Epaves lémaniques

«Epaves», c'est le titre de la nouvelle exposition que propose le Musée du Léman à Nyon. Ou quand des carcasses éventrées, auréolées par le mystère des profondeurs et le temps qui passe, se métamorphosent en patrimoine historique.

«Oh! Combien de marins, combien de capitaines, Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines, Dans ce morne horizon se sont évanouis! Combien ont disparu, dure et triste fortune! Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune, Sous l’aveugle océan à jamais enfouis!» s’interrogeait Victor Hugo. Plus prosaïquement, on pourrait lui répondre: «Beaucoup». Et encore, il ne tenait pas compte des lacs.

Car le naufrage n’est pas une spécificité maritime. Malheureusement, on peut aussi chavirer dans un lac, et s’il s’agit du Léman, reposer ensuite par plus de 300 mètres de fond. Ce qui ne rend pas les recherches faciles, surtout lorsqu’on sait que les eaux lacustres sont bien plus troubles que les eaux marines.

Carinne Bertola, la conservatrice du Musée du Léman, a eu la remarquable idée de s’intéresser à ces oubliés de l’Histoire. «On a un lac qui a un patrimoine naval exceptionnel. J’avais connaissance par le biais d’archéologues, de plongeurs, des différentes épaves qui se trouvent au fond du lac. Et j’ai eu envie de présenter cette problématique au public, pour qu’on puisse mieux préserver les épaves, qui sont vraiment les archives de notre histoire navale».

L’exposition ignore les épaves contemporaines pour s’intéresser à celles du passé, antérieures à la fin du 19e siècle. Sont ainsi évoqués trois vapeurs, cinq barques à voile latine, et sept bateaux à fond plat, naux et cochères, intrigantes embarcations dont aucune ne subsiste aujourd’hui.

L’exposition joue sur plusieurs registres. Tout d’abord, l’intérêt historique, bien sûr. Des films, des photos, des peintures d’époque évoquent chacun des épaves. Mais aussi le fait divers… On est touché par le drame du «Rhône», qui suite à une collision avec «Le Cygne», coula au large d’Ouchy en 1883, faisant quatorze victimes.

Et puis la poésie, car les pièces extirpées d’une épave – assiette, bouteille, morceau de coque – sont toujours chargées d’un halo de mystère. «Ces épaves font rêver. C’est vrai, ce sont des déchets de bateau, mais dans la paix des profondeurs, sous l’eau, ils atteignent une sorte de sanctification, il y a comme une purification», ajoute Carinne Bertola.

Et puis, sans cette exposition, qui se souviendrait de ce plongeur de Savone, en Italie, engagé en 1543 pour remonter à la surface la cargaison d’un bateau naufragé dans le Léman? Personne. Il est toujours bon qu’un musée s’intéresse aux petites histoires… Ce sont elles qui donnent du corps et donc de la vie, à la grande, l’Histoire, celle qui se pare d’un H majuscule.

Bernard Léchot