Quand le restauroute d’Yvorne (VD) servait trois décis de vin
(Keystone-ATS) L’interdiction de vendre de l’alcool sur les aires d’autoroute vacille. Le Conseil des Etats se penche cette semaine sur la question. Au début des années 1980, le restauroute d’Yvorne (VD) servait vin et bière, jusqu’à ce que le Tribunal fédéral y mette un terme.
L’interdiction avait été introduite en 1964, en même temps que la valeur-limite d’alcoolémie. A la surprise générale, les autorités vaudoises ont permis en 1982 à l’exploitant du restauroute d’Yvorne, sur l’A9, de servir vin et bière pour une phase-test d’un an. Pour boire un verre, les clients étaient toutefois tenus de commander un plat principal.
Tout en autorisant le débit, le conseiller d’Etat de l’époque, François Leuba, exigeait que le restaurant offre un choix de boissons sans alcool à un prix inférieur que la boisson alcoolique la moins chère. La même année, le gouvernement vaudois balayait un recours du Département fédéral de l’intérieur contre l’autorisation octroyée.
Trois décis
Pour les autorités vaudoises, il n’y pas de base légale suffisante pour une interdiction. De plus, un automobiliste qui quitte l’autoroute pour consommer une boisson alcoolisée de son choix est plus dangereux qu’un automobiliste arrosant son repas de trois décis de vin, ont argué les autorités vaudoises dans leur rejet du recours.
Le débit d’alcool n’a, semble-t-il, pas posé de problème. Un mois après l’autorisation de vente, Leo Egloff, directeur général de la société Silberkugel AG, responsable à l’époque du restauroute sur l’A9, affirmait que seul un quart des personnes consommant un plat principal avaient également commandé du vin.
La quantité de vin vendue par personne était de 1,16 décilitre. Quant à la consommation de bière, elle était « quasiment nulle ».
Malgré cela, le Tribunal fédéral a interdit une nouvelle fois le débit d’alcool, suite à un recours du DFI. La compétence générale de la Confédération dans le domaine des routes ne s’applique pas uniquement à la construction et l’entretien d’annexes comme les restauroutes, mais aussi à leur exploitation, a tranché la haute Cour helvétique en 1983. Et d’annuler l’autorisation donnée par le canton de Vaud à Yvorne.
Depuis, le vent a tourné. Le 13 juin dernier, le Conseil national a approuvé une motion de sa commission des transports visant à autoriser à nouveau la vente d’alcool sur les aires d’autoroute. Avec 115 voix contre 62, la décision a été nette.
Accidents dus à l’alcool en recul
Le conseiller national Philipp Hadorn (PS/SO), président de la Croix-Bleue, a en vain cité les statistiques. La part des accidents de la route dans lesquels l’alcool a joué un rôle est certes en recul et n’est plus que de 11%, a-t-il admis. Malgré cela, l’interdiction de vendre de l’alcool doit être maintenue pour des raisons de sécurité routière, estime-t-il.
La présidente de la Confédération Doris Leuthard a aussi brandi les chiffres des accidents qui plaident en faveur d’une abrogation de l’interdiction. Sur les 18’000 accidents recensés dans le pays l’an dernier, seuls 2000 se sont produits sur l’autoroute. Et ce n’est pas l’alcool qui en était la cause principale, mais les excès de vitesse.
Sur le réseau des routes nationales, qui absorbe 40% du trafic, les conducteurs observent manifestement la règle « qui boit ne conduit pas, qui conduit ne boit pas ». Se référant à 1964, la ministre en charge des transports a ajouté: « Aujourd’hui, Dieu merci, nous avons un tout autre rapport à l’alcool et à la sécurité. A l’époque, c’était considéré comme un délit mineur ».
Les experts mettent en garde
Le Bureau de prévention des accidents (bpa) et les experts des dépendances s’opposent vivement à la levée de l’interdiction de vendre de l’alcool sur les aires d’autoroute. Le bpa craint une augmentation du nombre de conducteurs sous influence de l’alcool. Les études montrent qu’un accès facilité à l’alcool fait augmenter le nombre de problèmes qui y sont liés, par exemple les accidents.
Du point de vue de la sécurité routière, il est paradoxal d’exiger des jeunes conducteurs de renoncer totalement à l’alcool, mais de leur mettre en même temps à disposition, dans des stations de ravitaillement spécialement installées pour les automobilistes, des boissons alcoolisées. De plus, aujourd’hui déjà, de nombreux contresens sur l’autoroute sont imputables à des automobilistes alcoolisés.
Les organisations anti-addiction craignent un risque important pour les usagers de la route. L’interdiction de vendre de l’alcool sur les aires d’autoroutes réduit la consommation exactement là où boire représente un danger de mort immédiat pour les tiers.
Les espoirs de ces milieux reposent désormais sur le Conseil des Etats. La motion devrait y être traitée le 13 septembre.