La voix de la Suisse dans le monde depuis 1935
Les meilleures histoires
Restez en contact avec la Suisse

Procès Clearstream: qui manipule qui?

Keystone

A mi-parcours du grand procès qui secoue Paris, le journaliste Edwy Plenel, professeur associé à l'Académie du journalisme de Neuchâtel, jette un regard iconoclaste sur cette affaire. Interview.

Au procès Clearstream, la journée de mercredi devait être consacrée à l’audition de Bernard Bertossa. L’ex-procureur général genevois n’est pas venu. Le journaliste Denis Robert, l’un des prévenus, a finalement renoncé à le citer à comparaître. Il n’a pas souhaité «déranger» Bertossa, actuellement en vacances en Espagne, comme le rapporte la Tribune de Genève.

Dommage. Le témoignage de l’ancien procureur aurait pu permettre au tribunal correctionnel de Paris de prendre un peu de recul, après trois semaines d’audience chargées d’électricité. À mi-parcours du procès, deux prévenus s’en tirent plutôt mal.

Imad Lahoud d’abord, accusé de toutes parts d’avoir falsifié les fameux fichiers Clearstream pour y introduire les noms de dizaines de personnalités, dont Nicolas Sarkozy. Dominique de Villepin ensuite, malmené par plusieurs acteurs-clés de l’affaire, qui l’accusent à demi-mots d’avoir voulu instrumentaliser l’affaire aux dépens de son rival politique d’alors, Nicolas Sarkozy.

Dans le somptueux décor de la première chambre correctionnelle du palais de justice de Paris, où fut jadis jugée Marie-Antoinette, au milieu du gratin du barreau parisien, de la presse internationale et de quelques curieux, un homme, moustache serrée et l’œil malicieux, suit de près ce procès.

Deux raisons poussent Edwy Plenel à ne pas rater un seul jour d’audience. D’abord il est journaliste. Ancien directeur de la rédaction du Monde, Plenel a fondé le site d’information Mediapart.

Ensuite et surtout, il est partie civile. «J’ai appris en 2006, sur le site de L’Express, que mon nom figurait sur les faux listings de l’affaire Clearstream», relate Edwy Plenel, gratifié sur ces fichiers d’un compte à la Banque cantonale vaudoise (BCV). «Ce qui est faux», tient à préciser le journaliste, qui enseigne à l’Académie du journalisme et des médias de l’Université de Neuchâtel.

swissinfo.ch: Quel regard portez-vous sur cette affaire complexe?

Edwy Plenel: Au départ, il y a ce que j’appellerais une chimère vertueuse. C’est la première affaire Clearstream, qui plante le décor. Un journaliste, Denis Robert, a voulu démontrer que la chambre de compensation Clearstream constituait la boîte noire des circuits de blanchiment d’argent. Mais sa démonstration n’a pas abouti. Sa thèse, à mon sens, n’a pas été vérifiée.

swissinfo.ch: C’est pourtant sur cette thèse que va prospérer la seconde affaire.

E.P.: Exactement. Commence en 2003 la «chimère perverse», celle du faussaire. Les débats à l’audience établissent de manière claire que ce faussaire est l’ancien trader Imad Lahoud et qu’il a agi seul. Escroc, condamné pour des affaires de faux et usages de faux, Lahoud veut se refaire quand il sort de prison en 2003. Il arrive à s’introduire au cœur du système du renseignement français, en gagnant notamment la confiance du général Rondot. Là-dessus, et sans doute pour plaire à ses supérieurs, il récupère les vrais listings de Clearstream et y rajoute des dizaines de noms.

swissinfo.ch: L’affaire sera instrumentalisée, politiquement…

E.P.: Oui, mais sur ce plan, le procès a démontré les failles de l’instruction. Personne ne dit aujourd’hui que Dominique de Villepin savait que les listings étaient faux et qu’il les a diffusés en connaissance de cause. L’ancien premier ministre a cru, hélas, à la véracité des listings. L’idée – qu’on a imposée à l’opinion publique et à la justice – que tout cela aurait été monté par Villepin pour nuire à Sarkozy, cette idée ne tient pas. C’est la troisième chimère, elle a explosé au procès.

swissinfo.ch: Villepin aurait peut-être dû prévenir ses confrères de l’existence de ces fichiers, et notamment Nicolas Sarkozy…

E.P.: Si Villepin est coupable, alors tous ceux qui connaissaient de près ou de loin les listings le sont aussi: généraux, ministres et hauts fonctionnaires. Il y a d’ailleurs un grand absent à ce procès, sur le banc des prévenus, c’est le ministère de la Défense, c’est-à-dire ceux qui ont fait confiance à Imad Lahoud. Si le général Rondot avait sérieusement fait son travail au lieu de vouloir manipuler une source foireuse, l’affaire se serait arrêtée là.

swissinfo.ch: La manipulation, vous la voyez ailleurs…

E.P.: Il est évident que Nicolas Sarkozy a utilisé comme un levier cette affaire qui n’aurait jamais dû se poursuivre. Il l’a fait pour discréditer celui qui avait commis l’imprudence de croire à ces listings: Dominique de Villepin.

Mathieu van Berchem, Paris, swissinfo.ch

Judiciairement, l’affaire Clearstream commence en 2004. Le juge Renaud van Ruymbeke reçoit une lettre anonyme évoquant un réseau de corruption, ainsi que des extraits de comptes présentés comme issus de la chambre de compensation luxembourgeoise Clearstream.

L’ancien vice-président d’EADS, Jean-Louis Gergorin, a reconnu être le « corbeau » qui a adressé ces dénonciations dont il dit être convaincu de la véracité.

C’est un jeune auditeur chez Artur Andersen, Florian Bourges, qui a récupéré en 2001-2002 des listings lors d’une mission chez Clearstream. Il les a ensuite transmis au journaliste Denis Robert, auteur d’une enquête sur Clearstream en 2001, ainsi qu’à l’informaticien Imad Lahoud.

Ce dernier, qui a brièvement travaillé pour les services secrets en 2003 et été embauché chez EADS par Gergorin, est soupçonné d’avoir falsifié les listings en y ajoutant des noms de responsables politiques, dont Nicolas Sarkozy.

Jean-Louis Gergorin et le général Philippe Rondot sont réunis le 9 janvier 2004 dans le bureau de Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères. Celui-ci aurait fait état d’instructions de Jacques Chirac pour poursuivre discrètement l’enquête.

«Six ou sept» rendez-vous, selon Gergorin, auraient ensuite été organisés chez Villepin, ce que ce dernier nie.

Les plus appréciés

Les plus discutés

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision