Des perspectives suisses en 10 langues

Des papyrus au centre d’une guerre des mots

La Fondation Bodmer a attiré l'attention sur le Manuscrit de Judas. Keystone

Le projet de la Fondation Bodmer de vendre deux manuscrits anciens a suscité des protestations du monde académique.

Les érudits craignent que la vente de ces papyrus, qui datent du 2e siècle, ne précipite le démantèlement de la collection dont ils font partie.

Située à Cologny, aux portes de Genève, la Fondation Bodmer détient une collection unique de manuscrits de grande valeur. Pour assurer l’avenir du musée, ouvert il y a trois ans, elle a indiqué devoir lever des fonds.

Une vingtaine de scientifiques de Suisse et de l’étranger ont cependant lancé un appel pour que les deux textes soumis à la vente – des évangiles de St-Jean et de St-Luc – demeurent aux mains de la Fondation et continuent à faire partie de l’ensemble qu’ils constituent avec d’autres manuscrits.

Ainsi, selon Paul Schubert, professeur de grec ancien à l’Université de Genève, la collection abritant ces deux textes est l’une des plus complètes et des plus précieuses au monde.

Elle contient des codex du Nouveau Testament, d’autres textes chrétiens et trois comédies de l’auteur grec Ménandre. Tous ces documennts font partie d’un ensemble découvert au même endroit.

«Daté du 2e au 4e siècle, cette collection est un des joyaux de la Bibliothèque Bodmer, a expliqué Paul Schubert à swissinfo. C’est comme si le British Museum décidait de vendre un panneau de la frise du Parthénon.»

Par hasard

Spécialiste de papyrus anciens, le professeur précise que ses collègues, en Suisse et à l’étranger, s’inquiètent en outre de la manière «étouffée» avec laquelle la vente est organisée,

Le monde académique n’a appris la nouvelle que grâce à un chercheur ayant su que l’Université américaine de Yale se mettait sur les rangs des possibles acheteurs.

«Nous ne savons pas à qui la Fondation souhaite vendre ces papyrus, ajoute Paul Schubert, et nous ne savons pas vraiment ce qu’elle entend faire de l’argent récolté. Est-ce réellement pour financer le musée ou est-ce pour faire d’autres acquisitions?»

«Nous essayons seulement d’attirer l’attention sur le fait qu’il faut réagir. Vendre des œuvres de premier ordre pour continuer à faire fonctionner une institution n’est pas une bonne méthode. C’est se tirer une balle dans le pied», juge le professeur de grec.

Selon Paul Schubert, le musée s’en sortirait mieux en vendant des exemplaires d’œuvres dont il existe une copie. L’helléniste espère en outre pouvoir convaincre le gouvernement cantonal d’intervenir.

Neuf millions de dollars

Cette réaction met Jean Bonna, président du conseil de Fondation, en colère. Selon lui, les responsables de la collection agissent dans l’intérêt du musée.

La Fondation Bodmer a un besoin urgent de capitaux, explique Jean Bonna, pour couvrir les frais annuels d’exploitation, qui se montent à 1,8 million de francs (1,4 million de dollars).

Or la vente des papyrus pourrait rapporter 9 millions de dollars. De plus, ces textes ont déjà été entièrement publiés. La transaction doit encore être complétée.

Capital insuffisant

«Nous avons toujours su que le capital [de la Fondation] serait insuffisant pour exploiter ce musée, affirme Jean Bonna. Depuis que nous l’avons ouvert, nous réfléchissons à ce que nous pourrons vendre.»

«Nous avons pris une décision responsable, après mûre réflexion et tenant compte de tous les intérêts en jeu», assure le président à swissinfo.

Selon Jean Bonna, les manuscrits seront conservés dans un musée, une université ou une importante bibliothèque d’Europe ou des Etats-Unis et seront accessibles aux chercheurs.

«Le règlement de la Fondation est très clair: il nous permet de vendre tout objet lui appartenant dès que la survie de l’institution est en jeu, ce qui est le cas», conclut-il.

swissinfo, Adam Beaumont à Genève
(Traduction de l’anglais: Ariane Gigon Bormann)

La Fondation Bodmer a vu le jour en 1971 grâce à des universitaires et au collectionneur Martin Bodmer. Elle compte plus de 150’000 manuscrits et livres, datant de l’Antiquité jusqu’aux Temps modernes.

Conçu par l’architecte tessinois Mario Botta, le musée est public et présente une exposition permanente ainsi que quatre parcours temporaires par année.

La Fondation est soutenue par le canton de Genève (500’000 francs par année), par la commune de Cologny et par des donateurs privés.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision