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Phil Collins, back to Motown à Montreux

Un hommage à la Motown... et une plongée en soi-même. Keystone

C’est en prologue au Montreux Jazz Festival, qui commence officiellement ce vendredi, que le britannico-vaudois Phil Collins est venu feuilleter, en exclusivité européenne, le catalogue historico-soul du label Motown. On ne plonge pas impunément dans son passé…

«Motown a fait de moi l’homme que je suis», a déclaré un jour Barack Obama. Si le label fondé en 1959 par Berry Gordy à Detroit a pu faire de Barack Obama un président des Etats-Unis, il a bien pu également métamorphoser un ado londonien en passionné de la cause soul.

Mais il aura fallu de longues circonvolutions musicales – rock progressif avec Genesis, fusion jazz avec Brand X, pop tous azimuts en solo – pour que Phil Collins se laisse aller complètement à cette passion de jeunesse.

Cela même si un premier signe nous avait été donné en 1982 déjà quand Phil Collins envoya le «You Can’t Hurry Love» de Diana Ross et ses Supremes retrouver les premières marches des hit-parades.

Phil le Vaudois

Après un très long silence discographique, c’est avec un album de reprises Motown que Phil Collins reviendra en septembre: «Going Back», dont la pochette, arborant une photo du jeune Philip David Charles Collins, dit bien à quel point ce disque boucle la boucle.

«Up Close & Personal: Phil Collins Plays 60’s Motown & Soul», c’est le titre du spectacle que Phil Collins a proposé pour promouvoir cette sortie, un spectacle présenté avec parcimonie: deux fois à Philadelphie, trois fois à New York, et pour une ultime date – exclusivité européenne – à Montreux.

Beau cadeau fait à la ville lémanique, dont Phil Collins est un habitué. Faut-il rappeler que l’ex-batteur et chanteur de Genesis vit dans le canton de Vaud depuis longtemps – actuellement à Féchy, avec ses enfants – et qu’il a pratiqué le Montreux Jazz Festival dans de multiples formules: avec Brand X d’abord, puis en 1986 en compagnie d’Eric Clapton, en 1996 en solo, en 1998 en formule Big Band, et en 2004 pour ses adieux… «C’est la dernière tournée, mais ce n’est pas la dernière fois que je suis ici!», avait-il dit à cette occasion.

Hitsville USA

Le fleuve de la Soul Music et du Rythm & Blues a trois sources… Atlantic Records à New York. Stax Records à Memphis. Et Tamla Motown à Detroit.

En lançant Motown, le but de son fondateur, Berry Gordy, était clair: produire une musique noire capable de toucher aussi un large public blanc grâce à des tubes soignés et formatés, une soul plus lisse que ce que ce que produisait notamment Stax Records dans la chaude Memphis. Pari réussi au vu de la trajectoire des artistes qu’il a signés et du surnom que prit la ville de Detroit: «Hitsville USA».

Parmi les recettes employées alors par Berry Gordy, des auteurs-compositeurs maison, mais aussi un groupe-maison, qui travailla de 1959 à 1972 et façonna le son Motown: The Funk Brothers.

Ce jeudi soir à Montreux, garants de l’authenticité du spectacle, trois «Funk Brothers» sont aux côtés de Phil Collins: les guitaristes Eddie Willis et Ray Monette, ainsi que le bassiste Bob Babbitt. Plus quinze autres musiciens et choristes, dont trois compagnons de longue date: le batteur Chester Thompson et le guitariste Daryl Stuermer (qui jouèrent avec Genesis), et le clavier Brad Cole. Comme une parade des anciens. Tant qu’à remonter sur scène pour quelques dates, autant se faire plaisir, non?

Reconstitution

Côté jardin, les chœurs. Côtés cour, la section de cuivre. Chorégraphies délibérément naïves millésimées sixties. Musiciens habillés en noir et violet. Sauf les trois «Funk Brothers», en veston beige. A l’image des grands orchestres de l’époque, chacun se tient derrière un pupitre aux initiales du Maestro, en veste noire sur chemise blanche.

Phil Collins joue d’une ambiance à l’ancienne, qui correspond à la démarche qui est la sienne dans sa relecture des classiques de la Motown: non pas en faire des versions novatrices, mais se glisser dans ces arrangements et ces sons qui l’ont tant marqué.

Pari musical réussi: l’orchestre est parfait, aligne les standards qui balancent, de «Ain’t Too Proud To Beg» (Temptations, 1966) à «Do I Love» (Frank Wilson, 1965) en passant par «Dancing In The Street» (Martha & The Vandellas, 1964), «Going to a Go-Go» (Smokey Robinson, (The Miracles, 1965) ou un superbe «You Really Got A Hold On Me» (Miracles, 1962), interprété à quatre voix. Remarquable «Papa Was A Rolling Stone» (rendu célèbre par les Temptations), aussi.

Comme une fissure

Et Phil Collins, dans tout cela? Concentré. Pour tenir le niveau de ces voix noires, américaines, jeunes et parfois féminines que lui, blanc, britannique, plus tout jeune et mâle, a choisi de reprendre pour le plaisir, mais peut-être aussi comme un défi.

Et si vocalement Phil Collins assure brillamment, on est étonné par cette espèce de gravité qui ne le quitte que quand il parle au public – en français et en anglais – alors que le répertoire Motown est souvent plutôt léger et sautillant…

Cela devrait ressembler à une fête… mais Phil Collins semble fatigué. Ou cafardeux. Comme si cette plongée dans sa jeunesse s’accompagnait d’une fissure. Ce qui en soit n’est pas complètement étonnant: se cogner à ses quinze ans ressemble parfois à un plaisir douloureux.

C’est en fait sur certaines ballades que le chanteur va se retrouver vraiment en adéquation avec ce qu’il chante. «My Girl» (Temptations, 1964), «Blame It On The Sun» (Stevie Wonder, 1972), ou «Going Back» (Dusty Springfield, 1964), chanson-titre de l’album à venir, magnifiquement interprétée, sur un arrangement – nappes de strings, chœurs et batterie minimaliste – qui soudain ressemble furieusement a du… Phil Collins.

A l’issue des rappels, Quincy Jones, aux côtés de Claude Nobs, viendra saluer le chanteur et déclarer au public que, quoi qu’on en dise et quelle que soit l’origine officielle de Phil Collins, «no way, he’s from south side of Chicago»! Dans sa bouche, un compliment, bien sûr. Mais entretemps, les applaudissements ayant été capturés par «Mr. Q», Phil Collins a modestement quitté la scène…

Bernard Léchot, Montreux, swissinfo.ch

Plus de deux semaines. Le 44ème MJF se tient du 1er au 17 juillet.

Partout! Outre les concerts payants donnés dans les deux salles principales du festival (Auditorium Stravinsky et Miles Davis Hall), de nombreuses spectacles et animations complètent le menu, dont les multiples concerts gratuits, les croisières musicales sur le Léman, les workshops instrumentaux, les concours.

De Londres à Féchy. Phil Collins, qui vit à Féchy, dans le canton de Vaud, est né à Londres en 1951.

Genesis. En 1971, il rejoint le groupe Genesis en tant que batteur. Il en deviendra le chanteur en 1975, suite au départ de Peter Gabriel. Trop pris par sa carrière solo, il quitte le groupe en 1996.

Activités parallèles. Depuis le milieu des années 70 et jusqu’à la fin des années 90, Phil Collins a fait partie du groupe de jazz fusion Brand X. Il a collaboré avec de nombreux artistes, dont Robert Plant, George Harrison, Eric Clapton, Paul Mccartney, Mark Knopfler etc.

Solo. Phil Collins a débuté une carrière solo en 1981 avec l’album «Face Value», énorme succès grâce notamment au titre «In The Air Tonight». Succès qui se confirmera avec les albums suivants, surtout au cours des années 80.

Adieux. En 2003, il effectue une tournée d’adieu. Autre tournée d’adieu: celle qu’il fait avec Genesis, ressuscité, en 2007.

Insensibilité. Victime d’une opération ratée aux vertèbres, qui lui a enlevé toute sensibilité aux mains, Phil Collins ne peut plus jouer de batterie.

Motown. «Going Back», album de reprises soul en hommage au célèbre label Motown, est son premier album studio depuis 8 ans.

Detroit. La Motown a été créée en janvier 1959 par Berry Gordy à Detroit, dans le Michigan.

Moteur. Elle doit son nom à la contraction de Motor Town (« la ville du moteur »), le surnom de Detroit, alors capitale de la production automobile.

Bottin mondain. Parmi les artistes qui ont marqué Motown: The Jackson Five, Diana Ross et The Supremes, The Four Tops, Martha and the Vandellas, Smokey Robinson, Gladys Knight, Marvin Gaye, Stevie Wonder, The Pointer Sisters, The Temptations…

Plumes. Parmi les auteurs-compositeurs de la maison figuraient Berry Gordy lui-même, mais aussi Smokey Robinson Ou Holland, Dozier & Holland !

Los Angeles. En 1971, Motown déménage à Los Angeles.

Universal. Aujourd’hui, le label Motown appartient à Universal Music.

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