Divergences suisses autour de la taxe Tobin
Parmi les propositions souvent citées dans la recherche de financement de lutte contre la pauvreté, il y a la «taxe Tobin» sur les transactions spéculatives de la finance internationale. Des ONG suisses la souhaitent, le gouvernement fédéral la rejette.
Dans les années 70, bien avant qu’il ne reçoive son Prix Nobel, l’économiste américain James Tobin s’était inquiété d’un possible éclatement du système monétaire international. Pour en prévenir les conséquences néfastes, il avait proposé que toute entreprise, banque ou opérateur financier qui convertit une monnaie dans une autre s’acquitte d’une taxe sur le montant de l’opération. D’où son nom.
A cette époque-là, Tobin se préoccupait surtout de «jeter du sable dans les rouages de la spéculation» sur les monnaies. C’est plus tard que l’on a imaginé cette taxe comme un impôt international sur les transactions de devises qui permettrait de financer des programmes de développement social au bénéfice des laissés-pour-compte de la mondialisation. Le mouvement ATTAC (Association pour une taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens), né en France mais devenu international, en fait un de ses chevaux de bataille.
Quand elles préparaient le sommet social de Genève, les grandes ONG suisses d’entraide ont rédigé un «plaidoyer pour une politique économique respectueuse des conditions sociales». Elles y rappellent notamment que «les gouvernements doivent tirer les enseignements des crises financières répétées des années 90, se détourner de la libéralisation forcée des marchés financiers et les considérer enfin comme un bien public qu’il s’agit de réguler à nouveau». La référence à la taxe Tobin y figure en toutes lettres comme l’un des moyens de lutter contre les placements spéculatifs et la fuite des capitaux.
Au début de cette année, le Parlement européen avait été saisi d’un projet de résolution de divers bords politiques réclamant un rapport de faisabilité de la taxe Tobin. Il appelait également à un examen des pressions et des sanctions financières qui pourraient être appliquées contre les pays qui encouragent l’évasion fiscale ou qui entretiennent des paradis fiscaux. Cette résolution ne fut repoussée qu’à une très faible majorité.
Et en Suisse? L’an dernier, un parlementaire avait posé la question au gouvernement. Il notait, citant des chiffres de l’ONU, que le prélèvement de 0,25 pour cent sur les 1000 milliards de dollars d’échanges quotidiens dégagerait 200 milliards de dollars par an. Et que selon des sources officieuses, près d’un dixième de ces échanges passeraient par la Suisse.
Le Conseil lui a fourni une réponse négative, arguant notamment qu’il faut «différencier les causes des crises et leurs conséquences» et que par le passé «les crises monétaires étaient moins dues à des transactions spéculatives sur les devises qu’à une politique économique hasardeuse et à des insuffisances institutionnelles». Bref, une imposition des transactions en devises reviendrait à s’attaquer davantage aux symptômes qu’aux racines du mal.
L’ambassadeur Jean-Jacques Elmiger, qui a conduit la délégation suisse aux négociations préparatoires du sommet social, fait en outre remarquer que les coûts administratifs pour le prélèvement de cette taxe Tobin pourraient être relativement élevés. Et qu’il serait donc contre-indiqué «de créer une chose qui coûterait plus cher que ce qu’elle pourrait rapporter».
Bernard Weissbrodt
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