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Commémoration de Tiananmen: militants surveillés ou en prison

Sur cette photo prise le 5 juin 1989, des Pékinois montrent une image présentant selon eux des victimes de la violence du pouvoir contre les manifestants pro démocratie. KEYSTONE/AP/JEFF WIDENER sda-ats

(Keystone-ATS) Soucieuse d’étouffer tout débat sur la répression meurtrière du mouvement prodémocratie de Tiananmen en 1989, la Chine a placé des militants sous surveillance ou en détention. Des mères d’étudiants tués ont dénoncé une amnésie d’Etat et “27 ans de terreur blanche”.

Dans la nuit du 3 au 4 juin 1989, après une longue mobilisation de manifestants réclamant des réformes démocratiques, soldats et blindés du régime avaient ouvert le feu jusqu’à la place Tiananmen, au centre de Pékin. Ils avaient fait plus d’un millier de morts, selon des estimations.

L’épisode reste tabou en Chine populaire, soigneusement banni des manuels scolaires, objet d’une féroce censure sur les réseaux sociaux. Les autorités répriment les moindres commémorations privées dans une tentative d’abolir le passé.

Six militants des droits de l’Homme, dont le poète Liang Taiping, en font les frais: ils sont depuis jeudi en détention à Pékin après avoir organisé une cérémonie appelant à “ne pas oublier les blessures du pays”, rapporte l’ONG Weiquanwang. La police les accuse d'”avoir provoqué des querelles et fomenté des troubles”.

Au cimetière avec la police

Comme les autres années, les “mères de Tiananmen”, une association regroupant les parents ayant perdu un enfant lors de la répression sanglante, faisaient également l’objet d’une forte surveillance.

Zhang Xianling, dont le fils de 19 ans a été abattu en 1989, a indiqué s’être rendue samedi dans un cimetière pékinois avec dix autres parents pour honorer brièvement les tombes de leurs enfants, mais sous étroit contrôle policier. “On est surveillés depuis la semaine dernière. Une trentaine (de policiers en civil) étaient présents au cimetière”, a-t-elle précisé.

La place Tiananmen elle-même, coeur symbolique du pouvoir communiste, était l’objet de contrôles renforcés, des gardes examinant les pièces d’identité de tous les visiteurs. Des entrées de la station de métro Muxidi, où de nombreux étudiants furent tués en 1989, étaient fermées “pour cause de travaux”.

Ding Zilin, 79 ans, fondatrice des “mères de Tiananmen” à la santé fragile, était sous résidence surveillée accrue, la police ayant coupé sa ligne téléphonique et restreignant drastiquement les visites à son domicile, selon des membres du mouvement. Les tentatives pour lui téléphoner n’aboutissaient qu’au message suivant: “Cet usager n’a pas le droit de recevoir d’appels”.

“Ordinateurs confisqués”

Les “mères de Tiananmen” s’étaient distinguées cette semaine avec une lettre ouverte au ton virulent, diffusée par l’ONG Human Rights in China. “Pour les familles des victimes, ce sont 27 années de terreur blanche, de suffocation (…) Nous sommes surveillés et écoutés, suivis et détenus, nos ordinateurs confisqués”, s’indignaient les signataires.

“Le gouvernement nous a ignorés, prétendant que le massacre du 4 juin n’avait jamais existé”, se désole la lettre. “Nous ne redoutons plus rien (…) La vérité est de notre côté”. Mme Zhang se dit prête à se battre contre l’oubli collectif, mais se montre inquiète: “Nous vieillissons progressivement. Certains sont déjà décédés, d’autres ne viennent plus au cimetière à cause de leur âge.”

De son côté, Chen Guang, ancien soldat devenu artiste, a subi plusieurs visites de policiers et d’agents de sécurité publique ces dernières semaines, y compris plusieurs heures vendredi, a-t-il indiqué à l’AFP. Une forme d’avertissement: en 2014, Chen avait été placé en détention pendant un mois après une représentation artistique rendant hommage à Tiananmen.

Grand rassemblement

Et Pékin ne semble pas prêt à lever la chape de plomb sur ce passé douloureux. “Le 4 juin est un jour ordinaire”, affirmait samedi le quotidien étatique en langue anglaise Global Times. “Les Chinois pensent qu’aucun débat supplémentaire n’est nécessaire” et acceptent les conclusions officielles.

Un grand rassemblement a cependant été organisé comme chaque année à Hong Kong. Quelque 125’000 personnes ont rendu hommage aux victimes de Tiananmen, selon les organisateurs, contre 135’000 en 2015. L’événement a aussi été commémoré pour la première fois au parlement taïwanais. Pour leur part, les Etats-Unis ont demandé à la Chine d’autoriser les éventuelles commémorations, tout en réclamant la publication du “décompte complet” des victimes de 1989.

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