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Les dessins d’enfants racontent un siècle

Les archives de la Fondation Pestalozzianum réunissent plus de 50'000 dessins d’enfants du monde entier, comme celui de cette fillette américaine de 10 ans, daté de 1960. Stiftung Pestalozzianum

Une collection de plus de 50'000 dessins d’enfants: c’est le trésor de la Fondation Pestalozzianum, qu’analyse actuellement une historienne de l’art. Ces œuvres, signées parfois de jeunes personnes devenues illustres (comme Dürrenmatt) disent l’histoire du 20e siècle.

Anna Lehninger se déplace entre les rayons qui garnissent cette cave de la périphérie de Zurich avec la précision d’un métronome. Juchée sur une échelle branlante, elle ouvre des boîtes en carton et feuillette des piles de papier pendant de longues minutes avant de redescendre avec quelques feuilles. Elle les passe en revue, les observe… Et soudain, la surprise se peint sur le visage de cette jeune historienne de l’art née à Vienne il y a 33 ans et installée depuis dix ans en Suisse.

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Les œuvres qu’elle a sous les yeux sont des collages, une technique rendue possible par le boom économique de l’après-guerre, lorsque les revues illustrées et les catalogues ont commencé à entrer dans les foyers suisses. Ce sont des figures monstrueuses, sorte de Frankenstein des temps modernes et témoins de leur époque, comme le sont les 50’000 dessins conservés dans les archives de la Fondation Pestalozzianum à Oerlikon.

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Dürrenmatt, gagnant malchanceux

Des coups de cœur comme celui-ci, Anna Lehninger en a eu beaucoup depuis trois ans. Par exemple, le jour où elle est tombée, presque par hasard, sur les dessins du jeune Friedrich Dürrenmatt, qui deviendra un des écrivains et dramaturges suisses les plus lus et les plus joués dans le monde.

Ils sont au nombre de six, tracés au crayon, au crayon de couleur et à l’encre et ils rappellent la passion précoce du futur grand homme pour la peinture, l’histoire et les personnages épiques. Datés de 1934, ces croquis montrent des personnages courageux, comme des Indiens d’Amérique ou Adrian von Bubenberg, défenseur légendaire de la cité de Morat lors de l’assaut des Bourguignons en 1476.

«En vérité, je cherchais un autre dessin de Dürrenmatt, publié dans un calendrier Pestalozzi des années 30, dans lequel il avait représenté une bataille historique des Confédérés. Mais je ne l’ai pas trouvé et je crains qu’il ne fasse plus partie de la collection», explique l’historienne de l’art.

Comment ces dessins sont-ils arrivés là? Agé à l’époque de 13 ans, «Fritz» Dürrenmatt – comme il signe alors ses œuvres au verso -, les avait envoyés à l’occasion du concours annuel du calendrier Pestalozzi, raconte Anna Lehninger, visiblement émue. «Dürrenmatt avait déjà participé à ce concours et il avait gagné le premier prix: une montre de poche. Mais au moment de venir chercher sa récompense, sous le coup de l’émotion, il avait laissé tomber le précieux objet, qui s’était cassé. Probablement qu’il avait envoyé ces nouveaux dessins dans l’espoir de gagner une nouvelle montre. Mais cette fois, le jury lui a simplement accordé une mention».

Initié en 1932 en tant qu’Institut international pour l’étude du dessin, ce fonds d’archives a pour mission initiale de documenter l’évolution de l’enseignement du dessin à l’école. Son premier directeur, Jakob Weidmann (1897-1975), adhérait au mouvement du «Nouveau dessin», qui entendait renouveler l’enseignements de la discipline, en libérant les enfants de l’exercice de reproduction fidèle d’un modèle.

Dans ce but, Weidmann entretenait des contacts permanents avec des enseignants d’autres pays, comme le Japon, la Suède ou l’Inde. Cette collaboration se matérialisait notamment par l’organisation de nombreuses expositions itinérantes afin de diffuser la nouvelle conception de l’enseignement du dessin.

Au fil des décennies, des collections sont venues enrichir le fonds, comme celle du concours du calendrier Pestalozzi (22’000 dessins) et d’autres collections privées (14’000 dessins).

Pour le moment, seuls quelque 400 dessins sur les plus de 50’000 que recèle le fonds ont été scannés et numérisés. La Fondation Pestalozzianum espère pouvoir poursuivre à l’avenir cette activité d’inventaire et de catalogage de ses collections.

Depuis août 2012, Anna Lehninger, historienne de l’art à l’Institut pour les cultures populaires de l’Université de Zurich, analyse ces dessins d’un point de vue anthropologique et culturel. Les collections sont également à disposition pour d’autres chercheurs.

D’autre noms célèbres

Dürrenmatt n’est pas le seul personnage illustre à figurer dans ces archives. Anna Lehninger y a déniché par exemple un découpage de l’artiste grison Alois Carigiet. Collé sur une feuille de papier jaunie par le temps, il s’agit du profil du frère de ce futur peintre et illustrateur de livres pour enfants, dont le Schellenursli (paru en 1945, Une cloche pour Ursli en français) a fait le tour du pays. Et même plus, puisqu’il a aussi été traduit en anglais, suédois et japonais.

Dans cette cave d’Oerlikon, on trouve aussi un portrait au crayon d’Edouard, 13 ans, fils d’Albert Einstein, un découpage de Celestino Piatti, fameux graphiste et peintre d’origine tessinoise, un dessin de Globi – perroquet coiffé d’un béret et vêtu d’un pantalon à carreaux rouges et noirs -, signé du futur ministre Kaspar Villiger. Ou encore la représentation d’une échappée d’Hugo Koblet pendant une course cycliste, dessinée par Franz Hohler, qui deviendra écrivain, auteur de chansons et cabarettiste.

Mais ce fonds d’archives ne vaut pas uniquement pour ces œuvres d’enfants à qui l’âge adulte apportera la célébrité. Il vaut aussi – et surtout – pour sa richesse et sa diversité. Les 50’000 dessins proviennent de quelque 25 pays et ont été réalisés soit à l’école durant les leçons de dessin, soit pour des concours, en Suisse comme à l’étranger. La collection de la Fondation Pestalozzianum fait partie des plus importantes d’Europe, avec celles de Vienne, de Prague, de Mannheim ou de Lausanne.

Le fonds de la Fondation Pestalozzianum offre une vision globale de l’art pictural enfantin dans le monde au siècle dernier. Les cinq continents y sont représentés, quoique de manière inégale.

«Les collections très riches de certains pays comme la Suède ou le Japon permettent de connaître à fond les méthodes et les programmes d’enseignement de certaines écoles, voire de certains professeurs. On peut ainsi comparer l’enseignement du dessin dans ces pays avec celui dispensé en Suisse et relever les analogies et les différences. Par exemple, dans les années 1930, les objectifs didactiques en Tchécoslovaquie sont similaires à ceux poursuivis à Zurich. Par contre, à la même période, on voit que les dessins d’une classe de Munich sont déjà imprégnés de l’idéologie et de la forme expressive du national-socialisme», explique l’historienne de l’art Anna Lehninger.

Miroir des changements d’un siècle

Feuilleter ces dessins, c’est un peu s’offrir un voyage dans le temps. On peut y voir les changements de la société, les grands tournants du siècle passé et l’évolution de la manière d’enseigner le dessin. «Il y a assez de matériel pour des décennies de recherche. Il est très intéressant de voir comment les enfants ont représenté la réalité qui les entourait», indique Anna Lehninger.

Le 20e siècle est riche en événements historiques et certains ont particulièrement frappé les jeunes artistes. Parmi eux, bien sûr, la Seconde Guerre mondiale (avec des images de pères, d’oncles, de cousins en uniforme et en armes ou de choc des cultures), mais aussi les grandes compétitions sportives ou le premier homme sur la Lune.

Les dessins sont aussi un miroir des évolutions sociales, surtout au sein de la famille. «Jusqu’aux années 60, les traditions sont respectées et les rôles à la maison bien définis, remarque l’historienne de l’art. Mais dès les années 70, les enfants commencent à dessiner un père qui range la cuisine ou qui donne un biberon au bébé, tandis que la mère conduit la voiture».

Ces dessins racontent un siècle en couleurs. Sous le regard austère des bustes de Pestalozzi, Anna Lehninger cherche, entre les lignes de crayon, les gros traits de pinceau et les collages polychromes, l’histoire vue par les yeux de l’enfance et de la jeunesse.

(Traduction de l’italien: Marc-André Miserez)

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