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Face à Trump, Merz prêt à abandonner l’atlantisme allemand

Keystone-SDA

Le futur chancelier Friedrich Merz se dit prêt à s'affranchir de 80 ans de tradition atlantiste allemande en matière de défense en rendant l'Europe indépendante. Ce afin de la préparer au "pire scénario" vis-à-vis des Etats-Unis de l'imprévisible Donald Trump.

(Keystone-ATS) « Tous les signaux que nous recevons en provenance des Etats-Unis indiquent que l’intérêt pour l’Europe faiblit de manière significative », a déclaré lundi le conservateur de 69 ans, au lendemain de sa victoire aux législatives allemandes.

Atlantiste convaincu, il n’en juge pas moins nécessaire désormais pour l’Europe de se préparer « au pire scénario » en créant une défense autonome en tant qu’alternative à « l’Otan dans sa forme actuelle ».La question sera « une priorité absolue dans les prochaines semaines », a-t-il insisté, se disant « en accord complet » avec Emmanuel Macron, parti pour Washington et qu’il a eu au téléphone dimanche avant son départ.

« Il est vraiment minuit moins cinq pour l’Europe », a martelé Friedrich Merz. Cette position étonnamment tranchée, difficile à concevoir il y a encore quelques mois dans un pays qui a forgé son identité après les horreurs du nazisme sur le partenariat avec les Etats-Unis, fait suite aux récentes initiatives du nouveau locataire de la Maison Blanche.

Rapprochement russo-américain sur l’Ukraine, « négociations de paix » amorcées sans Kiev et le Vieux continent et menace de remise en cause par Washington de son soutien militaire à l’Europe ont abasourdi Berlin et ses alliés.

Dissuasion nucléaire

Friedrich Merz avait déjà récemment émis des doutes sur la fiabilité de l’allié américain, au cas où les appétits guerriers de la Russie de Vladimir Poutine viendraient à s’étendre au-delà de l’Ukraine. « Nous devons nous préparer à ce que Donald Trump ne laisse plus s’appliquer sans restrictions la promesse d’assistance du traité de l’Otan », a-t-il confié vendredi à la télévision publique ZDF, faisant allusion l’article 5 sur la solidarité entre ses membres.

Et d’évoquer la nécessité de discuter d’une dissuasion européenne reposant sur ses deux puissances nucléaires, la France et le Royaume-Uni. Une révolution pour l’Allemagne qui jusqu’ici s’appuie sur les missiles nucléaires américains basés sur son sol.

Depuis la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, la France est le seul de ses Etats membres à disposer de la dissuasion nucléaire. Et Emmanuel Macron a en avril dernier proposé d’ouvrir le parapluie atomique français à d’autres pays européens qui ont sur leur territoire des armes nucléaires américaines.

« Europe souveraine »

L’Allemagne s’était montrée jusqu’ici très peu réceptive à cette idée comme à celle, également défendue par la France, d’une autonomie stratégique de l’Europe. « Peu avant la fin de son second mandat, Macron se voit offrir une chance inespérée de concrétiser sa vision d’une Europe souveraine », note Jacob Ross, un politologue du centre de réflexion DGAP.

« Le fait que le Royaume-Uni puisse faire partie de cette évolution serait remarquable, tant dans le contexte du Brexit que de la ‘relation spéciale' » entre Washington et Londres, ajoute-t-il. Dans ce contexte, Berlin suivra de près les consultations de Donald Trump avec Emmanuel Macron, puis jeudi avec Keir Starmer, le Premier ministre britannique.

Car un éventuel remplacement de l’allié américain ne sera pas chose aisée. L’Allemagne, qui compte un gros contingent de militaires américains déployés de façon permanente sur son sol, 35.000 en 2024, devra encore investir en masse dans son armée, la Bundeswehr, et augmenter la part de son PIB affectée à la défense, qui se situe actuellement à tout juste 2%.

Ce qui laisse supposer un assouplissement des règles nationales strictes limitant l’endettement public et inscrites dans sa Constitution. Or cela pourrait s’avérer compliqué car les partis des extrêmes, à droite comme à gauche, tous deux hostiles aux livraisons d’armes à l’Ukraine, devraient disposer d’une minorité de blocage dans le prochain Bundestag, la chambre basse du Parlement.

En outre, la mise en place d’une défense européenne prendra du temps. « Même en augmentant massivement les dépenses de défense (…), les Européens auront besoin de plusieurs années, voire de décennies, pour constituer une force militaire capable de remplacer les capacités de défense actuelles des États-Unis », souligne Liviu Horovitz, du groupe de réflexion Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP).

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