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Que veut changer l’initiative sur la neutralité à la politique suisse?

Dans quelle direction la Suisse doit-elle aller avec sa politique de neutralité?
Dans quelle direction la Suisse doit-elle aller avec sa politique de neutralité? Christian Merz / Keystone

L’initiative sur la neutralité vise à inscrire dans la Constitution une interprétation stricte de la neutralité suisse. Mais que signifierait concrètement cette réforme pour la politique étrangère et de sécurité de la Suisse?

Que propose l’initiative sur la neutralité?

L’initiative sur la neutralité est une initiative populaire sur laquelle les Suisses voteront en 2026. Si la majorité du peuple et des cantons l’approuve, la Suisse inscrira dans sa Constitution le principe de la neutralité «perpétuelle et armée».

Actuellement, la Constitution confie la responsabilité de la neutralité au Conseil fédéral et au Parlement. Cette souplesse a permis à la Suisse d’adapter sa neutralité aux circonstances géopolitiques au fil des décennies. L’initiative restreindrait cette flexibilité.

Elle prévoit notamment d’interdire explicitement à la Suisse d’adhérer à une alliance militaire. Ce principe est déjà contenu dans le droit de la neutralité: une adhésion à l’OTAN, comme l’ont fait la Suède et la Finlande en 2023, mettrait fin au statut de neutralité. En Suisse, une telle adhésion nécessiterait déjà une votation populaire.

Sur le plan sécuritaire, la Suisse pourrait être contrainte de réduire sa coopération avec l’OTAN, notamment dans le cadre du partenariat pour la paixLien externe, auquel elle participe depuis 1996.

Mais le changement le plus radical serait l’interdiction des «mesures de contrainte non militaires»: la Suisse ne pourrait plus imposer de sanctions de manière autonome contre des États en guerre – à l’exception des sanctions décidées par le Conseil de sécurité de l’ONU.

En 1815, l'Europe est redécoupée lors du Congrès de Vienne. Cette redécoupage est mené par les quatre puissances victorieuses, l'Autriche, la Prusse, la Russie et la Grande-Bretagne, puis plus tard également la France.
En 1815, l’Europe est redécoupée lors du Congrès de Vienne. Cette redécoupage est mené par les quatre puissances victorieuses, l’Autriche, la Prusse, la Russie et la Grande-Bretagne, puis plus tard également la France. Keystone

Que signifie aujourd’hui la neutralité suisse?

La neutralité suisse est un choix politique et n’est pas imposée par le droit international. Elle peut également être levée. Elle est armée, afin d’assurer la défense du territoire. Elle est reconnue au niveau international. Elle se limite à l’interdiction de soutien militaire. Sur le plan diplomatique et économique, la Suisse peut coopérer avec des États en guerre.

D’où vient la neutralité suisse?

La Suisse fait partie des États à neutralité permanente, comme l’Autriche ou l’Irlande. Elle est le pays dont la neutralité remonte le plus loin dans l’histoire. Elle a été reconnue pour la première fois au Congrès de Vienne en 1815, lorsque les puissances voisines ont estimé que la «neutralité perpétuelle» de la Suisse servait leurs intérêts communs.

Aujourd’hui, la neutralité suisse repose juridiquement sur la Convention de La Haye, signée en 1910. Ce texte de droit international définit le comportement d’un État neutre en cas de guerre entre deux pays: il ne peut pas participer à un conflit armé ni favoriser militairement l’un des belligérants. En revanche, les prises de position politiques ou les sanctions économiques restent autorisées.

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Pour garantir «l’inviolabilité de son territoire», un État neutre comme la Suisse peut coopérer militairement avec d’autres pays – par exemple pour l’importation d’armes. En revanche, il ne peut pas adhérer à une alliance de défense qui l’obligerait à intervenir en cas de conflit. L’OTAN prévoit une telle clause de défense mutuelle.

Le droit de la neutralité est clair. En revanche, la «politique de neutralité» laisse une large marge de manœuvre.

Qu’est-ce que la «politique de neutralité»?

La politique de neutralité désigne les mesures prises par la Suisse pour garantir sa neutralité et renforcer sa crédibilité sur la scène internationale. Elle a toujours été adaptée aux circonstances: durant la guerre froide, la neutralité suisse était très stricte. La Suisse a longtemps hésité à rejoindre des organisations internationales, comme le Conseil de l’Europe en 1963.

L’effondrement de l’Union soviétique a ensuite marqué le début d’une nouvelle phase pour la politique de neutralité suisse: à partir de 1993, la politique étrangère suisse a été guidée par le principe selon lequel la coopération était le meilleur moyen d’assurer la sécurité internationale.

Comment les conflits actuels influencent-ils le débat sur la neutralité ?

L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a ravivé le débat sur la neutralité en Suisse. Le pays a repris la majorité des sanctions de l’UE contre la Russie. Pour certains, ces mesures ne vont pas assez loin face à l’agression russe.

D’autres, comme Christoph Blocher, qui a longtemps marqué de son empreinte la ligne politique de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), considèrent les sanctions économiques comme des «armes de guerre». Il appelle à un retour à une neutralité intégrale, comme dans les années 1930, excluant toute sanction. C’est dans ce contexte qu’est née l’initiative sur la neutralité.

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Dans quelle tradition s’inscrit cette initiative?

«La Suisse abandonne peu à peu sa neutralité», peut-on lire sur le site web de l’initiativeLien externe pour la neutralité. Cela se manifesterait, selon ses auteurs, par la reprise des sanctions de l’UE contre la Russie et par le rapprochement avec l’OTAN.

Derrière l’initiative se trouvent des personnalités comme l’ancien président de la FIFA Sepp Blatter et des figures politiques de droite, mais surtout l’association Pro SuisseLien externe. Fondée en 2022, elle est issue de l’ASIN (Action pour une Suisse indépendante et neutre), créée dans les années 1980 à l’initiative de Christoph Blocher. Ce mouvement avait alors réussi à faire échouer l’adhésion de la Suisse à l’ONU. Par la suite, l’ASIN a fait partie de l’alliance qui s’est opposée avec succès à l’adhésion de la Suisse à l’Espace économique européen en 1992.

«Pro Suisse» est également résolument critique à l’égard de l’UE et s’oppose au nouveau paquet d’accords en négociation entre la Suisse et Bruxelles.

Selon l’argumentaire de l’initiativeLien externe, l’intégration européenne remettrait en cause la «maxime d’État» suisse, à savoir: rester en dehors des conflits, sans idéologie.

Dépôt de l'initiative populaire fédérale «Préserver la neutralité de la Suisse (initiative sur la neutralité)», le 11 avril 2024. L'initiative a recueilli plus de 130'000 signatures.
Dépôt de l’initiative populaire fédérale «Préserver la neutralité de la Suisse (initiative sur la neutralité)», le 11 avril 2024. L’initiative a recueilli plus de 130’000 signatures. Anthony Anex / Keystone

Quelle est la position du gouvernement suisse?

Le Conseil fédéral rejette l’initiative, tout en affirmant dans son message qu’il reste «convaincu de la valeur de la neutralité pour la Suisse». Il estime toutefois que l’initiative marquerait «un abandon de la flexibilité éprouvée dans l’application de la neutralité».

Concrètement, son adoption réduirait la marge de manœuvre du gouvernement en matière de politique étrangère, notamment pour les sanctions économiques.

Que disent les spécialistes?

«Une neutralité stricte servira-t-elle les intérêts de la Suisse»,Lien externe s’interrogeait Constanze Stelzenmüller, lors d’une audition devant la Commission de politique extérieure du Conseil des États. Chercheuse au Brookings Institute à Washington D.C., elle estime que la Suisse a jusqu’ici tiré profit de sa neutralité tout en coopérant avec d’autres États. Elle se demande donc si l’initiative sur la neutralité est le bon instrument pour garantir la sécurité et la souveraineté du pays.

Le politologue suisse Wolf Linder, lui, soutient l’initiative. Comme il l’écrit sur la plateforme Infosperber, elle permettrait d’«inscrire la neutralité et ses principes dans la Constitution» et de la soustraire ainsi aux «réactions à court terme» du monde politique. Le professeur émérite de l’Université de Berne estime que «le Conseil fédéral a malheureusement, ces trois dernières années, quelque peu entamé la crédibilité de la neutralité suisse à l’étranger».

Relu et vérifié par Benjamin von Wyl / traduit de l’allemand par Katy Romy avec des outils de traduction automatique

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