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Alice Cooper et son pote Frankenstein à Montreux

La preuve qu'il n'est pas un vrai méchant? Ses dents blanches façon Hollywood. Keystone

Mercredi, Vincent Damon Furnier a ressorti la défroque d'Alice Cooper de sa malle patinée par les ans. En bonne forme néanmoins. Une visite rendue à son ancêtre, le monstre du Dr. Frankenstein, qui naquit sur les rives du Léman?

Amis du jazz et du bon goût, Alice Cooper, quatre ans après son premier passage montreusien, était de retour sur la riviera lémanique!

‘Feed my frankenstein
Meet my libido
He’s a psycho
Feed my frankenstein
Hungry for love
And its feeding time’


grince-t-il dans une chanson de 1991.

Vendredi dernier, à l’occasion du concert de Stephan Eicher et de Philippe Djian au château de Chillon, nous évoquions le fantôme de Lord Byron. Grâce au vieux loup-garou du rock, nous y reviendrons, ainsi qu’à Mary Shelley…

Mais le concert d’abord. Un concert manifestement formaté pour le public alémanique: les Bernois de «Shakra» d’abord, les Allemands de «Die Aertzte» ensuite, et entre deux, Alice Cooper – on sait que le hard rock fonctionne mieux en terres germanophones que francophones.

Welcome To My Nightmare

Quelques mesures de «It’s Hot Tonight», suivies de «No More Mr. Nice Guy» puis de «Under My Wheels» et l’affaire est dans le sac. Guitares tranchantes, volume infernal, présence dévastatrice du vieux rocker grimé, le public est sous le charme. Ou sous le choc.

Aux côtés de l’homme en noir, le cadavre de son double, habillé de blanc, qu’il vient d’assassiner en ombres chinoises, derrière un immense rideau rouge…

La silhouette chanteur-bouffon est la même qu’il y a trente ans. Le visage a bien sûr pris des rides, mais le maquillage qui a toujours été la marque de fabrique d’Alice Cooper lui permet d’échapper à la loi du temps qui passe, puisque «la laideur a ceci de supérieur à la beauté qu’elle ne disparaît pas avec le temps», comme disait Serge Gainsbourg.

Béquille («I’m Eighteen»), colliers de pacotille («Dirty Diamonds»), épée flamboyante («Vengeance is Mine»), poussette grise, bébé trucidé, femme maculée de sang («Only Women Bleed»), camisole de force et potence («Ballad of Dwight Fry»), liasse de dollars jetées au public («Billion Dollar Baby»), le show d’Alice Cooper peut se survoler autant à travers ses accessoires qu’à travers les titres de ses chansons.

A noter, à nouveau, dans le rôle de la diva SM en latex rouge et noir, comme dans celui de la pauvre jeune femme ensanglantée, sa propre fille, Calico, qui semble beaucoup s’amuser à être le jouet de papa.

«Alice Cooper est un vaudeville de meurtrier, un cabaret», disait le chanteur à La Tribune de Genève le 20 juin dernier. Et derrière le rituel théâtral d’Alice Cooper, il y a toujours une formidable efficacité scénique et musicale, avec un groupe réduit à l’essentiel: batterie, basse, et deux guitares acérées, dont l’une tenue par le narcissique, frimeur et brillant Keri Kelli.

Au cours de son opéra-gore, Alice Cooper n’interprétera qu’un seul titre de son dernier album, «Along Came a Spider», paru en 2008. Un «concept album» plutôt brutal qui raconte les aventures de Mr. Spider, serial killer qui a besoin de huit victimes pour continuer a vivre. Spider veut en effet recueillir huit jambes, quatre gauches, quatre droits, pour terminer la construction de son araignée…. Cela ne vous rappelle rien?

Welcome to Frankenstein

Le médecin genevois Victor Frankenstein, exilé au Pôle nord, raconte ce qui l’amena un jour à créer un être vivant à partir de morceaux de cadavres. Puis, effrayé par l’aspect peu avenant de l’humanoïde, à l’abandonner. Raison pour laquelle la pauvre créature, plutôt sympathique au demeurant, en arrivera, par esprit de vengeance à multiplier les crimes…

C’est l’histoire qui naîtra d’une idée qui traverse le cerveau de la jeune Mary bientôt Shelley, lorsqu’en 1816, en compagnie de son compagnon Percy Bysshe Shelley, elle séjourne chez Lord Byron à Cologny, tout près de Genève.

Par un jour d’orage particulièrement sombre, les Britanniques se recroquevillent dans la Villa Diodati et se lancent un défi littéraire et jovial: écrire chacun une histoire de fantôme.

Byron rédige une ébauche de nouvelle, que son secrétaire, le docteur John-William Polidori, également présent à Cologny, complétera et publiera en 1817 sous le titre de «Le Vampire». Un texte qui inspirera d’ailleurs le «Dracula» de Bram Stoker en 1897.

De son côté, Mary sèche un peu… puis un peu plus tard, en rêve semble-t-il, a un trait de génie: un individu «penché sur la chose qu’il avait animée». Deux ans plus tard, en 1818, et anonymement, elle publiera «Frankenstein ou le Prométhée moderne». Un séjour lémanique créatif, non?

School’s Out

Si une première mouture cinématographique de «Frankenstein» sera réalisée en 1910, c’est la version de James Whale, en 1931, qui, grâce à l’acteur Boris Karloff, donnera définitivement un visage à la créature. Un visage que n’aurait peut-être pas cautionné Mary Shelley…

«Fasciné par les développements contemporains de la technique, le petit groupe de la Villa Diodati disserte sur le galvanisme, l’électromagnétisme et fantasme sur l’irruption de la technologie dans la reproduction humaine. Mais, bien que nourrie de la pensée de John Locke et de Jean-Jacques Rousseau, Mary Shelley est imprégnée d’une culture judéo-chrétienne où la connaissance est indissociable de la faute», écrit Sandrine Sénéchal sur le site ‘République des Lettres’.

La notion de faute au sens judéo-chrétien est-elle essentielle à la compréhension de l’œuvre de Vincent Furnier? A priori oui, puisque le méchant Alice finit toujours par se faire soit guillotiner, soit électrocuter, soit pendre – c’est cette option-ci au cours de cette tournée – pour les méfaits qu’il a commis.

Quoi qu’il en soit, on y réfléchira une autre fois. «SCHOOL’S OUT», hurle Alice Cooper ressuscité.

Bernard Léchot, Montreux, swissinfo.ch

Furnier. Vincent Damon Furnier naît en 1948 à Detroit (USA). Il crée le groupe – et le personnage – Alice Cooper à la fin des années 60.

‘Love it to death’. Avec son 3e album, ‘Love it to death’ (1970), le groupe rencontre le succès. Essai transformé avec ‘Killer’ (1971), ‘School’s Out’ (1972) et ‘Billon Dollar Babies’ (1973).

Kitsch. Au-delà de la musique, c’est avec sa folie théâtrale qu’Alice Cooper fait parler de lui: boa constrictor, guillotine, incendie et maquillage dégoulinant participent au mythe.

Live at Montreux. Un DVD et un CD ‘Live at Montreux’ témoignent de son passage au MJF en 2005.

25e album. ‘Along Came A Spider’, 25e album d’Alice Cooper, est sorti en 2008.

Wollstonecraft Godwin. Mary est née en 1797 à Somers Town. Elle est la fille de la philosophe Mary Wollstonecraft et de l’écrivain politique William Godwin.

Fugue. En 1814, elle «fugue» avec le poète Percy Bysshe Shelley, et s’enfuit avec lui en Europe continentale. Ils passent par la Suisse en 1816.

Suicide. La même année, après le suicide de sa femme Harriet, Shelley épouse Mary.

Publications. Elle publiera notamment «Frankenstein ou le Prométhée moderne» (anonymement en 1818), et, après la mort de Shelley, «Le dernier Homme (1826), «The Fortunes of Perkin Warbeck» (1830), une autobiographie, «Lodore» (1935) et «Falkner» (1837).

Décès. Elle meurt en 1851 à Londres.

43ème. Le 43ème Montreux Jazz Festival se tient du 3 au 18 juillet.

Animations. A côté des concerts dans les deux grandes salles du festival (Auditorium Stravinsky et Miles Davis Hall), maintes animations sont au programme, dont les croisières musicales sur le Léman, les multiples concerts gratuits, les workshops instrumentaux, les concours.

Budget. Deux-tiers du programme de festival est gratuit et le budget de cette édition se monte à 20 millions de francs.

Aura. Quelque 200’000 personnes au total devraient fréquenter ce festival devenu une importante carte de visite internationale et musicale de la Suisse dans le monde.

Shakra. A Montreux, Alice Cooper était précédé du groupe suisse «Shakra», un combo de hard rock bernois tout droit descendu des Scorpions pour la musique et d’AC/DC pour la voix. Dernier album en date: «Everest» (2009).

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