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A Moutier, quand les machines racontent l’histoire

La machine-outil et le tour automatique ont fait la renommée internationale de Moutier. KEYSTONE/STEFAN MEYER sda-ats

(Keystone-ATS) La machine-outil et le tour automatique font la renommée internationale de Moutier. S’ils n’y ont pas été inventés, ils en sont le symbole. Un musée retrace cette histoire ou quand les machines racontent l’industrie, mais aussi la société.

A l’entrée de la ville, juste après les sinueuses Gorges de Court, en bordure des bâtiments de Tornos, face à un parking désert et devant les quartiers résidentiels autrefois destinés aux ouvriers, une maison de maître défraîchie datant de la fin du XIXe siècle: le Musée du Tour automatique de Moutier. Ce musée est unique en son genre en Suisse et en Europe.

“Bienvenue dans la Villa Junker, du nom de l’industriel par qui tout est parti”, lance du perron le jeune conservateur Stéphane Froidevaux, intarissable sur l’histoire de son musée.

Vers 1880, ce mécanicien venu de Jegenstorf (BE) installe son atelier dans un bâtiment derrière la villa et le dote du tour automatique à poupée mobile commandé par cames que Jakob Schweizer vient de mettre au point à Bienne. Il veut fabriquer des vis et des pignons pour l’horlogerie et ne choisit pas la cité prévôtoise par hasard.

Lieu stratégique

A l’époque, Moutier connaît un certain développement sur la ligne ferroviaire Bâle-Bienne et compte plusieurs entreprises horlogères, en particulier la Société industrielle de Moutier, explique Stéphane Froidevaux. Cette société est l’une des plus grandes de la région. Elle fabriquera jusqu’à 40’000 montres par an et emploiera jusqu’à 500 personnes dans une ville qui compte 1500 habitants.

A l’intérieur du musée, les pièces de la villa exposent d’impressionnantes machines anciennes. En haut des escaliers trône l’une des premières inventions de Jakob Schweizer. Il suffit d’appuyer sur un bouton pour que le tour se mette en marche. Une barre métallique apparaît, tourne sur elle-même et est façonnée par des burins, jusqu’à donner une vis.

Concurrence interne

Grâce à cette minutieuse technologie, celle du décolletage, et aux tours automatiques qui la façonnent, Moutier se développe. La ville passe d’environ 950 habitants en 1850 à 5000 en 1950, explique Stéphane Froidevaux. “Ces machines ne racontent pas seulement l’histoire de l’industrie, mais aussi la place de l’industrialisation dans l’évolution de la société”.

D’une salle à l’autre, à travers les pièces de l’ancienne maison de Nicolas Junker, l’exposition décrit aussi la concurrence acharnée que se sont livrées les trois principales entreprises de la ville: Petermann, Bechler et Tornos. Une époque dont il ne subsiste aujourd’hui que la marque Tornos.

Sur les murs du musée, les photos des anciens patrons sont là pour en témoigner: avec leurs airs austères, Nicolas Junker, mais aussi André Bechler, Joseph Petermann, Willy Mégel ou Henri Mancia, gardent un oeil sur leurs ouvriers et leurs machines.

Une “beauté froide”

Dans les différentes salles, les machines qui ont marqué l’histoire de chacune des entreprises se succèdent, avec leur mécanisme précis et leurs arbres à cames. Comme la mythique P7, de Petermann, qui trône devant un tableau de Serge Voisard, peintre local, stylisant la vie d’un atelier de décolletage.

“Nous mettons en valeur la beauté froide des machines, explique Stéphane Froidevaux. “Ces machines, ce sont à la fois Giger et Tinguely”, dit-il en référence aux deux sculpteurs helvétiques. “Le tour automatique est universel, pas besoin d’être de Moutier pour l’apprécier”, ajoute-t-il.

Les quelque cent machines en possession du musée sont restaurées et entretenues par des bénévoles. Ceux-ci documentent les collections qui se composent aussi d’objets manufacturés, de tableaux et de photos de la région, des collections longuement constituées par le fondateur du musée Roger Hayoz, un banquier passionné aujourd’hui décédé.

140 ans d’histoire

De la fin des années 1880, le musée chemine jusqu’aux années 1970, avec l’arrivée de la CNC, la commande numérique par calculateur, puis la Déco 2000 des années 1990. Dehors, sur l’un des murs de la Tornos voisine, une affiche vante la nouvelle Swiss Nano, qui, avec son design coloré, veut contrer la crise et la concurrence internationale.

Le conservateur du musée ne se risque pas à des prévisions sur l’évolution de l’industrie locale. Mais dans la région, on a coutume de le dire: “quand Tornos s’enrhume, toute la région tousse”.

A l’étroit en ses murs, l’institution va bientôt changer de lieu. Un nouveau musée se construira en face de l’actuel, dans les locaux de l’ancienne école professionnelle de Tornos.

Les travaux commenceront cet automne. La ville sera partie prenante, et le canton de Berne devrait également apporter sa contribution. Le nouveau Musée du tour automatique et d’histoire de Moutier sera inauguré en 2017, plus de 20 ans après sa création.

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