Les exportations suisses d’armement sont en berne au Moyen-Orient
L'industrie suisse de l'armement invoque des pertes financières en raison de l’interdiction de vente aux Etats du Moyen-Orient et du Golfe. En Suisse, les restrictions à l'exportation sont notamment destinées à empêcher que les armes soient utilisées pour commettre de graves violations des droits humains.
L’offensive militaire de la coalition menée par l’Arabie saoudite contre les rebelles Houthi au Yémen a poussé en mars dernier le gouvernement suisse à imposer des restrictions sur les exportations à destination de la riche région du Moyen-Orient.
L’entreprise Ruag, active dans l’aérospatial et la défense, et qui est aux mains de la Confédération, a sonné l’alerte. «Ruag n’a pas reçu de permis d’exportation au Moyen-Orient depuis les mesures prises en mars. Les exportations sont en attente pour la plupart des pays touchés par le moratoire, indique la compagnie dans un communiqué envoyé par courriel à swissinfo.ch. Cette mesure a financièrement affecté Ruag à hauteur de plusieurs dizaines de millions de francs suisses.»
Et de poursuivre: «Il y a un danger que Ruag perde sur le long terme face aux concurrents. En outre, sa base industrielle en Suisse sera affaiblie. Si les restrictions continuent, les sites Ruag en Suisse [qui emploient 4300 personnes] seront affectés de manière significative.»
Le Secrétariat d’Etat à l’économie (seco) a confirmé que les restrictions à l’exportation sont également appliquées au Koweït, à la Jordanie, au Qatar, aux Émirats arabes unis, à Bahreïn et à l’Egypte, des pays également impliqués dans le conflit au Yémen.
L’année dernière, Bahreïn et les Emirats Arabes Unis ont fait des commandes pour plus de 14 millions de francs suisses chacun. Les commandes de l’Arabie saoudite étaient, elles, d’un peu moins de 4 millions de francs, alors que ces dernières années, le royaume a constitué un marché lucratif pour Ruag.
Lettre de protestation
En juin, plusieurs groupes de pression soutenus par des politiciens ont envoyé une lettre de protestation au gouvernement, comme l’a rapporté la Neue Zürcher Zeitung (NZZ). Cette lettre dénonce le fait que les restrictions suisses ont donné l’avantage aux exportateurs d’autres pays, notamment l’Allemagne.
La société Oerlikon Contraves a également déclaré dans l’article de la NZZ que son activité avait été affectée par le blocage des exportations vers le Moyen-Orient.
Mais les pressions commerciales des compagnies d’armement ne pèsent pas lourd face aux crimes de guerre perpétrés lors du conflit entre la coalition menée par l’Arabie saoudite et les rebelles yéménites, selon la section suisse d’Amnesty International. «L’aviation saoudienne a bombardé des cibles civiles», relève Alain Bovard.
Et d’ajouter: «Le lobby des armes en Suisse est bien représenté et assez puissant pour imposer des changements dans la législation qui profitent aux intérêts financiers de ses membres.» Alain Bovard se réfère à un changement controversé de la loi l’an dernier, votée au Parlement avec une seule voix de différence, et qui facilite l’exportation de matériel de guerre suisse à l’étranger.
Avec ce changement, les exportations Lien externed’armes suisses ne sont interdites que dans les pays où existe un risque important que les armes soient utilisées pour commettre des violations des droits humains. Sinon, c’est au gouvernement de décider au cas par cas.
Les armes vendues à l’étranger ne représentaient que 0,26% de toutes les exportations suisses l’an dernier. L’Allemagne est le marché le plus important. L’Indonésie est apparue l’année dernière comme un gros acheteur à même de remplir le vide laissé par le Moyen-Orient.
En 2014, une grosse commande de l’Indonésie a fin grimper les exportations d’armes suisses à 563,5 millions de francs (461 millions en 2013). Dans la première moitié de cette année, les ventes ont augmentés de plus de 200 millions de francs grâce à de nouvelles commandes indonésiennes. Mais on est loin des chiffres atteints en 2011: 873 millions de francs suisses.
Malgré un pourcentage relativement faible par rapport à d’autres secteurs d’exportation, l’industrie des armes suisses est néanmoins considérée comme un atout industriel important, sans oublier qu’elle équipe l’armée suisse.
Pots de vin en Inde
Mais la nature même de ces produits implique un examen public minutieux, à la fois en Suisse et à l’étranger. Ainsi, l’Inde a mené des investigations à l’encontre de deux entreprises basées en Suisse accusées d’avoir versé des pots de vin pour obtenir des contrats.
Mais cette année, le bureau du procureur général de la Confédération a rejeté une demande indienne d’entraide judiciaire pour mener des investigations à l’encontre de Rheinmettal (défense aérienne) et SAN Swiss Arms (deux entreprises appartenant à des Allemands).
Le procureur de la Confédération a finalement décidé de ne pas offrir l’assistance après avoir demandé aux autorités indiennes des informations supplémentaires. «Comme les informations fournies par les autorités indiennes ne remplissaient pas les exigences de la législation pertinente [sur l’entraide judiciaire internationale en matière pénale], le bureau du procureur n’a pas été en mesure d’exécuter la demande d’entraide judiciaire», a communiqué le bureau du procureur.
Les sociétés concernées n’ont pas répondu aux demandes de swissinfo.ch.
Ce n’est pas la première fois que l’industrie d’armement est visée. La législation sur les exportations d’armes a été renforcée en 2012, après la découverte d’armes suisses réexportées à des États tiers.
Cela dit, Alain Bovard, d’Amnesty International, reconnaît que le bilan d’ensemble de la Suisse dans le commerce des armes résiste à l’examen: «Il y a eu quelques situations où les autorités ont été très naïves. Mais la Suisse a un assez bon dossier.»
(Traduction de l’anglais: Frédéric Burnand)
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