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Genève lève un voile sur les crimes d’honneur

Doaa, une jeune Kurde de 17 ans tuée en 2007 à coups de pierres par des hommes de son village.

Les victimes des crimes d'honneur se comptent par milliers dans le monde. Genève organise samedi le premier colloque suisse du genre. Avec Tuée pour l'honneur, un documentaire saisissant de Giawdat Sofi, réfugié Kurde établi en Suisse.

Doaa avait 17 ans. Cette toute jeune Kurde d’Irak a été tuée en 2007 à coups de pierres par des hommes déchaînés de son village. Quelqu’un dans la foule a filmé la scène sur son téléphone portable et les images ont fait le tour du monde.

A des milliers de kilomètres, Giawdat Sofi, un Kurde irakien arrivé en Suisse dans les années 1980 comme réfugié politique, en a produit un documentaire saisissant. Tuée pour l’honneur, diffusé dans l’émission de la Télévision suisse romande Temps présent en août dernier, sera projeté samedi à Genève dans le cadre d’un colloque inédit en Suisse consacré aux crimes d’honneur.

Un lynchage orchestré

La faute de Doaa: elle avait été surprise dans un préau en train de bavarder avec un garçon dont elle semblait amoureuse. S’estimant déshonoré, son oncle a orchestré ce lynchage contre la volonté des parents de la jeune fille. Le film, d’une extrême sobriété, fait éclater au grand jour un thème resté tabou en Orient comme en Occident. Le réalisateur kurde y effectue des va et vient entre Bashika, le village de Doaa, et la Suisse. Au fil des interviews, on comprend que l’Europe est aussi concernée par cette tragédie liée à une mentalité tribale.

«Cette journée doit permettre aux gens de réaliser que ces drames existent aussi chez nous et qu’ils doivent oser s’en mêler si cela se passe autour d’eux», explique Anne-Marie von Arx-Vernon, directrice adjointe du centre genevois d’accueil pour femmes Au Cœur des Grottes.

Depuis 1997, son équipe a identifié une dizaine de cas liés aux crimes d’honneur. «Il est très difficile de se faire une idée du nombre réel, précise-t-elle. En général, nous avons été averties par les services sociaux. Mais que sait-on des autres, restées séquestrées chez elles ou renvoyées dans leurs pays pour y être tuées»?

La pointe de l’iceberg

L’ONU chiffre à 5000 les victimes dans le monde de crimes d’honneur. «Ce n’est que la pointe de l’iceberg. Il faut y ajouter tous ceux commis dans le silence. Une femme peut être mutilée, défigurée, assassinée, au nom de l’honneur de la famille, simplement parce qu’elle a parlé avec un homme, sans la présence d’un frère ou d’un père», précise Fabienne Bugnon, directrice de l’Office des droits humains. Cet office a été créé il y a un an à Genève pour, entre autres, veiller à l’application des traités internationaux ratifiés par la Suisse.

«Le Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW/CEDEF) a recommandé à la Suisse de s’occuper de ses femmes migrantes, poursuit Fabienne Bugnon. C’est sous cette égide que nous avons mis en place des projets pour la prévention des mutilations sexuelles et des violences conjugales, et nous nous apprêtons à mener des campagnes de sensibilisation aux crimes d’honneur et aux mariages forcés.»

«Il s’agit d’un phénomène sournois, non quantifiable, contrairement aux mutilations qui sont chiffrables – 7000 cas estimés en Suisse, 1200 à Genève. D’où la nécessité d’un travail de sensibilisation comme la journée de samedi, auprès du public mais aussi des professionnels – infirmiers, travailleurs sociaux, enseignants – pour leur permettre de détecter les drames possibles.»

Les coutumes tribales prédominent

Sur le plan légal, l’affaire n’est pas plus simple. «En matière d’asile, si une femme est menacée de crime d’honneur, elle peut être renvoyée chez elle faute de preuves», explique Fabienne Bugnon. «Le problème, c’est que lorsque la preuve est là, il est trop tard, ajoute Anne-Marie von Arx Vernon. Ou alors, on nous répond que le pays d’origine de la personne punit les crimes d’honneur. Mais, dans ces pays-là, les coutumes tribales prédominent sur les lois.»

Et la responsable du Cœur des Grottes de déplorer une attitude peu coopérante de Berne. «Il faut batailler deux ans pour obtenir un permis humanitaire, regrette-t-elle. Alors que Genève se montre respectueuse des cas que nous soumettons, Berne dit systématiquement non, sous prétexte de manque de preuves. En tant que professionnelles, nous nous rendons vite compte si nous avons affaire à une vraie victime ou pas. Nous savons recouper les récits, vérifier si l’histoire est cohérente. Il faut nous accorder plus de crédit.»

La prudence de mise

Pour Berne, ces femmes peuvent être renvoyées chez elles si des réseaux sociaux existent sur place. «Je suis très réservée sur ce genre de renvois conditionnels, encore plus lorsqu’une femme est menacée de crime d’honneur, prévient Fabienne Bugnon. Quel type de sécurité peut-on réellement lui assurer? Il est déjà difficile de les protéger ici. Nous avons connaissance de cas où la femme a dû changer de canton pour se cacher.»

Forte de son expérience en Afghanistan, Anne-Marie von Arx Vernon peut toutefois concevoir des cas de jeunes filles réhabilitées chez elles parce qu’elles reviennent avec un métier en main. «La famille peut alors les voir différemment à partir du moment où elles deviennent un soutien financier et non plus une bouche à nourrir. Mais il faut rester extrêmement prudents.»

swissinfo: Carole Vann/InfoSud

Protection. Pour Anne-Marie von Arx Vernon, il faut un changement de loi afin que les femmes menacées de crimes d’honneur ou de mariages forcés soient reconnues comme victimes de la traite d’humains, et puissent ainsi bénéficier de la protection de la justice et de la police.

«Le Code Pénal suisse protège les femmes et les hommes qui se trouvent dans notre pays quelle que soient leur origine et interdit déjà ces pratiques, relève Fabienne Bugnon. Pou cela, le gouvernemen suisse n’est pas enclin à légiférer spécifiquement sur ces problèmes».

Mutilations génitales. «La proposition d’une loi spécifique sur les mutilations génitales féminine est toutefois en consultation dans les cantons, poursuit Fabienne Bugnon. Un débat est également ouvert pour savoir s’il s’agit de lésions corporelles graves ou simples. Mais pour les crimes d’honneur, on n’arrivera pas. D’une part, le phénomène est impossible à chiffrer. D’autre part, le meurtre est déjà réprimé par le code pénal, qu’il soit d’honneur ou pas.»

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