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Menu afro-jamaïcain copieux à Montreux

Monty Alexander, entre jazz et reggae. MJF - Lionel Flusin

Le 43e Jazz Festival, en plusieurs soirées, salue le fondateur du label Island, Chris Blackwell, découvreur de Bob Marley ou de U2. Vendredi, Monty Alexander, Baaba Maal, Third World, Ray Lema, Angélique Kidjo ont construit un pont entre Afrique et Caraïbes.

Il y a de nombreuses années que Claude Nobs, le créateur du festival, ne se contente pas de faire défiler les musiciens à Montreux, mais qu’il y célèbre également les farfouilleurs, les dénicheurs, les porteurs de talents.

Autrement dit, les producteurs qui usent de leurs oreilles, de leur flair et de leur carnet d’adresse pour changer peu à peu la face de l’histoire de la musique.

En 2001, les honneurs étaient rendus à Sam Phillips, qui fonda «Sun Records» en 1951. En 2006, une soirée géante fut consacrée à Ahmed Ertegun, le créateur d’Atlantic Records. Sans oublier en 2008 le gala exceptionnel organisé en l’honneur de Quincy Jones, musicien bien sûr, mais aussi ‘producer’ de moult artistes, dont un certain Michael Jackson.

C’est Chris Blackwell qui, à travers plusieurs soirées, est à juste titre la star de cette édition 2009.

Bottin artistique

Chris Blackwell est l’homme qui a fait la pop anglaise des seventies et des eighties. Traffic, Free, Jethro Tull, King Crimson, Cat Stevens, Emerson, Lake and Palmer, Roxy Music, Brian Eno, John Cale, Marianne Faithfull, les Cranberries, et enfin, U2, sont tous passés par le label au logo en forme de palmier.

Il a fait la pop anglaise, et, première historique, a permis à un artiste noir – métisse pour être précis – de connaître un succès planétaire, et surtout une esquisse d’immortalité: 28 ans après sa mort, Bob Marley reste une icône, qui s’affiche sur les posters et les t-shirts, et dont les nouvelles générations, l’une après l’autre, renouvellent le culte.

Chris Blackwell, le Jamaïcain blanc, qui a poussé dans un riche domaine de l’île, n’a pas inventé Marley ni son talent. Il l’a fait rayonner, grâce à sa passion de la musique jamaïcaine et la compréhension du show-biz qu’il a rapidement acquise: Island a été une ‘success-story’ immédiate.

Vendredi à Montreux, c’est la face «Sud» de la production Blackwell qui a été mise en avant.

Début de marathon

On démarre en souplesse côté Afrique avec le Congolais Ray Lema. Lema qui admet tout de suite avoir travaillé pour le label Island, mais n’avoir jamais rencontré Chris Blackwell jusque là. Une première qu’il apprécie: «J’ai le sentiment que vous êtes un homme de passion et j’aime les gens qui vont au bout de leur passion. Merci »

Inclassable Ray Lema, dont les influences vont de Mozart à Hendrix et qui fait son show devant une salle pas encore tout à fait pleine. Ray Lema, campé derrière son clavier, avec sa belle dignité tranquille, qui constate: «Le timing est si serré ce soir… pour une musique de sauvage, c’est compliqué!»

Trente minutes de pause. Et arrive Monty Alexander, l’homme aux 64 albums, comme le rappelle Claude Nobs, et dont la première venue à Montreux remonte à 1976. Formule originale que celle proposée par le jazzman jamaïcain. D’un côté de la scène, sa section rythmique, basse et batterie. De l’autre, une formation reggae, le «Harlem Kingston Expres».

Au milieu, lui et son piano, qui va alterner d’un champs musical à l’autre, du jazz virtuose au balancement – presque – roots. Alternance, et mélange, étrange parfois, la richesse technique d’un genre surprenant dans le dépouillement auquel on est habitué de la part de l’autre. Quelques reprises de Bob Marley sont au programme, dont un beau «No Woman No Cry» chanté par le guitariste Wendel Ferraro.

Histoire de pimenter un peu plus la sauce, la Béninoise Angélique Kidjo va débouler sur scène, fidèle de Montreux, avec sa furia habituelle. «Si Chris Blackwell n’existait pas, je ne serais pas devant vous ce soir. C’est tout ce que j’ai à dire», lâche-t-elle. Et de chanter sa «Mama Africa» ou «Malaïka» tout en prenant un bain de foule dans un Auditorium Stravinsky qui tangue.

Du Bénin en Jamaïque en passant par le Sénégal

Pause. Puis Afrique encore avec le Sénégalais Baaba Maal, entouré de treize musiciens. Rien que cela. Malgré la grosse machine en place, l’ex-protégé de Peter Gabriel aura de la peine à faire monter la sauce. Chanteur engagé, sa façon d’évoquer l’Afrique ou le réchauffement de la planète, même sincère, manque de spontanéité. Un prêchi-prêcha dont la forme, et non le fond, freine les ardeurs au lieu de les susciter. N’empêche… la déferlante finale de percussions remportera l’adhésion du public.

«Timing serré», disait Ray Lema. Question de point de vue. Le temps que Quincy Jones himself vienne saluer Chris Blackwell, les suivants, «Third World», commencent leur set à l’heure où ils auraient dû le terminer. La salle s’en ressent, qui se vide un peu. Dommage: la prestation des Jamaïcains, qui ont tourné en première partie de Bob Marley en 1975, est remarquable. Superbe voix de «Bunny Rugs», guitare ‘santanesque’ de Stephan «Cat» Coore, remarquable Lenworth Williams à la batterie.

Le public s’enflamme avec «96 Degrees in the Shade», et continue sur sa lancée avec une version presque discoïsante de «Now That We’ve Found Love»…

Hope

Il fut un temps où les jam sessions, à Montreux, semblaient se construire d’elles-mêmes en fin de soirée. Là, ce n’est plus le cas. Enième changement de plateau… La soirée aura été riche, mais à condition d’avoir beaucoup de patience.

C’est sur le coup de deux heures du matin, devant le dernier carré de résistants, que Monty Alexander revient sur scène, accompagné de ses deux groupes, prêt à accueillir pour un hommage à Bob Marley les différents acteurs de la soirée. Non sans avoir commencé par quelques compositions à lui, dont un superbe «Hope», rêveur et brillant.

A Montreux, le public comme les musiciens doivent posséder une qualité essentielle: la résistance à la fatigue.

Retour à l’hôtel. Ecriture de mon article. En-dessous de mon balcon, dans la rue principale, des bruits de verre cassé, on s’insulte, on se frappe, des filles pleurent, des gens hurlent, la police intervient. «Hope», disait le thème de Monty Alexander. Ce n’est pas gagné.

Bernard Léchot, Montreux, swissinfo.ch

Jamaïque. Chris Blackwell est né en 1937 à Londres, mais a passé une large partie de son enfance et de sa jeunesse en Jamaïque.

Island. En 1959, il crée le label «Island», et y produit de la musique populaire jamaïcaine. En 1962, il s’installe en Grande-Bretagne, où il occupe la «niche» de la musique jamaïcaine, notamment en faisant de l’importation. Mais pas uniquement…

Pop. Il va produire le Spencer Davis Group, avec Stevie Winwood, qu’il suivra avec Traffic. Il signera également des groupes majeurs de l’époque: Free, Jethro Tull, King Crimson, Robert Palmer, Cat Stevens, Emerson, Lake and Palmer.

Bob Marley. Au début des seventies, Chris Blackwell revient à la musique jamaïcaine. Il place son poulain Jimmy Cliff dans le film «The Harder They Come» et signe en 1971 un certain… Bob Marley. Si celui-ci n’est pas un inconnu en Jamaïque, c’est Chris Blackwell qui lui apportera sa dimension mondiale. Bob Marley restera chez Island jusqu’à sa mort, en 1981.

Planète reggae. D’autres artistes reggae appartiendront à l’écurie Island: Toots and the Maytals, Third World, Black Uhuru, Burning Spear, Sly & Robbie.

Et même U2! Chris Blackwell restera néanmoins attentif aux autres courants: Roxy Music, Brian Eno, John Cale, Kevin Ayers, Nico, Marianne Faithfull, Richard and Linda Thompson, Grace Jones, les Cranberries, Melissa Etheridge, Tom Waits passeront par Island. Et… U2, que Blackwell signe en 1979.

World. Blackwell créera également le label Mango, un des premiers labels consacrés aux musiques du monde, en particulier à l’Afrique.

Universal. Island sera cédé à Polygram en 1989, lequel sera lui-même avalé par Universal Music dix ans plus tard.

Le 43ème Montreux Jazz Festival se tient du 3 au 18 juillet.

Plusieurs soirées seront encore consacrée directement ou indirectement au fondateur d’Island Records :

11 juillet: Concert de Grace Jones

12 juillet: 2e soirée ‘Tribute to Chris Blackwell’:
– Method of Defiance Created by Bill Laswell
– Bitty with Sly and Robbie Taxi Gang

13 juillet: Island 50th Anniversary
– Kenny ‘Babyface’ Edmonds
– Marianne Faithfull

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