Des scientifiques alertent sur les points de bascule climatiques
Avec la mort des récifs coralliens tropicaux, la planète a atteint un premier point de bascule climatique. D'autres pourraient suivre sous peu, comme la fonte des calottes glaciaires ou l'effondrement des forêts tropicales. En lien avec la COP30 de Belém, les regards sont tournés vers ces points de non-retour.
Que sont ces points de bascule climatiques?
Le concept de «point de bascule climatique» a gagné en importance ces deux dernières décennies. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) le définitLien externe comme un «seuil critique» qui, une fois franchi, déclenche des changements brusques et potentiellement irréversibles au sein du système climatique, avec de graves conséquences pour l’humanitéLien externe.
De longue date, les chercheurs le répètent: dépasser 1,5 degré Celsius de réchauffement par rapport aux niveaux préindustriels augmenterait considérablement le risque de franchir plusieurs points de basculeLien externe. La hausse de la température moyenne mondiale sur cinq ans est déjà estiméeLien externe entre 1,3 et 1,4 degré Celsisus.
Les scientifiques identifientLien externe neuf «éléments de bascule climatique» à impact mondial et plusieurs qui auraient des conséquences régionales. Parmi eux, les calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique, la forêt amazonienne, le pergélisol des forêts boréales, les glaciers de montagne, en Suisse par exemple, et la circulation méridienne de retournement dans l’Atlantique (AMOC) qui est un système critique de courants océaniques influant sur les conditions climatiques et météo à grande échelle.
Pour mieux comprendre et détecter les signaux d’alerte précoce en ces domaines, chercheuses et chercheurs combinent technologies satellitaires, modèles climatiques améliorés et observations directes, ce qui permet un suivi des évolutions observables.
Récifs coralliens: un premier seuil franchi
Les écosystèmes coralliens abritent jusqu’à un tiers de toute la biodiversité marineLien externe connue et fournissent nourriture et moyens de subsistance à près d’un milliard d’humains. Ces deux dernières années, les plus chaudes jamais enregistréesLien externe, les vagues de chaleur marinesLien externe ont touché 84% des récifs de la planète. Pour les chercheurs, les récifs coralliens tropicaux ont même franchi leur point de bascule. Le deuxième rapport sur les «Global Tipping Points»Lien externe coordonné par l’université d’Exeter et le WWF, et produit par 160 scientifiques de 23 pays, concluait le mois dernier que les récifs s’effondrent dès que le réchauffement atteint 1,2 degré Celsius. Même une hausse des températures limitée à 1,5 degré Celsius rend l’effondrement probable à plus de 99%.
Climatologue renommé de l’Université de Berne, Thomas FröhlicherLien externe qualifie les conclusions du rapport sur les récifs coralliens de «graves, mais pas inattendues».
«Nous savons depuis un certain temps que la température critique pour nombre de récifs coralliens se situe entre 1,2 et 1,5 degré Celsius de réchauffement par rapport aux niveaux préindustriels. Le document vient confirmer que cette limite de 1,2 degré Celsius a déjà été dépassée», précise-t-il.
Une partie des experts remettent toutefois en question les affirmations dudit rapport quant à l’avenir des récifs coralliens. S’ils sont bien en déclin, certains éléments indiquent qu’ils pourraient rester viables à des températures plus élevées que celles évoquées, affirmeLien externe l’un de ces scientifiques.
La forêt amazonienne proche de l’effondrement
Mise à rude épreuve par la crise climatique et la déforestation, la forêt amazonienne est elle aussi plus proche qu’envisagé jusqu’ici de son point de bascule, indiquent les auteurs du rapport. La région a enregistré une sécheresse record en 2023-24 et le document met en garde contre le risque d’un dépérissement généralisé des espèces végétales et animales dès 1,5 à 2 degrés Celsius de réchauffement.
Sécheresses et incendies de forêt se multiplient, tuant les arbres et libérant du CO2, ce qui génère un cercle vicieux produisant une forêt plus chaude et plus sèche. Un effondrement perturberait les précipitations en Amérique du Sud et déclencherait des fluctuations climatiques de dimension mondiale.
Un affaiblissement des courants océaniques
L’AMOC, ce «tapis roulant» qui régit la circulation océanique et stabilise le climat européen, pourrait s’effondrer si le réchauffement dépasse 2 degrés Celsius, affirme aussi le rapport. Un choc de cette ampleur pourrait entraîner des hivers rigoureux dans le nord-ouest de l’Europe, perturber les moussons en Afrique et en Asie et réduire les rendements agricoles.
Ces dernières années, l’impact du réchauffement climatique sur le système de l’AMOCLien externe et du Gulf Stream a fait l’objet de nombreuses publications scientifiques mettant en garde contre son affaiblissement, voire un possible effondrement. Cela dit, tous les scientifiques ne s’accordent pas sur l’imminence d’un crash de l’AMOC ou de la forêt tropicaleLien externe. Une étude suisse/américaine publiée en 2025 a concluLien externe que le courant est demeuré stable ces six dernières décennies.
Les calottes glaciaires sont en danger
Les scientifiques monitorent scrupuleusement aussi les calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique occidental, lesquelles fondent à un rythme accéléré, provoquant une élévation du niveau des océans. Le rapport avertit que ces étendues glacées sont «dangereusement proches» de leur point de bascule.
Chercheuse en environnement à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et coauteure du rapport sur les points de bascule, Claudia R. BinderLien externe assure que la planète est confrontée à des «changements drastiques».
«Nous sommes convaincus que les calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique occidental sont confrontées à un effondrement irréversible», a-t-elle déclaréLien externe à la radio publique suisse RTS. «L’Antarctique pourrait connaître un point de bascule important à l’avenir. Si nous nous maintenons à 1,5 degré ou plus, il en va de même pour la forêt amazonienne et les petites îles.»
À l’Université de Berne, Thomas Fröhlicher concède que les risques augmentent. Mais il souligne «la grande incertitude quant au niveau exact de réchauffement à partir duquel ces points de bascule sont atteints».
«Il est crucial de continuer à améliorer le monitoring et la compréhension de ces systèmes», insiste le scientifique suisse, qui sera l’auteur principal d’un chapitre sur les points de bascule rédigé dans le cadre du groupe de travail 1 (du 7e rapport d’évaluation du GIEC), lequel sera publié en 2028.
Un peu d’espoir, les points de bascule positifs
Le rapport sur les points de bascule publié en octobre propose un peu d’espoir au milieu de conclusions alarmantes. Il pointe des «points de bascule positifs». Notamment les changements sociaux ou technologiques à grande échelle qui, s’autorenforçant, sont susceptibles d’accélérer la transition vers un monde plus propre et plus stable.
Professeur spécialiste du changement climatique et des sciences du système terrestre à l’université d’Exeter, Tim LentonLien externe est l’auteur principal du rapport en question. Selon lui, les percées en matière d’énergie solaire et éolienne, de véhicules électriques, de stockage en batterie et de pompes à chaleur sont des exemples de transitions autonomes qui connaissent une accélération à l’échelle mondiale.
Des pays comme la Norvège et la Chine ont enregistré une adoption rapide des voitures électriques. Le Danemark mène le bal en matière d’éolien offshore et le Royaume-Uni a progressivement abandonné l’énergie basée sur le charbon. Cette année du reste, pour le première fois, les énergies renouvelables auront produit plus d’électricité que le charbon, selon Ember, un think tank axé sur l’énergie.
Une invitation à agir lors de la COP30
Pour éviter les effets négatifs en cascade sur le climat et se servir des opportunités, une action urgente et coordonnée est nécessaire de la part des leaders de la planète lors de la conférence des Nations unies sur le climat (COP30), plaide Tim Lenton. Il s’agit d’accélérer la réduction des émissions et de limiter l’intervalle de temps où les températures dépassent 1,5 degré Celsius.
Les chercheurs impliqués dans son rapport ont collaboré avec les organisateurs brésiliens de la COP30 pour s’assurer que les points de bascule et les solutions au changement climatique figurent bel et bien à l’ordre du jour de Belém. Et qu’ils bénéficient de suffisamment de temps et d’attention.
«Nous sommes en discussion avec l’équipe de la présidence de la COP30 […] pour voir comment le concept-cadre des points de bascule positifs peut servir à l’élaboration de l’‘Action Agenda’ de la COP30», indiquait au préalable à Swissinfo le scientifique de l’environnement basé à Exeter, Steve SmithLien externe.
À Belém, cette ‘Action AgendaLien externe’ vise à réunir les solutions climatiques volontaires surgies partout sur la planète et à accélérer la concrétisationLien externe des plans de transition climatique nationaux. Objectif: hâter le changement dans des domaines aussi divers que l’agriculture, l’énergie, les forêts et les villes.
En définitive, ce changement dépend de la mobilisation de toutes et tous, soutient Claudia R. Binder. Mobilisation des gouvernements et des industries, de la recherche et des consommatrices et consommateurs.
«C’est un élément très important à ne pas oublier en plaçant nos espoirs dans la COP30. Le gouvernement ne peut avancer que si nous faisons aussi notre part.»
Relu et vérifé par Galbe Bullard / Traduit de l’anglais par Pierre-François Besson /kro
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