Après la dérégulation, l’indigestion

Il y a trop de bistrots en Suisse. Pour une fois, les patrons et les syndicats sont d’accord.
Les professionnels de la branche veulent mettrent de l’ordre dans le petit monde des cafés et des restaurants. Certains à tout prix.
«On est actuellement en pleine crise», lâche Jean-Luc Piguet, vice-président de la Société des cafetiers, restaurateurs et hôteliers de Genève.
«De trop nombreuses affaires partent à la dérive. Plus personne ne gagne correctement sa vie.»
Entraver la liberté du commerce
Partant de là, l’une des associations patronales de la branche est passée à l’offensive à la mi-décembre.
La Fédération suisse des cafetiers (SCV) préconise d’obliger légalement les bistrotiers à disposer d’un capital propre de 2000 francs par place dans les établissements s’ils sont gérants et de 6000 francs s’ils sont propriétaires.
Autre revendication: que la loi – qui relève des cantons – empêche que les particuliers retirent leur 2e pilier (prévoyance professionnelle individuelle) pour se mettre à leur compte.
Pour la SCV, il y a un bon tiers de cafés et restaurants en trop en Suisse, sur un total de 28’000.
«L’hôtellerie-restauration suisse offre aux quelque 7 millions d’habitants plus de 3 millions de places assises. Ce nombre est, du point de vue économique, trop élevé», abonde Brigitte Meier-Schmid, vice-directrice de Gastrosuisse, la principale organisation faitière de la branche.
Les effets de la dérégulation
Dans les années 1990, la libéralisation du secteur, avec l’abandon de la clause du besoin qui datait du début du 20e siècle, n’a pas eu l’effet escompté.
On s’attendait à ce que le jeu de la concurrence régule naturellement la branche et élimine les outsiders.
Mais il n’y a finalement eu qu’une dilution du nombre des entreprises.
Trop d’amateurisme
Le problème vient surtout du manque de professionnalisme de ses nouveaux acteurs.
«Trois à quatre mois de cours sont-ils suffisants pour l’obtention d’une patente ou d’une licence?», lance Eric Dubuis.
La réponse du secrétaire romand du syndicat Hotel & Gastro Union est clairement non.
Et si l’obtention d’une patente de cafetier-restaurateur est encore obligatoire en Suisse romande, ce n’est plus le cas en Suisse alémanique, à Zurich par exemple.
«Quelqu’un qui a suivi une formation dans la branche, l’école hôtelière par exemple, ne va pas seulement ouvrir un établissement. Il va en créer un», déclare Amir Fivaz à swissinfo.
Pour ce fils de restauratrice, lui-même actif dans la branche à Zurich, un bistrot «c’est un concept où tout s’accorde, des plats proposés, à la déco, en passant par la musique et même les tenues du personnel.»
Et de mettre en cause l’appât du gain qui motive souvent des amateurs à se lancer dans l’aventure, mais sans connaître les ficelles du métier.
Une formation plus exigeante
A Genève, de nombreux chômeurs, dont une bonne part est issue des milieux bancaires ou des assurances, se sont mis à leur compte en ouvrant un café. Et emploient souvent du personnel plus qualifié qu’eux.
Pour preuve de cet engouement, à Fribourg, la liste d’attente pour s’inscrire aux cours de cafetier-restaurateur est de deux ans.
Face à cette affluence, «il faut se montrer plus sévère, plus exigeant dans les examens qui donnent accès à la profession», estime M. Piguet.
Il en va de la préservation de cette dernière et du client également.
Ce qui permettrait aussi de sortir du cercle vicieux qui fait qu’un café mal géré ne peut s’en sortir qu’avec du personnel moins cher et moins compétent.
Pas de solutions toutes faites
Reste à savoir comment agir pour corriger le tir. Les propositions de la SCV n’ont fait l’objet d’aucune discussion de grande ampleur jusqu’à présent.
Et GastroSuisse n’a pas encore fait part de sa prise de position à ce sujet, selon sa vice-présidente.
D’ici à ce que la branche se consolide, de nombreux restaurants vivoteront, sans pouvoir investir ni rénover.
Il n’empêche, la dérégulation a quand même eu des aspects positifs, nuance Amir Fivaz.
«Pas mal de tous petits établissements ont pu ouvrir. Ils marchent parce qu’ils ont une forte personnalité et qu’ils répondent à des besoins précis, d’un quartier par exemple.»
swissinfo et les agences
Les professionnels de la branche estiment qu’il y a 10’000 restaurants en trop sur 28’000.
L’hôtellerie-restauration suisse offre plus de 3 millions de places assises aux 7 millions d’habitants.
– La branche de la restauration a été dérégulée dans les années 90. Ce qui a entraîné une explosion du nombre de bistrots.
– Auparavant, la clause du besoin déterminait l’ouverture d’un établissement. Un quota de restaurant par habitants était fixé selon les quartiers.
– Il fallait aussi avoir une patente de cafetier-restaurateur, donc avoir suivi quelque mois de cours. C’est encore obligatoire en Suisse romande, mais plus systématiquement en Suisse alémanique.

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