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Le vote à 16 ans: plus qu’une mesure symbolique?

Comme chaque année, en novembre 2024, 200 jeunes Suisses se sont réunis à Berne pour la «session des jeunes» du Parlement fédéral.
Comme chaque année, en novembre 2024, 200 jeunes Suisses se sont réunis à Berne pour la «session des jeunes» du Parlement fédéral. Keystone / Marcel Bieri

Doit-on donner le droit de vote dès 16 ans? En Suisse, l’idée n’est jamais très loin de l’agenda politique, et se voit en général catégoriquement rejetée. À travers le monde, l’impact d’une telle réforme sur la participation des jeunes en politique ne serait pas si considérable, selon un récent index.

En 1979, une étroite majorité de Suisses a dit «non» à quelque chose que l’on prend pour acquis aujourd’hui: le droit de vote à partir de 18 ans. Certains des arguments entendus à l’époque sonnent un peu guindés aux oreilles contemporaines. «Les jeunes sont certainement plus désinhibés et précoces qu’ils ne l’étaient auparavant, notamment en matière de sexualité, mais ce n’est pas la preuve qu’ils sont plus matures sur le plan politique, ou de la personnalité», estimait un sénateur. L’âge minimal est resté à 20 ans.

Mais l’histoire avait pris une autre direction. Déjà en 1969, le Royaume-Uni abaissait le seuil de l’âge pour le droit de vote de 21 à 18 ans. Les États-Unis ont fait de même en 1971. Plusieurs pays, dont l’Australie, la Suède et la France, ont suivi la tendance dans les années 1970. Et en Suisse, après l’ajustement par plusieurs cantons de l’âge minimal du droit de vote au cours des années 1980, un autre vote a eu lieu en 1991; cette fois, il est passé, à une majorité de plus de 70%.

Le plancher est atteint

Trois décennies plus tard, les débats à propos de l’âge «approprié» se poursuivent, mais le plancher semble avoir été atteint pour le moment, du moins en Suisse. L’idée d’ouvrir le vote aux jeunes de 16 et 17 ans émerge régulièrement, puis est invariablement balayée. Le Parlement a enterré une proposition l’an dernier, tandis que huit cantons, Lucerne étant le plus récent, ont rejetéeLien externe l’idée lors de votations populaires. Le canton de Glaris est devenu la seule exception en 2007.

Pourquoi cette idée est-elle vouée à l’échec? Une nouvelle étudeLien externe menée par le Centre d’études sur la démocratie d’Aarau (ZDA) suggère que cela ne tient pas à la maturité politique des jeunes en tant que tels. Selon leur sondage, l’autoperception civique des citoyens de 16 et 17 ans en Suisse est à peu près la même que celle des 18-25 ans: les jeunes mineurs se montrent tout aussi intéressés par la participation politique, tout autant exposés au débat politique, et consomment même plus d’information politique que leurs pairs légèrement plus âgés.

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Les résultats étaient surprenants, admet le coauteur de l’étude, Robin Gut. «Nous avions supposé que les citoyens de 16 et 17 ans feraient état d’un intérêt moindre pour la politique, vu qu’ils n’ont pas encore le droit de vote. Mais finalement, il n’y avait aucune ou très peu de variation entre les groupes d’âge.»

Des cas-tests

Bien que l’étude suggère que les jeunes citoyens sont subjectivement «prêts» et intéressés, il n’est pas facile d’appréhender dans quelle mesure ils iraient voter s’ils pouvaient. Un sondage de 2014 a révélé qu’une majorité des jeunes de 16 et 17 ans en Suisse étaient favorables à conserver l’âge du premier vote en l’état. À Glaris, où le système politique est marqué par la forme caractéristique de la Landsgemeinde (voir ci-dessous), les comptes-rendus occasionnels sur l’implication des jeunes depuis 2007 sont positifs. Mais les collègues de Robin Gut au ZDA estiment aussi que les jeunes du canton votent moins souvent que les plus âgés, notamment à propos des enjeux locaux.

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Plus loin de chez nous, l’Argentine, l’Autriche, le Brésil, l’Équateur et Malte ont tous abaissé l’âge du droit de vote à 16 ans à l’échelle nationale. Plusieurs États européens ont fait de même au niveau local ou régional. Les études portant sur les retombées de ces réformes sont généralement positives. En Écosse, les jeunes de 16 et 17 ans fraîchement émancipés ont massivement participé au référendum pour l’indépendance en 2014 et sont restés engagésLien externe depuis. Les jeunes Autrichiens ont également tendance à voter davantage que des primovotants plus âgés, et ils ne votent pas si différemment, selon un rapportLien externe du Conseil de l’Europe.

Des électeurs réticents

Néanmoins, une réforme de ce type n’est pas une solution magique à la désillusion de la jeunesse vis-à-vis de la politique. Le récent Global Youth Participation IndexLien externe (index mondial de participation des jeunes), qui analyse 141 pays à travers une série d’indicateurs socio-économiques, civiques et politiques, ne considère pas l’abaissement de l’âge du premier vote comme spécialement important, et aucun des pays classés dans le top 10 n’autorise les jeunes de 16 ans à voter. Dans l’ensemble, le fait de voter constituait l’un des facteurs les plus faibles de l’index, selon l’une des contributrices du rapport, Kirstie Dobbs, du Merrimack College. Les jeunes, ici définis de façon large, depuis le milieu de l’adolescence jusqu’à la fin de la vingtaine, ne sont «pas tellement attirés par les élections», dit-elle.

Kirstie Dobbs liste quelques raisons pour expliquer cela. L’une d’entre elles est que les jeunes ont simplement d’autres priorités, comme trouver une voie professionnelle et personnelle. Une autre, c’est la confiance dans le processus électoral. Au cours de précédentes recherches en Tunisie après le Printemps arabe, Kirstie Dobbs a par exemple découvert que les jeunes étaient engagés politiquement, mais considéraient les élections comme entachées par la corruption. Même dans une démocratie établie telle que l’Autriche, le Youth Participation Index écrit que le bénéfice d’un âge abaissé pour voter est annulé par «le déclin de plus en plus prononcé de la confiance dans les partis politiques». L’Autriche arrive 14e au classement.

Dans ce contexte, Kirstie Dobbs estime qu’abaisser l’âge du droit de vote ne fait pas une grande différence, du moins en soi. «C’est un excellent début, mais l’impact pour ce type de politique dépend d’autres éléments alentours», dit-elle. La culture familiale, l’éducation et le capital social (à quel point vous êtes intégrés dans une communauté) sont vitaux. Les personnalités politiques et les partis échouent encore à atteindre les jeunes via le numérique, selon elle. Par ailleurs, les débats sur l’âge d’accès au vote sont déconnectés d’enjeux tels que la santé mentale, ajoute-t-elle.

«Comment pouvez-vous encourager quelqu’un à se déplacer pour aller voter si vous n’arrivez pas à le / la faire sortir du lit le matin?»

Inclusivité et justice démocratique

Robin Gut du ZDA pense également que l’abaissement de l’âge du droit de vote ne changerait pas radicalement la donne. Ce qui s’applique aussi à son impact potentiel sur les votes en Suisse. Selon son calcul, les jeunes de 16 et 17 ans représenteraient 2,4% de l’électorat suisse élargi. C’est une portion non négligeable, mais qui n’est pas susceptible de faire basculer les scrutins sur des enjeux où l’électorat plus âgé l’emporte, comme sur la réforme des retraites. Au mieux, les jeunes pourraient avoir un impact sur les scrutins très serrés. Par exemple, la décision de 2020, adoptée à 50,1% d’acheter de nouveaux avions de combat, qui demeure un sujet brûlant.

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Dans l’ensemble, Robin Gut conclut que d’un point de vue scientifique, «rien ne s’oppose à un abaissement de l’âge du vote». Les barrières sont politiques plus qu’empiriques: l’enjeu n’est tout simplement pas prioritaire, comparé à ceux concernant la sécurité, le climat, la réforme des retraites ou le système de santé, dit-il. Les jeunes n’ont pas non plus de lobby fort ou de subventions derrière eux. Il n’y a pas non plus de consensus entre les partis sur la question, qui demeure principalement ancrée à gauche.

Mais alors que la population vieillit, l’âge du vote est en train de devenir une question importante du point de vue de la justice démocratique, ajoute Robin Gut. D’un côté, son abaissement représenterait un «signal» envers la jeunesse, l’idée qu’on la prend au sérieux. De l’autre, il estime de plus en plus problématique que les électeurs plus âgés détiennent tant de pouvoir sur des décisions par rapport aux plus jeunes. «À moyen et long terme, alors que l’âge médian de l’électorat se rapproche de 60 ans, nous devons nous attaquer au problème», dit-il.

Bien sûr, l’abaissement de l’âge légal pour voter ne suffirait pas à inverser cette tendance. Étant donné les courbes démographiques, elle ne ferait que la ralentir un peu. Pour éviter réellement la gérontocratie qui s’annonce, Robin Gut évoque d’autres idées: le droit de vote familial, par exemple, ou la nécessité pour un scrutin d’atteindre une majorité de votants de moins de 40 ans pour être adopté. Évidemment, admet-il, ces idées ont encore moins de chances de rencontrer d’aboutir que celle de l’abaissement de l’âge du droit de vote.

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Relu et vérifié par Benjamin von Wyl / traduit de l’anglais par Pauline Grand d’Esnon

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