démarches pendant 27 ans pour sauver son «cher frère»: «Quelles souffrances me seront enlevées quand je le sentirai libre.»

«Matérialiste et buveur»

Les renseignements transmis par l’ambassade de Suisse à Paris parlent cependant en sa défaveur.

«Il semble jongler avec sa conscience dans un but exclusivement intéressé, rapporte l’aumônier protestant de la Guyane française. Il se fit catholique et demeura catholique tout le temps que les sœurs de Cluny furent infirmières à l’Hôpital de Saint-Laurent du Maroni où il était lui-même en service comme cuisiner. Les bonnes sœurs partirent et Rossel redevint ostensiblement ce qu’il était resté toujours au fond du cœur: matérialiste et buveur.»

«Si Rossel était libéré en Guyane, il ne pourrait s’établir comme restaurateur. D’ailleurs, comme les petits restaurants abondent, il fera difficilement sa percée», précise en 1911 la Société de patronage des prisonniers protestants libérés. S’il y parvient, son établissement deviendra vite une maison de débauche, comme le sont presque tous ces établissements.»

Atteinte de tuberculose incurable, sa sœur adoptive veut encore faire le voyage en Guyane pour tenter de retrouver le compagnon de jeu de son enfance. En juillet 1913, l’ambassadeur de Suisse le lui déconseille vivement, en même temps qu’il renonce à poursuivre les démarches pour le rapatriement de Rossel.

«Le retour n’est nullement désirable dans l’intérêt de votre frère. Il faut que vous et moi acceptions la situation», écrit-il à la malheureuse.

Le 28 janvier 1915, Louis Rossel meurt à l’hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni, aux portes de la forêt tropicale. Le Vaudois avait 46 ans et pas moins de 27 années de bagne, plus de la moitié de sa vie…

Olivier Grivat, swissinfo.ch

Prochain et dernier article: Charles Péan, le Suisse qui fit fermer le bagne

«Le fait que j’ai commis dans un moment d’oubli de moi-même […] était la faute d’un jeune homme (j’avais 18 ans, alors !)», écrit Louis Rossel, détenu No 22’102 à l’île Royale des îles du Salut, en mai 1901 où avait été détenu quatre ans plus tôt le capitaine Dreyfus, avant que son innocence soit reconnue. «Ma faute doit être, je crois, suffisamment expiée par quatorze années de souffrances !»

«D’ailleurs, Monsieur le Consul, si à mon arrivée à la Guyane, j’étais encore imbu de malheureuses idées qui m’ont conduit où je suis, depuis j’ai bien changé: 13 années se sont écoulées, sans que j’aie encouru une seule punition. […] J’ai toujours la ferme volonté de m’efforcer, par un sincère retour au bien, de faire oublier le triste passé !»

Un appel qui, comme tant d’autres, restera vain.

Neuf ans plus tard, à la veille de Noël 1910, le même consul de Suisse à Paris semble peu convaincu par les remords du bagnard:

«Faire revenir Rossel en Suisse m’a toujours été présenté comme impossible, tant au Ministère de la Justice qu’à celui des Colonies, écrit-il à la Société de patronage des prisonniers libérés, à Paris. La peine de mort transformée en relégation implique absolument que le condamné ne doit pas rentrer en Europe. A supposer que contre toute attente, Rossel soit gracié, expulsé de France et dirigé sur la Suisse, qu’y ferait-il ? Sa famille est dans la misère ou alcoolique et il ne rencontrera autour de lui que de l’hostilité.»

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