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Votations fédérales du 25 septembre 2022

Malgré un net succès dans les urnes, l’agriculture suisse reste sous pression

A la Vallée de Joux, dans le canton de Vaud, la sécheresse exceptionnelle de l'été a mis à rude épreuve le bétail. © Keystone / Jean-christophe Bott

En rejetant l’initiative contre l’élevage intensif ce dimanche, les Suisses ont une nouvelle fois exprimé leur attachement à une agriculture nationale forte. Mais les milieux agricoles ne pourront pas balayer d’un simple revers de la main le débat grandissant sur l’impact climatique des aliments. Analyse.

Les agriculteurs et agricultrices suisses peuvent souffler. Du moins, celles et ceux, largement majoritaires, qui s’opposaient à l’interdiction de l’élevage intensif. Même si la campagne a été un peu moins émotionnelle et agitée que celle de l’an dernier sur l’interdiction des pesticides de synthèse, cette votation avait un air de déjà-vu.

>> Notre compte-rendu sur la votation sur l’initiative contre l’élevage intensif:

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Le monde rural a présenté un front uni pour s’opposer à cette «attaque» venant des milieux anti-spécistes, soutenus par plusieurs associations de défense de l’environnement. Les rares voix discordantes ont eu de la peine à se faire entendre. Certains agriculteurs en faveur de cette initiative ont même préféré se taireLien externe par peur des représailles.

Comme lors des précédentes votations qui ciblaient l’agriculture – pesticides, écornage des vaches, aliments durables – le peuple s’est une nouvelle fois rangé derrière les arguments de l’Union suisse des paysans, puissante organisation de défense des intérêts de l’agriculture suisse, qui dispose de relais efficaces au sein du monde politique.

Lassitude du monde agricole

Dans un contexte peu favorable aux nouvelles expérimentations – guerre en Ukraine, craintes de pénurie, inflation – le vote prudent l’a emporté. Les citoyens et citoyennes, qui sont avant tout des consommateurs et consommatrices, veulent pouvoir continuer de choisir leur nourriture et l’acheter à un prix raisonnable. Comme lors des votes précédents, un argument a fait mouche: celui de la concurrence étrangère. Chaque durcissement des conditions d’exploitation en Suisse est présenté par le lobby de l’agriculture comme la porte ouverte à des aliments importés et présentés comme de moins bonne qualité.

Mais malgré la victoire confortable de ce dimanche, cette énième bataille a laissé des traces dans les campagnes suisses. «Les agriculteurs éprouvent une grande lassitude. Ils ont l’impression de devoir constamment se justifier et d’être injustement perçus comme des empoisonneurs ou des bourreaux d’animaux par une population urbaine qui, à leurs yeux, a une vision idéalisée de l’agriculture et se montre de plus en plus exigeante par rapport aux aliments qu’elle consomme», observe Jérémie ForneyLien externe, professeur d’anthropologie à l’Université de Neuchâtel et spécialiste du monde agricole.   

Le système politique suisse permet assez aisément à un groupe restreint d’individus, comme ce fut le cas avec les initiatives sur les pesticides ou celle sur l’écornage des vaches, d’exiger des changements radicaux dans un secteur d’activité, sans qu’ils jouissent forcément d’un large soutien politique. «Comme il est assez facile de cibler l’agriculture, on fait porter à cette branche l’entière responsabilité d’une problématique bien plus large et complexe. On tente ainsi de lui imposer des contraintes massives, alors que la sacro-sainte liberté du consommateur n’est par exemple jamais remise en cause», souligne Jérémie Forney.

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À la fois victimes et responsables

Pour autant, et même si la Suisse reste un pays à majorité de droite, l’agriculture devra évoluer si elle entend continuer à s’attirer la sympathie de la population. «Ce ne sont plus seulement les végans extrémistes qui nous disent de manger moins de viande. Ce discours est porté par la science et les politiques. Les représentants de l’agriculture institutionnelle ne peuvent plus continuer à se défendre avec des arguments simplistes. Ils doivent présenter des alternatives et se montrer ouverts au dialogue», estime Jérémie Forney.

Cet été, l’image d’Épinal de la vache paissant paisiblement dans un paysage de carte postale a pris un sacré coup. Les photos d’alpages asséchés et les témoignages d’agriculteurs condamnés à sacrifier une partie de leurs troupeauxLien externe faute de fourrage suffisant ont marqué durablement les esprits. La sécheresse exceptionnelle a agi comme un électrochoc sur une grande partie de la population: le réchauffement climatique ne frappe pas seulement les pays les plus fragiles de la planète; la Suisse en subit elle aussi de plein fouet les conséquences. 

Or, les bovins, qui ont particulièrement souffert de l’été sec et caniculaire, sont aussi les animaux d’élevage dont l’impact sur le réchauffement climatique est le plus important, notamment en raison de leur production importante de méthane, un puissant gaz à effet de serre.

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S’il a surtout été question de bien-être animal durant la campagne sur l’élevage intensif, la question des émissions générées par les animaux de ferme figurait également dans l’argumentaire du comité d’initiative. Et les adversaires de l’élevage intensif n’ont pas manqué de dénoncer le non-sens qui consiste à détruire une partie de la forêt tropicale au Brésil pour y cultiver du soja destiné à engraisser le bétail en Suisse.  

Même si la crise énergétique occupe aujourd’hui tous les esprits, cette question de l’impact de l’agriculture sur le climat et l’environnement ne disparaîtra pas de l’agenda politique. Il est pratiquement certain que d’autres initiatives seront lancées ces prochaines années. «La bonne nouvelle, c’est que malgré des tensions épisodiques, jamais les citoyens et citoyennes suisses ne se sont autant intéressés à la question agricole. Et avec l’arrivée d’une nouvelle génération d’agriculteurs et d’agricultrices, qui est davantage prête à tenter de nouvelles expériences et à tendre la main au consommateur, le monde agricole a toutes les cartes en mains pour capitaliser sur le soutien obtenu ce dimanche dans les urnes», avance Jérémie Forney.

Quant au citoyen-consommateur, il n’aura pas besoin d’attendre la prochaine votation avant de pouvoir exprimer à nouveau son opinion. Chaque jour, en faisant ses courses, il peut décider quel type d’agriculture il entend favoriser.  

Edité par Balz Rigendinger

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