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Grace Jones à Montreux… torride

Grace Jones, venue de Jamaïque ou de Vénus? MJF - Daniel Balmat

De retour sur scène avec un nouvel album, «Hurricane», la diva jamaïcaine a donné un spectacle éclatant pour sa première prestation montreusienne. Seul problème, et de taille: de piètres conditions d'écoute.

Une température volcanique. Ce qui est cohérent avec le tempérament de la dame, mais pénible au bout d’un moment. Des gens qui entrent, qui entrent encore, alors que la salle paraît pleine à craquer depuis un bon moment déjà. La diva qui se fait désirer: trente minutes de retard sur l’horaire annoncé.

Tous debout, version botte d’asperges. A moins d’être basketteur, peu de chance de voir autre chose qu’un bout d’écran. Car la deuxième salle du Montreux Jazz Festival a de plus une spécificité bien à elle: la scène est trop basse. Au prix du ticket, on peut imaginer que certains en ont gros sur le cœur…

D’ailleurs, ils sont plusieurs à quitter la salle avant même le concert, d’où un double mouvement d’entrées et de sorties particulièrement redoutable selon l’endroit où l’on est placé. Le reflux continuera au cours des premières chansons. Et c’est après que moult déçus auront quitté les lieux qu’on pourra commencer à respirer presque normalement…

Les organisateurs ont-ils opté pour la technique de la sélection naturelle? Le Montreux Jazz Festival est un événement musical de qualité, assurément. Mais doit continuer à le démontrer. Or là, c’est une vraie forme de mépris envers le public que de surbooker ainsi un concert. C’est dit, et cela soulage.

Disco, vraiment?

Reprenons au début. Après la prestation de Trybez, trio rap-latino basé à Paris, dont l’un des membres n’est autre que Paulo Goude, fils de Grace Jones, le public patiente donc – plutôt deux fois qu’une – en écoutant du disco pur jus. Façon délicate de nous rappeler que c’est bien Grace Jones, diva des dancefloors eighties, splendide mannequin androgyne, incarnation de ces années kitsch et glamour, que nous allons voir. Après une éclipse d’une vingtaine d’années.

Mais quand la star entre en scène, ce sont les années elles-mêmes qui s’éclipsent. Casque de grande prêtresse à antennes luminescentes. Bouche pulpeuse et regard dévastateur. Par-dessus noir flottant au vent. Jambes interminables…

Elle a beau ouvrir le bal par «Nightclubbing», Grace Jones va dérouler un spectacle qui dépasse largement les limites binaires du genre.

En un peu plus d’une heure, Grace Jones va alterner des titres anciens (dont le superbe «Libertango» d’Astor Piazzola, le musclé «Demolition Man» et le très attendu «La vie en rose»), et plusieurs chansons de «Hurricane», album du retour: «Well Well Well», «Sunset Sunrise», le magnifique «William’s Blood», et ses déchaînements passagers mis en scène dans une avalanche de lasers.

Basse et batterie qui claquent, augmentées des percus tenues par le fiston Paulo, guitare et claviers redoutables, Grace Jones emprunte au reggae, au rock, à l’électro. Et domine le tout par une voix dont on avait oublié la force et la qualité.

Panthère haute-couture

Mais ne parler que de musique serait hypocrite. Car ce qui fait le show de Grace Jones, c’est évidemment aussi son physique, mis en valeur par une vraie présence, et une garde-robe aussi improbable qu’élégante, aussi chic qu’extra-terrestre. Grande prêtresse et Martienne. Ou plutôt Vénusienne.

Grace Jones a notamment pour caractéristique originale de charger le haut pour mieux dévoiler le bas. Côté tête, les couvre-chef indescriptibles se suivent, et les loups – noirs, dorés, à oreilles. Côté torse défilent vestes et longues capes flottant ‘au vent’. Pour mieux mettre en valeur ses jambes, revêtues d’un collant à résille, et son pubis, habillé par le triangle noir d’un body. Suggestive, Grace Jones, du haut de sa soixantaine? Oui, c’est le moins qu’on puisse dire.

«Il fait chaud, je vais chanter toute nue», dit-elle, et personne n’est rebuté à cette idée. Son principal accessoire est une barre comme celle dont usent les strip-teaseuses, barre qu’elle manie avec un indéniable talent. «My God, I’m wet», dit-elle un peu plus tard, malgré le gros ventilo qui tourne à toute allure. Et d’ajouter dans son français agréablement maladroit: «On fait un peu l’amour, après tout ça, c’est sûr.»

Superbes éclairages de contre-jour et de contre-plongées, lumières de messe noire, c’est pour moi une déception quand le show se termine par «Pull Up the Bumper», bonne grosse tambouille disco. Par chance, les rappels, dont «Slave to the Rhythm» et «Hurricane» auront plus de saveur.

Me and Mrs. Jones

Je n’avais jamais été très fan de la pop électro de la dame. Comme beaucoup, j’avais surtout été fasciné par sa grande bouche s’ouvrant pour avaler tout rond une Citroën CX… «Hurricane» m’a fait tendre l’oreille. Et ce spectacle montreusien m’aura convaincu, tardivement mais c’est comme ça, que l’artiste dépasse largement son image de papier glacé.

«Me and Mrs. Jones», chantait Billy Paul en 1972, ravageant les discothèques d’alors de sa voix moite et sucrée. Et bien… Mrs Jones et moi, pour un autre spectacle, ce sera quand elle veut, où elle veut. Mais pas au Miles Davis Hall.

Bernard Léchot, Montreux, swissinfo.ch

Jamaïque. Grace Jones, fille de prédicateur américain, est née en 1948 à Spanish Town, Jamaïque.

Mannequin. Encore enfant, elle quitte la Jamaïque pour les Etats-Unis. Elle y deviendra mannequin et connaîtra dans ce registre un succès international.

La vie en rose. Elle se lance dans la musique et sort un premier album («Portfolio») en 1977. Succès avec sa reprise de «La Vie en rose» d’Edith Piaf.

Eighties. Elle sortira une dizaine d’albums en douze ans, notamment «Warm Leatherette» (1980), «Nightclubbing» (1981), «Bulletproof Life» (1989).

Image. Egérie d’Andy Warhol, puis de Français Jean-Paul Goude, l’image de Grace Jones connaîtra des sommets populaires à travers notamment des rôles au cinéma (James Bond, «Dangereusement vôtre», et «Conan le destructeur») et dans la publicité.

Retour. Après une longue éclipse, Grace Jones revient en 2008 avec un album intitulé «Hurricane», appuyée par des grands noms du pop-biz: Brian Eno, Sly & Robbie, Tricky, etc

Famille. Basé à Paris, ce groupe est composé de trois membres: Paulo Goude (fils de Grace Jones et de Jean-Paul Goude), Faisal (comédien et chanteur) et Azella (chanteuse et danseuse).

Polyglotte. Leurs compositions Hip-Hop/Soul/Latino sont chantée ou rappées en Anglais, Français et Espagnol – tout cela sur une seule et même chanson.

Album. Leur premier album est sorti en janvier 2009. Trybez fait depuis lors la première partie des concerts de Grace Jones.

43ème. Le 43ème Montreux Jazz Festival se tient du 3 au 18 juillet.

Animations. A côté des concerts dans les deux grandes salles du festival (Auditorium Stravinsky et Miles Davis Hall), maintes animations sont au programme, dont les croisières musicales sur le Léman, les multiples concerts gratuits, les workshops instrumentaux, les concours.

Budget. Deux-tiers du programme de festival est gratuit et le budget de cette édition se monte à 20 millions de francs.

Aura. Quelque 200’000 personnes au total devraient fréquenter ce festival devenu une importante carte de visite internationale et musicale de la Suisse dans le monde.

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