
Entre armure et robe de soie… un fil

A Bâle, le Musée Tinguely interroge, dans le cadre d'une exposition temporaire, la fonction du vêtement, du Moyen Age à nos jours. Cuirasses militaires et robes de soirée cohabitent ici en toute élégance.
Mariage de la soie et de la botte de combat. Cette union, penserait-on, est impossible. Et pourtant elle fait bon ménage au Musée Tinguely où soldats et guerrières de la beauté convolent en paix dans le cadre somptueux de l’exposition «Rüstung & Robe» («Armure & robe de soirée»).
Pour évoquer la guerre on parle de feu. On parle de feu pour évoquer l’amour également. Une étincelle allume un conflit, elle peut tout aussi bien enflammer un cœur. «Fire», dit le soldat dodu, tout de noir vêtu, qui manipule un mortier. Il tire. De son canon sort une femme, toute fine, toute de blanc vêtue. Aussitôt née, la femme est enlevée par deux combattants, autant dire deux hurluberlus.
Le rapt déclenche une offensive où manœuvres sexuelles et guerrières se confondent allègrement. Projetée sur grand écran dans l’une des salles du musée, la scène est extraite du film «Un rêve plus long que la nuit», réalisé en 1976 par l’artiste française Niki de Saint Phalle et joué, entre autres, par Jean Tinguely, Daniel Spoerri et Bernhard Luginbühl. Soit trois plasticiens et trublions de la «scène» artistique suisse qui, à coups d’ironie, s’attaquent à l’histoire militaire et dégagent aussi son lien avec la séduction.
Du champ de bataille au bal
L’histoire militaire pile et face. Face, c’est le côté sérieux; pile, le côté ludique. Commençons par le premier, le plus impressionnant visuellement. Observée depuis la galerie, l’immense salle centrale offre au regard un champ de bataille, scène de genre digne d’une fresque de David. Ici, hallebardiers et fantassins en tout genre, disposés comme des soldats de plomb, exhibent en toute fierté leur poitrine cachée, quant à elle, sous le fer ciselé et richement orné de leur cuirasse.
Des dizaines et des dizaines de cuirasses, provenant notamment des arsenaux de Graz et de Soleure, rappellent ici la marche militaire de l’histoire. Face à face deux camps: l’Autriche et la Suisse. Au générique, quelques célèbres noms… de batailles: Morgarten, Sempach, Näfels. Au final, la victoire de la Confédération à peine naissante sur les Habsbourg.
Nous sommes donc au XIVe siècle. A l’époque, une bonne partie de l’Europe est en guerre et les hommes en armes circulent un peu partout. Avec la figure dominante du guerrier, il n’est pas étonnant que les soldats aient représenté l’élégance masculine et que leur tenue soit devenue, par la suite, source d’inspiration pour le vêtement féminin d’apparat.
C’est en tout cas ce que tente de montrer cette exposition qui rapproche deux univers très éloignés dans le temps. D’une part, le Moyen Age et ses «forgerons», tailleurs de costumes militaires. D’autre part, le XXe siècle et ses grands couturiers, dont le florentin Roberto Capucci (né en 1930) qui a travaillé avec Dior et habillé les plus belles femmes du monde.
C’est à lui aussi que rend hommage l’exposition. Ses robes de soirée, d’une richesse et d’une inventivité étonnantes, reprennent, par leur coupe, leurs courbes, leurs arêtes, leurs ciselures, leurs nervures, leurs cannelures, les motifs ornementaux des cuirasses. Rouges, vertes, mauves, jaunes, ces robes, exposées en partie dans la salle centrale, sont des joyaux qui rehaussent de leurs couleurs vives l’immense fresque guerrière.
Place au désir
Voilà pour le côté sérieux de l’exposition. Quant au côté ludique, il ne s’arrête pas au film de Niki de Saint Phalle. Il s’étend au dessin, à la photo ou à la sculpture. Chacune de ces disciplines fait l’objet ici d’une lecture sarcastique. Où l’on comprend que la beauté des toilettes se mesure finalement à l’émotion érotique qu’elle procure. Deux photos: Madonna serrée dans un corset en dentelle, le reste du corps dénudé, côtoie Jeanne d’Arc enfermée dans sa cuirasse.
Le voisinage des deux femmes, placées sous une vitrine, n’est pas fortuit. Une vierge des temps anciens, une vamp des temps modernes. Les deux corps sont valorisés par le désir qu’ils suscitent. L’un parce qu’il est trop couvert, l’autre parce qu’il ne l’est pas assez.
Et le reste est à l’avenant. Voyez ce «Povero cavaliere», sculpture métallique du très coquin Daniel Spoerri qui lance ici une œillade narquoise au carcan militaire. La cuirasse de son «cavaliere» est une carcasse offrant le spectacle d’une tuyauterie alambiquée où un robinet tient lieu de sexe rigidement désaxé.
D’autres réalisations, comme celles du chorégraphe et plasticien allemand Oskar Schlemmer, interrogent quant à elles le corps des femmes soumis aux codes culturels. Son «Ballet Triadique», série de sculptures et de dessins conçus dans les années 1920, décline sous toutes ses formes le costume des ballerines. Cela va du tutu compact, façon parasol, au tutu aéré, composé de fines tiges métalliques.
Quoi qu’il en soit, un vêtement recompose toujours un corps. Que ce vêtement soit réel ou rêvé, il laisse croire que l’être humain est tout entier dans son maintien et son allure.
Ghania Adamo, Bâle, swissinfo.ch
«Armure & robe de soirée», à voir au Musée Tinguely, Bâle, jusqu’au 30 août.
Il a été construit à Bâle, au bord du Rhin, par l’architecte tessinois Mario Botta.
De renommée internationale, ce musée crée un espace exceptionnel pour les œuvres de Jean Tinguely, artiste bâlois qui, dans les années 1950-1960, révolutionna le monde «statique» par ses œuvres cinétiques.
L’immense salle centrale du musée peut accueillir à elle seule jusqu’à 20 sculptures mécaniques.
Les collections du musée comprennent des travaux et groupes de travaux représentant toutes les phases dans la carrière de Tinguely.
Ces collections virent le jour grâce à une généreuse donation faite par la veuve de l’artiste Niki de Saint Phalle à l’occasion de la fondation du musée.
A cette donation s’ajoutent d’autres dons, plus ou moins importants, et des achats.
Le musée offre également un programme varié et animé d’expositions temporaires sur des artistes, compagnons ou contemporains de Tinguely.

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